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Créer des réseaux de collaboration au sein des organisations
de l'ONU et entre elles
Par Sarah Wolfe

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Photo/Pamela Bassin
Les stratégies traditionnelles de gestion des ressources visant à réduire la pauvreté sont souvent inefficaces pour résoudre les problèmes des systèmes complexes. Au XXe siècle, les États-Unis ont dépensé plus de 400 milliards de dollars dans la création de projets de grande envergure dans le domaine de l'hydrotechnique. Les dépenses ont été encore plus importantes au niveau international. Ces constructions ont causé de nombreux dommages : la destruction des écosystèmes par la pollution, la salinisation des terres arables, l'extinction d'espèces, la perte de cohésion des populations et la destruction de sites culturels (Gleick 2000). Les coûts sociaux, économiques et écologiques indiquent qu'un grand nombre de solutions techniques traditionnelles ne sont pas adaptées pour faire face aux problèmes complexes.

Les organisations chargées de la mise en ouvre des stratégies de la gestion technique de l'eau comme, par exemple, l'irrigation, l'allocation de l'eau et la politique des prix, sont de plus en plus confrontées à des systèmes complexes. Ces problèmes sont caractérisés par un niveau d'incertitude élevé et des résultats imprévus causés par l'intervention de la politique publique (Cilliers 1998). Pour relever ses défis, les responsables de la gestion des ressources devraient appliquer une gestion adaptative—un processus souple, systématique qui tient compte des facteurs d'incertitude et encourage un apprentissage empirique. Mais une telle réponse peut être incompatible avec les politiques existantes des organisations, des programmes et des projets. Il existe une dichotomie entre la réponse adaptative et souple nécessaire pour faire face aux défis de la gestion de l'eau et l'inflexibilité des organisations. Une façon de remédier au problème serait de retirer ou de minimiser les barrières existant au sein des organisations de l'ONU.

L'ONU fonctionne dans " des environnements de plus en plus complexes ", ainsi que dans un contexte de changements rapides, de ressources insuffisantes et d'incertitudes " (Mitchell 1997). Les caractéristiques des systèmes complexes compliquent la prise de décision en matière de gestion de l'eau.

Les systèmes complexes comprennent un nombre important d'entités de taille différente, s'auto-organisent et évoluent constamment de manière imprévisible. Faisant partie de ce système, les crises hydrauliques peuvent révéler des phénomènes émergents, où l'ensemble (les résultats) est supérieur à la somme de ses parties (stratégies), par exemple en Asie centrale, où le prélèvement des eaux fluviales dans la région du bassin de la mer d'Aral a entraîné un système hydraulique nouveau et imprévisible. Les réactions positives jouent également un rôle dans les systèmes complexes. En Inde, où le pompage des eaux souterraines et la diminution des nappes phréatiques ont entraîné une augmentation du pompage, l'effet de rétroactivation accentue la pénurie existante (Burke et Moench 2000). Dans les systèmes complexes, d'infimes variations peuvent avoir des résultats systémiques importants qui se produisent à un moment indéterminé.

Alors que le système physique et social peut s'adapter lui-même à un nouvel équilibre, il se peut que le catalyseur soit inconnu et non prévu dans des conditions environnementales existantes. De par leurs caractéristiques, les systèmes complexes de la gestion de l'eau rendent extrêmement difficiles la mise en place de réponses, de politiques, de programmes et de projets efficaces. Les structures organisationnelles existantes, et leurs stratégies, auront continuellement à faire face aux problèmes globaux de l'eau douce.

