L'INTERVIEW de la Chronique Jan Kavan
Par Sanjay Sethi, pour la Chronique
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Photo ONU |
Élu Président de la cinquante-septième session de l'Assemblée générale des Nations Unies, Jan Kavan a été Vice-premier ministre de la République tchèque de 1999 à 2002 pour les questions de politique étrangère et de sécurité et Ministre des affaires étrangères de 1998 à 2002. Il est actuellement Député au Parlement tchèque.
M. Kavan a étudié le journalisme à l'université Charles, à Prague, et a été l'un des leaders du mouvement étudiant dans les années 60. Suite à l'invasion soviétique en 1968, son nom a figuré sur la liste noire des " représentants et des chefs de file du mouvement de droite ". Après avoir passé près de vingt ans en exil, pendant lesquels il a activement aidé les militants anticommunistes, il est retourné en République tchèque où il a été élu au Parlement. Il a écrit une centaine d'articles pour la presse quotidienne ainsi que pour des magazines spécialisés américains, anglais et européens, a publié deux livres sur les mouvements d'opposition tchèques et a collaboré à quatre livres sur ce sujet, qui ont été publiés dans les années 1980. Il a également reçu de nombreuses médailles et de nombreux prix pour sa contribution aux droits de l'homme et à la démocratie dans son pays.
Sanjay Sethi de la Chronique s'est entretenu avec lui le 24 septembre.
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Pour la première fois dans son histoire, l'Assemblée générale de l'ONU a élu un Président trois mois avant l'ouverture de la session que vous allez présider. Comment cette période vous a-t-elle permis de vous préparer à faire face à vos activités futures ?
L'adoption de la résolution 56/509 de l'Assemblée générale, qui prévoit que les présidents, vice-présidents et présidents des grandes commissions seront élus au moins trois mois avant l'ouverture de la session ordinaire, représente un pas en avant dans notre processus de revitalisation des activités de l'Assemblée. Cette élection précoce a des implications d'une portée considérable, non seulement dans le déroulement de l'Assemblée mais aussi en termes d'organisation et de fonctionnement. Elle a facilité la transition et encouragé tous les membres du personnel de mon bureau à accomplir un travail plus efficace.
Dans les semaines qui ont suivi mon élection, j'ai organisé des consultations avec les représentants des différents pays afin de leur communiquer mes priorités et d'avoir une idée de leurs objectifs et de leurs attentes concernant la cinquante-septième Assemblée. Nous avons donc établi des relations directes qui ont permis des délibérations constructives. J'ai eu aussi l'occasion de discuter avec mon prédécesseur, le Président Han Seung-soo, de certains aspects concernant mon futur travail. Ces discussions ont permis à mon équipe et à moi-même de nous préparer.
Je dois également souligner qu'avant de prendre mes fonctions, j'ai mis ce temps à profit pour consulter le Secrétariat sur le calendrier des réunions. À cet égard, un progrès sans précédent a été accompli : pour la première fois, l'Assemblée générale dispose d'un projet de programme de travail détaillé au début de la session.
Vous avez exprimé l'engagement d'honorer les décisions prises au Sommet mondial du développement durable. Maintenant que le Sommet est conclu, quel sera, selon vous, son impact sur l'ordre du jour de l'Assemblée générale ?
Selon la Déclaration politique adoptée à Johannesburg, l'Assemblée générale est tenue de mettre en place un mécanisme de suivi afin de faciliter, d'évaluer et de surveiller l'application des décisions prises au Sommet. C'est une tâche précise. Selon la mise en ouvre du plan, formulée à Johannesburg, l'Assemblée devrait faire du développement durable l'élément essentiel du cadre obligatoire des activités de l'ONU. Le concept du développement durable est important et fera partie de nos délibérations. Il sera pris en compte dans toutes les résolutions connexes et sera une partie intégrante des programmes relatifs à la coopération dans le domaine du développement. Malgré la complexité et la difficulté du sujet, les leaders mondiaux réunis à Johannesburg sont parvenus à un consensus raisonnable j'espère que cela aura une influence positive sur le climat de travail de notre session. Il est également important que le Sommet mondial du développement durable, le plus grand sommet de l'ONU jamais organisé, se soit déroulé Afrique, le développement de la région étant l'un des sujets les plus importants inscrits à notre ordre du jour.
Un an après les attaques du 11 septembre contre le World Trade Center, pensez-vous que l'ONU doive jouer un rôle plus important dans la lutte contre le terrorisme ? Si oui, comment l'Assemblée générale peut-elle faire honorer ces nouvelles obligations ?
Après les attaques du 11 septembre, la lutte contre le terrorisme international est devenue une priorité pour la communauté internationale.
