L'OPEP : assurer un avenir énergétique durable Par Alvaro Silva-Calderón
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OPEP photo | Pendant quatre décennies, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) s'est engagée à établir des principes destinés à assurer un avenir énergétique durable pour le monde où nous vivons. Deux objectifs fondamentaux ont formé la pierre angulaire de cette approche : maintenir la stabilité du marché du pétrole et chercher à fixer un prix raisonnable pour le pétrole qu'il produit. Ces buts ont été essentiels à l'Organisation depuis sa création à Bagdad, en Irak, en septembre 1960. Et bien que l'OPEP ait toujours affirmé que le contrôle du marché pétrolier ne devrait pas être confié à ses seuls membres, elle a pris d'importantes décisions qui ont permis à l'industrie de surmonter des crises graves et a toujours pris ce rôle très au sérieux.
En fait, depuis sa création, l'OPEP a été amenée à jouer un rôle central dans un jeu d'équilibre souvent difficile tentant de garantir des revenus adéquats à la fois pour les producteurs, les compagnies et les investisseurs tout en essayant de satisfaire les besoins des consommateurs, spécialement en garantissant un approvisionnement pétrolier à des prix raisonnables et équitables.
Nous savons bien qu'au cours des années, un grand nombre de pays producteurs et de pays consommateurs étaient partisans d'un marché pétrolier international sans contrôle et sans influence.
Comme l'ont montré les deux dernières décennies, cette approche est inadéquate, spécialement dans le secteur aussi divers et complexe que celui du pétrole. De tous les produits exportés dans le monde, le pétrole est, sans aucun doute, le plus imprévisible et le plus volatil.
Le cours du pétrole brut international peut s'effondrer ou monter en flèche du jour au lendemain. Il peut être affecté par une multitude de facteurs et pas seulement par les principes fondamentaux liés à l'offre et à la demande. Les réactions à fleur de peau et la spéculation se sont également avérées problématiques. Au Moyen-Orient, par exemple. À la simple suggestion que les États-Unis allaient lancer une offensive militaire contre l'Irak, le prix du pétrole brut a connu, en quelques semaines, une hausse massive de 10 dollars par baril, alors que les approvisionnements mondiaux étaient suffisants. Il n'y avait aucune raison pour que la situation de l'offre et de la demande crée un tel sentiment de panique, pourtant l'incertitude de l'avenir a engendré une hausse des prix. Laisser un environnement commercial aussi volatil sans aucun contrôle serait donc, à notre avis, courir à la catastrophe.
Il faut cependant souligner que le contrôle du marché pétrolier n'est pas un fait nouveau. Les premières tentatives visant à équilibrer l'offre et la demande, qui ont eu par la suite des répercussions sur les prix, avaient été effectuées aux États-Unis par la Texas Railroad Commission au début des années 1930. À la même époque, le Congrès américain avait approuvé la création de l'Interstate Oil and Gas Compact Commission. Ces deux commissions avaient pour principale fonction de contrôler la production en vue de maintenir un certain niveau des prix. Plus tard, la tentative de création, pour peser sur les prix du pétrole, d'un cartel de grandes compagnies pétrolières, appelé les " sept sours ", a donné naissance à l'OPEP qui était chargée de défendre la souveraineté de ces cinq membres fondateurs ainsi que leurs droits d'exploitation du pétrole.
L'OPEP a dû faire face à une série de chocs pétroliers dont certains ont porté un coup sévère aux économies occidentales.
L'Organisation a mis en ouvre un grand nombre de mécanismes visant à stabiliser le marché mais, en raison de la nature même de l'industrie pétrolière, la volatilité n'a pas disparu. Récemment, nous avons connu un nouveau cycle d'instabilité causé par la crise au Moyen-Orient et les hostilités en Irak, l'un des pays fondateurs souverains. Même si l'OPEP n'exerçait aucun contrôle réel sur ces événements politiques, elle n'allait pas pour autant croiser les bras et attendre que les choses rentrent dans l'ordre. Il était impératif de surveiller étroitement la situation et d'être prêts à répondre rapidement et efficacement à toute action menaçant les intérêts des producteurs, des consommateurs et de l'industrie dans son ensemble. Heureusement que certains membres possèdent des stocks suffisants pour faire face à la pénurie mais nous savons d'expérience qu'il ne faut pas prendre de décision précipitée et qu'il faut étudier soigneusement les principes fondamentaux du marché avant de prendre de nouvelles décisions.
Si le marché pétrolier nous a enseigné une chose au cours des années, c'est bien celle que son contrôle ne peut être exercé par un groupe à lui seul. Les onze membres de l'OPEP contrôlent actuellement 40 % de la production mondiale de pétrole, il est donc irréaliste d'attendre qu'ils résolvent tous les problèmes à eux seuls. C'est pourquoi la coopération parmi et entre les producteurs et les consommateurs est si essentielle pour assurer un avenir sûr et prospère. Tous les producteurs sont touchés lorsque les prix flambent ou s'effondrent. Il est donc logique qu'ils s'unissent pour affronter les crises ensemble. Tous les producteurs sans exception sont affectés par le prix du pétrole, qu'il soit bas ou élevé. Comme nous l'avons vu en 1998, lorsque le prix du pétrole brut est tombé au-dessous de 10 dollars le baril, les prix bas sont un problème commun nécessitant des politiques et des actions communes. L'OPEP n'a pas les moyens de maintenir unilatéralement la stabilité du marché ni d'ailleurs d'en assumer seule la responsabilité. Si les producteurs et les consommateurs n'agissent pas d'une manière concertée, le marché imposera sa loi, souvent avec des conséquences désastreuses pour tous.
