Le Pacte mondial: Une expérience historique Extraits de " The Evolution of The Global Compact Network: an Historic Experiment in Learning and Action " de George Kell et David Levin
Dans son discours prononcé le 31 janvier 1999 lors du Forum économique mondial, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a appelé les chefs d'entreprise du monde à souscrire à neuf valeurs et principes communs dans les domaines des droits de l'homme, des normes du travail et des pratiques environnementales. Sa proposition a catalysé la création d'un réseau mondial représentant des possibilités sans précédent. Le réseau du Pacte mondial, composé de plusieurs centaines d'entreprises, de dizaines d'ONG, de fédérations internationales du travail et de plusieurs institutions de l'ONU, a pour objectif de contribuer à fournir un marché mondial plus stable, plus équitable et plus inclusif en s'assurant que les neuf principes font partie intégrante des activités commerciales mondiales.
L'instabilité du marché mondial sous sa forme actuelle est due, en partie, à l'absence de piliers sociaux et environnementaux nécessaires à l'équilibre du système des échanges économiques. La structure de gouvernance mondiale fournit de nombreuses règles pour traiter des questions économiques importantes, telles que les droits de la propriété intellectuelle, mais est moins efficace lorsqu'il s'agit de prendre des mesures pour protéger l'environnement et les droits de l'homme. La mondialisation restera menacée tant que ce déséquilibre ne sera pas rectifié. L'ordre économique international doit également être plus inclusif en offrant aux milliards de pauvres marginalisés l'accès aux marchés mondiaux de façon à leur garantir les mêmes opportunités de progrès. Cela nécessite principalement que ceux qui dominent actuellement le marché mondial s'engagent à promouvoir le renforcement des capacités économiques des pays défavorisés par le biais du développement durable. Cela nécessite également l'élimination des différences commerciales néfastes aux pays en développement, telles que les barrières commerciales et les subventions dans des domaines où les pays en développement ont un avantage comparé.
Le Pacte mondial ne peut pas résoudre toutes les insuffisances du capitalisme mondial mais il peut apporter une contribution importante en établissant une base de valeurs communes et en exploitant les compétences et les ressources du secteur privé.
Il ne se substitue pas à l'action des gouvernements ni ne présente un cadre législatif et réglementaire ou des codes de conduite pour les entreprises. Il est plutôt conçu comme une plate-forme fondée sur des valeurs, créée pour promouvoir l'apprentissage institutionnel avec un minimum de formalités et de bureaucratie.
Le Pacte est essentiellement une stratégie destinée à rendre l'ONU plus efficace en la dotant d'une plus grande autorité et en lui donnant la possibilité de créer les changements sociaux positifs auxquels elle aspire.
Nous soutenons que ce réseau constitue un mécanisme viable permettant de combler partiellement les lacunes de la gouvernance dans le domaine de l'économie mondiale en engendrant un consensus sur les crises sociales et environnementales importantes et en fournissant les moyens de les améliorer par le biais d'une action de coopération. De surcroît, nous affirmons qu'en facilitant la transparence, le dialogue et la diffusion de meilleures pratiques, le Pacte mondial encourage la citoyenneté d'entreprise. Nous nous gardons cependant de faire des déclarations trop ambitieuses, reconnaissant les difficultés inhérentes qui défient la solidité et le dynamisme du réseau.
Les insuffisances systémiques du cadre actuel régissant les transactions économiques au niveau mondial engendrent l'instabilité et piquent au vif ceux qui sont concernés par la justice sociale.
Nous résumons brièvement quelques-unes des sources d'insatisfaction concernant l'actuel système économique mondial. Premièrement, il a été largement démontré, avec chiffres à l'appui, que l'expansion du capitalisme mondial a coïncidé avec l'augmentation des inégalités entre et à l'intérieur des nations. Ces chiffres indiquent qu'au cours des 50 dernières années, la croissance économique était à deux vitesses, l'écart des revenus entre le cinquième des plus riches de la population mondiale et le cinquième des plus pauvres étant de 74 pour 1 en 1997, de 60 pour 1 en 1999 et de 30 pour 1 en 1960. Les données montrent également que le quintile le plus riche représente 86 % du produit intérieur brut mondial, bénéficie de 82 % du commerce extérieur en expansion et 68 % des investissements étrangers directs, tandis que le quintile le plus pauvre ne bénéfice que de 1 %.
Deuxièmement, le marché mondial n'a pas permis l'inclusion de la vaste majorité de la population mondiale, spécialement celle des pays en développement, où plus de 1,2 milliard de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour, près d'un milliard n'ont pas accès à des sources d'eau salubre et plus de 850 millions sont illettrés. Troisièmement, beaucoup considèrent que la mondialisation a érodé l'autonomie et la souveraineté des pays les plus pauvres situés à la " périphérie " du système économique mondial, portant ainsi atteinte à leur pouvoir de négociation vis-à-vis des acteurs dominants au centre du système. La doctrine du " consensus de Washington ", disent-ils, a effectivement diminué le rôle des gouvernements dans l'économie mondiale en encourageant la privatisation, la dérégulation ainsi que la réduction des impôts sur les sociétés, sur les bénéfices industriels et sur les gains en capital.