La communauté internationale, et l'ONU en première ligne, a réagi en faisant preuve d'une unité sans précédent. Il nous faut maintenir et renforcer cette coalition et continuer de renforcer les instruments existants de l'ONU. À cet égard, je recommande les travaux du Comité contre le terrorisme qui ont fortement contribué à la mise en ouvre de la résolution historique 1373 (2001) du Conseil du sécurité. De plus, la série des traités de l'ONU concernant la lutte contre le terrorisme devraient être signés et ratifiés par tous les États membres.
Quant à l'Assemblée générale, elle a un rôle important à jouer étant donné qu'il n'y a toujours pas de convention complète contre le terrorisme. Des difficultés surgiront au cours du processus de négociation du Groupe de travail ad hoc de la Sixième Com-mission sur ce sujet. Le problème principal résidant dans la définition du terrorisme international, nous devons être déterminés et nous engager à finaliser et à adopter la Convention.
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Ouverture de la cinquante-septiéme session de l'Assemblée générale. Photo ONU |
Dans une déclaration que vous avez faite à une radio tchèque, vous avez dit vouloir réformer la structure de l'Assemblée générale afin qu'il y ait " moins de bureaucratie, plus de transparence et une meilleure communication ". Quels sont les changements nécessaires pour renforcer les activités de l'Assemblée et que proposez-vous pour y parvenir ?
J'ai l'intention de continuer ce que le Président Han a entrepris et de poursuivre les discussions fructueuses sur la revitalisation des activités de l'Assemblée générale. Et je peux vous dire que la majorité des États membres soutiennent également ce processus. Tout au long du débat général, il a été fait mention de la réforme de l'ONU et, bien entendu, les discussions se poursuivront pendant cette session dans les divers groupes de travail. Il nous tarde de discuter des nouvelles propositions concernant la façon de renforcer le rôle de l'ONU.
À propos de la bureaucratie et de l'efficacité, je voudrais faire remarquer que ces problèmes ne sont pas nouveaux, et que la solution n'est pas facile à trouver. Nous avons déjà assoupli certaines mesures mais il nous reste encore à examiner les plus difficiles.
Les États Membres auront la chance d'aborder ces questions lors des consultations informelles du groupe de travail sur la revi-talisation de l'Assemblée générale. En guise de contribution à la rationalisation de l'ordre du jour, j'ai présenté, dès que j'ai pris mes fonctions, une introduction du programme de travail dans laquelle certains points étaient groupés de manière à favoriser les débats communs sur les questions interdépendantes. Pour ce qui est de l'amélioration de la communication, je souhaite organiser régulièrement des consultations informelles avec les Présidents du Conseil de sécurité et du Conseil économique et social, ainsi qu'avec le Secrétaire général, afin de partager les informations et de débattre de questions d'intérêt commun.
Bien que les questions de sécurité soient principalement sous la juridiction du Conseil de sécurité, que peut faire l'Assemblée pour aider à prévenir les conflits armés dans le monde ?
À mon avis, le rôle de l'Assemblée générale dans la prévention des conflits est extrêmement crucial. Il nous faut examiner cette question dans son ensemble, reconnaissant que les stratégies de prévention efficaces devraient inclure le développement social et économique, la responsabilité, la bonne gouvernance et le respect des droits de l'homme. Cette question ne devrait pas être seulement limitée au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale. Le Conseil économique et social, les institutions de Bretton Woods et les organisations de la société civile devraient avoir aussi un rôle à jouer.
Très récemment, nous avons pu voir l'importance de l'Assemblée générale lors des discussions concernant les actions possibles contre l'Irak. L'impact immédiat des déclarations du débat général et la réaction du gouvernement irakien sont une preuve indiscutable de l'influence positive de l'Assemblée. Le temps dira si l'offre de l'Irak d'autoriser le retour inconditionnel des inspecteurs de l'ONU est honnête et crédible, mais la capacité de l'Assemblée de prévenir une action militaire, du moins à ce stade, a été sans aucun doute très importante.
Au vu des inondations récentes survenues en République tchèque, ainsi que dans toute l'Europe centrale et de l'Est, quelles sont les responsabilités des dirigeants mondiaux dans la prise de mesures préventives pour faire face aux catastrophes naturelles ? Pensez-vous que l'Assemblée générale a un rôle à jouer à cet égard ?
Les sociétés et leurs dirigeants ont la responsabilité de répondre aux catastrophes causées par les activités humaines qui nuisent ou risquent de nuire à la société. Pendant les cinq dernières années, la République tchèque a été deux fois frappée par des inondations de grande ampleur, et il est clair que nous ne serons peut-être pas en mesure d'éviter d'autres inondations dans les années à venir. Il est indiscutable que nous étions mieux préparés après celles qui ont eu lieu en 1997. Dans une certaine mesure, cela nous a permis d'éviter certains dégâts matériels en 2002. Mais il faut admettre que la deuxième fois, l'expérience a été douloureuse.