Une approche fréquente aux questions de l'eau douce a été de promouvoir une " coopération technique " aux niveaux régional et national. En 1999, les organisations internationales ont dépensé 14,3 milliards de dollars pour financer des initiatives de coopération technique, soit le double par rapport à 1969 (Fukuda-Parr et al. 2002). Conçue pour transférer le savoir et les compétences en matière de gestion et de technique, la coopération technique qui peut être indépendante ou associée à un projet, procède par répétitions et peut se présenter sous forme d'ateliers, de manuels de formation, d'études sur le terrain ou de transferts d'information. Les ateliers régionaux de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) portant sur la gestion de l'approvisionnement en eau en 2000 et les politiques d'allocation de l'eau en 2001 en Asie centrale et occidentale sont deux exemples destinés à transférer le savoir et faciliter les échanges. Mais selon Fukuda-Parr et al., il n'est pas certain que la coopération technique puisse résoudre les problèmes de gestion pratique, promouvoir des transformations institutionnelles à long terme ou construire les capacités individuelles ou nationales.

Étant donné l'investissement financier et humain en jeu, il est normal que la coopération technique fasse l'objet de critiques. Certains considèrent qu'elle peut miner la capacité locale, fausser la gestion et les priorités, mettre l'accent sur des activités de premier plan, fixer des objectifs, utiliser des méthodes coûteuses et ne pas tenir compte des points de vue locaux.

En plus de ces critiques, la coopération technique peut également être rigide, non adaptative. Cela peut être à cause de ses caractéristiques mécaniques (" séparer les divers aspects du problème et se pencher sur un élément à la fois "), monistes (" une seule manière de procéder ") et objectives (" prendre des distances par rapport aux problèmes "). En extrapolant, les problèmes de la coopération technique persistent parce que le modèle de développement est basé sur deux hypothèses erronées : premièrement, qu'" il est possible d'ignorer les capacités existantes dans les pays en développement et de les remplacer par le savoir et les systèmes appliqués ailleurs "—par exemple, que l'approche technique et les analyses économiques utilisées pour l'agriculture irriguée dans le sud-ouest des États-Unis s'appliqueraient en Asie centrale.

La deuxième hypothèse est que l'existence d'une " relation asymétrique donneur-bénéficiaire ", où la dynamique des forces définit des partenariats potentiels inégaux, n'a pas d'effet sur le processus et les résultats de la coopération technique (Fukuda-Parr et al. 2002). Ces hypothèses ont un impact sur les questions de l'eau douce qui sont traitées avec succès par la coopération technique. Mais il peut y avoir un autre obstacle, moins compris ou moins reconnu : les barrières formelles et informelles dans les organisations de développement qui mettent en ouvre la coopération technique. Pour que les organisations puissent résoudre les problèmes des systèmes complexes, il faut que la coopération technique adopte des stratégies de gestion adaptative lorsque cela est possible. Pour ce faire, il faut retirer ou assouplir les barrières existantes dans les organisations.

Traditionnellement, les obstacles à la gestion durable de l'eau douce ont été des questions d'ingénierie telles que des techniques de pompage inadéquates ou des infrastructures de distribution de l'eau. Plus récemment, le niveau local, régional ou national des capacités et des innovations individuelles ou institutionnelles a été reconnu. Mais au niveau international, les organisations sont également pourvues de barrières empêchant la flexibilité et l'acquisition du savoir nécessaires pour résoudre les problèmes complexes.

Les barrières structurelles exogènes et endogènes ont un impact sur les actions des organisations. Les barrières exogènes incluent les facteurs institutionnels comme les systèmes juridiques internationaux ou économiques. Selon Gunderson et al., les barrières endogènes peuvent empêcher l'innovation et l'adaptation là où les " systèmes humains ont de plus grandes capacités à la rigidité et l'innovation. La capacité de la bureaucratie d'une agence gouvernementale à contrôler l'information et à résister au changement semble indiquer un niveau d'ingénuité individuelle et collective qui reflète le contrôle exercé par des personnes dévouées et intelligentes ".

Même si cette citation se veut quelque peu humoristique, elle n'en constitue pas moins un élément de vérité. Les barrières formelles endogènes forment une structure qui affecte la probabilité d'un changement. Il pourrait, par exemple, s'agir du lancement d'un projet de pipe-lines : par quelles voies les projets doivent-ils passer et à quelle rapidité.

Une autre barrière endogène serait de restructurer le système pour encourager la recherche interdisciplinaire ou durable; sans une préparation gestionnelle adéquate, de nouvelles responsabilités peuvent être perçues comme une menace à la qualité des résultats ou au statut quo.