Quatrièmement, la libéralisation de l'investissement et des régimes commerciaux a augmenté le pouvoir de négociation et l'influence des sociétés transnationales qui contrôlent les investissements étrangers directs, le transfert des technologies, 8 000 milliards de dollars de ventes annuelles et deux tiers des exportations mondiales. Cinquièmement, certains affirment que le processus de mondialisation a tendance à favoriser la fourniture des biens privés au détriment des biens publics, comme la préservation de la paix, l'allégement de la pauvreté, la protection de l'environnement et la défense des droits du travail et des droits de l'homme. Et, finalement, malgré l'évidence du contraire, nombreux sont ceux qui considèrent que les efforts déployés pour attirer des capitaux étrangers a engendré une " course vers le bas ", où les sociétés encouragent la réduction des normes du travail et de l'environnement alors qu'elles cherchent à investir dans des pays moins respectueux des normes.
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Foto UNHCR
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Alors que l'appel à l'action a été lancé par le Secrétaire général neuf mois avant que ces questions fassent l'objet d'une couverture médiatique importante suite aux manifestations antimondialistes qui ont eu lieu à Seattle, il était alors évident que la mondialisation avait érodé l'efficacité des accords internationaux constituant la base de l'ordre mondial économique après la Seconde Guerre mondiale. Dans son article riche et original sur l'ordre économique après la guerre, John Ruggie a démontré que l'autorité internationale repose non seulement sur des règles et des procédures mais aussi sur des principes qui établissent le cadre normatif des accords multilatéraux. Il a inventé le terme " libéralisme imbriqué " pour décrire l'ordre économique de l'après-guerre comme fondé initialement sur un compromis unique entre le commerce multilatéral et la stabilité nationale. Le régime international était initialement " imbriqué " dans un objectif social et un cadre normatif plus larges que ne l'étaient les accords de Bretton Woods. Cependant, les promesses de partager les coûts sociaux d'ajustement de l'expansion libérale et d'assurer la stabilité nationale n'ont jamais été tenues et ce, au détriment des pays les moins développés (1982). L'essor rapide de la mondialisation dans les années 1990 n'a fait qu'empirer les choses.
À la fin de la décennie, il était clair que l'architecture économique mondiale n'était pas imbriquée dans un cadre plus large de valeurs sociales communes et n'avait donc pas la légitimité sociale indispensable pour sa survie. Un déséquilibre dans les structures de la gouvernance mondiale a persisté, où les règles strictes et les capacités d'application de la loi en matière d'expansion économique n'ont pas été accompagnées de règles solides dans le domaine de la justice sociale. Alors que les pays développés avaient mis en place des mécanismes institutionnels pour les protéger de ce déséquilibre, ce n'était pas le cas des pays pauvres, ce qui les rendait plus vulnérables.
Il s'est avéré de plus en plus nécessaire de concevoir un équilibre institutionnel comparable en pratique à celui inscrit en théorie après la Seconde Guerre mondiale.
Bien avant la Troisième Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui s'est tenue à Seatlle (État de Washington, États-Unis), un débat houleux avait eu lieu sur la faisabilité et les avantages de créer cet équilibre en incluant des dispositions sociales et environnementales dans le régime commercial international. Les partisans, notamment de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), les syndicats ouvriers du Nord, les pays européens petits mais riches, les industries du Nord en déclin et quelques économies chefs de file, craignaient que la course vers le bas ne continue jusqu'à ce qu'un minimum de normes mondiales soit établi. Dans l'autre camp, d'éminents économistes, comme Jagdish Bhagwati, ont avancé plusieurs arguments contre cette proposition. Premièrement, de telles dispositions entraveraient le système international et le rendraient inefficace. Deuxièmement, les sanctions commerciales concernant les conditions de travail et de l'environnement seraient discriminatoires envers ceux qu'elles visent à protéger et leur porteraient atteinte; les pays moins développés n'auraient pas les ressources pour satisfaire aux normes internationales et les sanctions commerciales auraient des conséquences néfastes pour les enfants. Troisièmement, la raison qui motivait les syndicats du Nord était de protéger leurs salaires et leurs emplois par le biais du protectionnisme.
Le Secrétaire général de l'ONU a estimé que ce n'était pas en incluant des normes sociales et environnementales à l'OMC que le marché sera plus stable et plus inclusif mais plutôt en élargissant l'accès du marché aux pauvres et en renforçant l'autorité des institutions sociales et environnementales internationales. Il aurait fallu que l'OMC entreprenne des réformes telles que la limitation du recours au droit antidumping par les pays industrialisés, les restrictions commerciales et l'octroi de subventions dans les domaines où les pays moins développés ont un avantage comparé. En 1999, les pays industrialisés ont dépensé plus de 360 milliards de dollars en subventions agricoles alors que leurs contributions annuelles à l'aide étrangère sont de 53,7 milliards de dollars. Il est certain que réformer le système commercial mondial ne serait pas efficace si, en même temps, on n'aidait pas les pays pauvres à construire les capacités par le développement social et économique durable. L'appel à renforcer les institutions sociales et environnementales de l'ONU, telles que l'Organisation internationale du Travail (OIT) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUE), a été crucial à la fois pour accélérer le développement de la structure de la gouvernance mondiale et en restaurer l'équilibre. Il manquait, cependant, une proposition visant à solliciter l'engagement des chefs d'entreprise afin de s'assurer qu'ils soutiennent les valeurs universelles et les objectifs dont l'ONU s'est fait le champion.
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Georg Kell, chef exécutif du Bureau du Pacte mondial, une initiative lancée par l'ONU, a écrit cet article en collaboration avec David Levin, étudiant à The Wharton School, University of Pennsylvania. |
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