Pendant la dernière décennie, la communauté internationale, avec la République tchèque, a pris conscience des dangers que posent les catastrophes naturelles. Depuis les inondations et les autres catastrophes survenues cette année, une prise de conscience a eu lieu sur l'importance de la prévention et de la préparation des catastrophes. La Stratégie internationale pour la réduction des catastrophes naturelles, dont débat régulièrement la Deuxième Commission, illustre parfaitement ce point. Les mesures soutenues par la communauté internationale, visant à réduire la vulnérabilité aux catastrophes, sont des étapes importantes et comprennent des politiques environnementales saines visant à améliorer l'infrastructure de base, la diffusion rapide des informations au public et l'amélioration de la capacité des services publics à gérer la prévention des catastrophes ainsi que la réduction de leurs effets.
Je tiens également à exprimer ma reconnaissance au Bureau de coordination des affaires humanitaires, établi à Genève, pour sa réaction rapide et son assistance.
Vous avez participé à la transition économique de la République tchèque au cours des douze dernières années. Comment l'ONU et ses institutions spécialisées ont-elles aidé à promouvoir le développement économique de votre pays et des autres démocraties en transition en Europe de l'Est ?
Après la guerre froide, l'ONU et ses institutions spécialisées ont apporté un soutien et une assistance inestimables aux pays en transition. Elles se sont attachées non seulement à promouvoir la stabilité et le développement économiques en République tchèque, ainsi que dans les autres pays de l'Europe centrale et de l'Est, mais elles ont aussi fourni des conseils sur les questions de gouvernance et de création d'infrastructure afin d'intégrer leur activité économique à l'économie mondiale.
La République tchèque, en particulier, a bénéficié de projets concernant l'environnement lancés par le programme de l'ONU pour le développement. Cependant, en raison de sa réforme rapide et d'une bonne performance dans le secteur économique, le pays apporte, depuis 2001, une contribution financière au PNUD. Cela se reflète dans le fait que la République tchèque est, depuis 1995, membre de l'Organisation pour la coopération économique et le développement.
Tout au long de votre carrière, vous avez milité pour les droits de l'homme et prôné la démocratie. Vous avez également fui la Tchécoslovaquie communiste. D'après vos expériences, quelle est, selon vous, la responsabilité de l'ONU en matière de protection des droits des réfugiés dans les pays non démocratiques ?
Le problème des réfugiés est urgent il est urgent parce que le nombre de réfugiés dans le monde reste important. Il est urgent parce qu'il concerne des personnes vulnérables qui se retrouvent dans des circonstances les plus affligeantes, forcées d'abandonner leurs moyens d'existence et leurs biens pour fuir la persécution, la violence et l'abus de leurs droits, des personnes souvent traumatisées par un accueil défavorable dans le pays d'accueil.
Historiquement, la naissance même des Nations Unies est liée à la situation des réfugiés causée par les guerres qui surviennent dans le monde. La nécessité de protéger ces communautés vulnérables a conduit à la création d'une organisation distincte, qui a été le précurseur du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Pendant plus de 50 ans, le HCR a été et reste la principale organisation de l'ONU ayant pour mandat de protéger et d'aider le réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Le HCR fournit une assistance juridique et matérielle à des millions de personnes et cherche à trouver une solution durable à leur situation. Le mérite revient également à ses partenaires au sein du système de l'ONU ainsi qu'aux autres organisations multilatérales et, surtout, aux organisations non gouvernementales. Certes, l'ONU a une responsabilité dans l'assistance aux réfugiés, mais c'est aux gouvernements que revient la responsabilité d'éviter que ce genre de situation ne se produise, par le biais de mécanismes de résolution des conflits, d'une bonne gouvernance, du respect des droits de l'homme et du développement socio-économique.
New York a beaucoup à offrir du point de vue culturel et artistique. Pensez-vous avoir le temps de tirer avantage des possibilités qu'offre la ville et de vous consacrer à vos intérêts personnels comme, par exemple, la musique et les arts ?
Malheureusement, je suis très occupé. Je ne sais donc pas si j'aurai suffisamment de loisirs. Je ne suis pas seulement Président de l'Assemblée générale mais aussi membre du Parlement tchèque. Ce n'est pas ma première visite à New York mais, si j'en ai l'occasion, j'aimerais aller au Guggenheim et au Metropolitan Museum of Art. J'aimerais aussi aller dans des clubs de jazz, qui sont nombreux à New York, mais, encore une fois, je ne sais pas si j'en aurai le temps. Dans un an peut être, j'aurai l'occasion de revenir et de vraiment apprécier cette ville. |
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