Une autre barrière de ce type est l'information fournie aux responsables de projets. Dans la gestion de l'eau douce, par exemple, les données géophysiques sur les problèmes des ressources sont abondantes (voire même toujours disponibles), mais " la compréhension des dimensions sociales, économiques, institutionnelles et politiques essentielles à une gestion efficace fait défaut " (Burke et Moench 2000). L'information disponible et les barrières aux projets de pipelines peuvent rendre la transition entre les réponses techniques et adaptatives plus difficiles.

Par exemple, les ateliers sur les politiques de l'eau peuvent s'appuyer sur un modèle fondé sur les priorités économiques de recouvrement intégral des coûts, l'efficacité et les décisions concernant l'allocation rurale-urbaine qui ne sont pas nécessairement adaptées aux divers contextes locaux ou régionaux. Cependant, en raison des contraintes existant au sein des organisations de donateurs, ainsi que des barrières endogènes discutées ci-après, le modèle de coopération technique n'est pas adapté pour répondre aux besoins uniques des pays bénéficiaires. En fonction du contexte social et environnemental des bénéficiaires, les réponses (directes lorsqu'elles fournissent une formation aux professionnels sur les moyens de construire, de gérer et de maintenir l'infrastructure) sont moins efficaces lorsqu'elles tentent de transférer les concepts de participation locale, d'autonomie, de durabilité, de valeurs et de perceptions environnementales.

Les barrières endogènes informelles influent également sur les décisions individuelles et les résultats des organisations. Il est peu probable que ces barrières implicites soient évaluées en vue de déterminer leur influence sur la coopération technique en matière de gestion de l'eau.

Les décideurs doivent faire face à des incertitudes environnementales et à des informations de plus en plus nombreuses et souvent contradictoires. La réponse humaine à l'incertitude a été d'établir et de maintenir un système—dans les comportements, les procédures d'exploitation et les systèmes plus larges—souvent pour développer une efficacité systémique. Mais l'efficacité organisationnelle est au détriment de la flexibilité individuelle, elle se fige rapidement et devient une barrière pour les personnes qui travaillent dans l'organisation : les signes implicites des réussites—c'est-à-dire la réussite des projets conduisant à la promotion ou au renouvellement du contrat—deviennent la clef de voûte de l'organisation. Défier ces barrières établies comporte des risques et des responsabilités importantes pour les chefs de projets. En retour, ces risques implicites définissent la culture des organisations (Kaufman 1971).

Les obstacles subtils qui existent dans la culture d'une organisation peuvent constituer une barrière importante à l'application de la gestion adaptative. Par exemple, nous pensons que le développement de l'information va de pair avec l'acquisition du savoir, la prise de décisions et l'adaptation. Pour soutenir l'acquisition du savoir et la prise de décisions individuelle, les organisations consacrent des ressources importantes à la collecte d'information sur la gestion de l'eau douce. Mais supposer que l'amélioration de la prise de décisions peut être erronée parce qu'il est peu probable que l'apprentissage qui, la plupart du temps, bouleverse les croyances et les habitudes chez les personnes et dans les organisations, soit facilement accepté et avec enthousiasme, même si l'on a de plus en plus conscience de la nécessité du changement (Michael 1995).

Les difficultés à appliquer la gestion adaptative dans les organisations internationales continueront parce que " les contraintes de la formation et des compétences professionnelles, les limites de l'autorité et l'ignorance des résultats de nombreuses actions passées et à venir, empêchent la formulation équilibrée de toutes les solutions et options possibles ". Sans des techniques d'atténuation pour faciliter l'apprentissage individuel et organisationnel, les " menaces " de l'innovation peuvent empêcher l'adoption de nouvelles informations ou les avantages de l'adaptation (Michael 1995; Martin et al. 2001).

Enfin, la littérature sur la gestion et le développement des ressources ne s'est pas suffisamment penchée sur l'influence de la culture d'une organisation au sein de l'ONU et sur les réponses en matière de gestion des ressources. Si les décideurs sont disposés à fonctionner dans une structure formelle et informelle, la recherche doit documenter les barrières pour donner aux décideurs individuels la possibilité de choisir la voie à suivre et déterminer les résultats de ces choix en matière de gestion de l'eau.

Les organisations de l'ONU, particulièrement celles qui sont directement responsables des questions liées à la gestion intégrée de l'eau, sont importantes pour la gestion de l'eau douce. Elles peuvent être des réseaux de collaboration pourvus de la capacité de transférer le savoir et de soutenir les réformes institutionnelles nécessaires.

Pour cela, il faut mettre en place des structures souples, innovantes et solides. Ces structures permettront d'appliquer des stratégies adaptatives qui sont destinées à minimiser les incertitudes, les événements imprévus et les échecs dans l'acquisition du savoir et qui seront appliquées aux politiques, aux programmes et aux projets.

La mise en place des organisations souples et solides au sein du système ONU sera difficile dans un premier temps, mais elle doit inclure les mesures suivantes:

  • documenter les barrières existantes afin de comprendre le rôle et les contraintes sur les personnes travaillant dans les organisations;


  • examiner les relations dynamiques entre la formation professionnelle, les structures organisationnelles et les principes de base. Sans cela, il est impossible de comprendre le rôle potentiel de la gestion adaptative dans les organisations de développement et les programmes portant sur l'eau;


  • établir comment ces éléments influent de manière spécifique sur les stratégies de gestion adaptative d'une organisation et sur les efforts dans la construction de capacités ou la coopération technique en général et


  • considérer comment la prise de conscience des problèmes et des priorités peut varier selon l'ampleur des projets (par exemple, internationaux opposés à nationaux) et les environnements croisés.


  • Ces mesures complètent les qualités uniques des organisations de l'ONU. Elles permettront de mettre en place des réponses adaptatives pour la gestion de l'eau douce et la réduction de la pauvreté.

    Références
    Burke, Jacob J. and Marcus Moench. Groundwater and Society: Resources, Tensions and Opportunities. Themes in Groundwater Management for the Twenty-first Century. New York: Département des Nations Unies aux affaires économiques et sociales et l'Institut pour une transition sociale et environnementale, 2000.

    Cilliers, Paul. Complexity and Post Modernism: Understanding Complex Systems. London: Routledge, 1998. Fukuda-Parr, Sakiko, Carlos Lopes and Khalid Malik, Eds. "Overview: Institutional Innovations for Capacity Development." Capacity for Development: New
    Solutions to Old Problems.
    London: Earth Scan Publications Publications et Programme des Nations Unies pour le développement, 2002.

    Gleick, Peter. The Changing Water Paradigm: A Look at Twenty-first-Century Water Resources Development. Water International 25, 1 (2000): 127-138.

    Gunderson, Lance H. and C. S. Holling. Panarchy: Understanding Transformations in Human and Natural Systems. London: Island Press, 2002.

    Kaufman, Herbert. The Limits of Organizational Change. University of Alabama: The University of Alabama Press, 1971.

    Martin, R. L., Mary Ann Archer and Loretta Brill. Why Do People and Organizations Produce
    the Opposite of What They Intend?
    Rapport spécial à l'enquête de Walkerton, Part II, 2001.

    Michael, Donald N. "Barriers and Bridges to Learning in a Turbulent Human Ecology." Gunderson, Lance H., C. S. Holling and Stephen S. Light, Eds. Barriers and Bridges to the Renewal of Ecosystems and Institutions. New York: Columbia University Press, 1995. 461-85.

    Mitchell, Bruce. Resource and Environmental Management. Essex: Addison Wesley Longman, 1997.

    La Biographie
    Sarah Wolfe prépare un doctorat de géographie à l'University of Guelph, au Canada. Dans le cadre de Guelph Water Management Group, elle mène des recherches sur l'innovation des réseaux et les décisions des organisations en matière de gestion de l'eau.
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