En tant que producteurs de cette ressource d'énergie limitée, que pouvons-nous donc faire pour assurer un avenir énergétique durable ? Tout d'abord, nous devons chercher à limiter le plus possible la volatilité du marché et à veiller à ce que les prix soient raisonnables. Nous considérons qu'une fourchette comprise entre 22 et 28 dollars le baril est raisonnable c'est pourquoi nous nous l'avons adoptée comme fourchette de référence, qui a été calculée en tenant compte des intérêts de tous les acteurs du marché.
Il est intéressant de noter que le plafond de 28 dollars correspond à celui de 18 dollars que l'OPEP avait fixé en 1986, en tenant compte de l'inflation et de la valeur du dollar. De même, le prix cible de 21 dollars que nous avions fixé en 1990 correspond aux 25 dollars actuels, qui se situent au milieu de la fourchette. Nous devons, en même temps, essayer de définir les meilleures mesures à adopter face à l'incertitude du marché mondial et être prêts à répondre rapidement et efficacement à toute éventualité.
Nous sommes tout à fait conscients de la nécessité de ne pas adopter de mesures qui accentueraient la faiblesse des économies d'un grand nombre de pays développés ou entraveraient le développement économique des nations les plus pauvres.
Malgré la situation mondiale actuelle, nous ne devons pas perdre de vue qu'assurer l'approvisionnement énergétique est un élément vital du processus de développement des économies des pays les plus défavorisés. Actuellement, environ 2 milliards de personnes n'ont pas accès aux approvisionnements d'énergie. Et lorsque l'on sait qu'environ 2,4 milliards de personnes dépendent de la biomasse pour la cuisson des aliments et le chauffage et qu'1,6 milliard n'a pas l'électricité, le développement des formes traditionnelles d'énergie dans ces nations a une portée considérable. Ceci offre des perspectives intéressantes pour tous les acteurs de l'industrie pétrolière et contribue à éradiquer la pauvreté, à assurer le développement durable et à aider les populations de ces pays à avoir accès aux formes commerciales d'énergie.
L'OPEP cherche constamment de nouveaux moyens d'accroître la sensibilisation du marché. Nous nous efforçons de nous appuyer sur les progrès considérables réalisés sur le marché pétrolier international au cours des années par l'engagement de producteurs et d'acteurs importants responsables. Avant les événements tragiques du 11 septembre 2001, nous jouissions d'une période de prospérité et de stabilité dans le marché, étayée par l'établissement d'un mécanisme de fixation des prix transparent et accepté par une large majorité. Pendant les périodes d'incertitude, nous devons être prêts à renforcer notre détermination et à nous assurer que nos politiques de production sont en stricte conformité avec les besoins du marché. Nous espérons également poursuivre notre coopération avec les pays producteurs de pétrole non membres de l'OPEP ainsi qu'avec les pays consommateurs.
Dans les années à venir, tout laisse à penser que le pétrole continuera d'être la première source d'énergie à satisfaire les besoins de la population mondiale, du moins dans un avenir proche. Alors que certains pays verront leur capacité de production diminuer, d'autres verront leur part de marché augmenter. Mais tous les producteurs auront un champ de manouvre suffisamment large pour mener leurs affaires. Malgré les problèmes récents, les perspectives à moyen et à long à terme du secteur pétrolier mondial indiquent une croissance continue. D'après les prévisions et les projections tirées du dernier Modèle énergétique mondial (OWEM) de l'OPEP, les estimations montrent que la croissance économique mondiale devrait augmenter en moyenne de plus de 3 % par an au cours des douze prochaines années, ponctuées par des périodes de hauts et de bas.
Plus de 75 % de l'augmentation viendront des pays en développement où la demande doublera au cours de cette période. L'OPEP, qui comptabilise plus de 75 % des réserves pétrolières mondiales, continuera à jouer un rôle fondamental dans le secteur énergétique mondial. D'après les chiffres fournis par l'OWEM, on estime que la demande pétrolière mondiale augmentera d'environ 76 millions de barils par jour (b/j) en 2000 pour atteindre 89,3 millions b/j en 2010 et 107,3 millions b/j en 2020.
Alors que la production pétrolière des pays non membres de l'OPEP atteindra probablement un palier les deux premières décennies du XXIe siècle, les pays membres de l'OPEP satisferont la plus grande partie de cette nouvelle demande. D'après nos projections, l'OPEP produira 36 millions b/j de brut en 2010, ce qui représentera 40,2 % de l'offre mondiale, et atteindra 52,1 millions en 2020, avec une part du marché de 48,6 %.
Même si la sécurité pétrolière est assurée dans les années à venir, l'utilisation du gaz, dont nos membres possèdent également d'importants gisements, augmentera plus rapidement. D'après les projections, la demande en gaz devrait pratiquement doubler au cours des vingt prochaines années, ce qui générera des profits supplémentaires pour les économies des pays membres. Le gaz est de plus en plus considéré comme combustible de choix. C'est un combustible sûr, fiable, une source de production d'énergie très efficace et relativement meilleur marché, quoique le prix du transport vers les pays consommateurs reste très élevé. Nos estimations montrent que dans les pays membres de l'Organisation pour la coopération économique et le développement, l'utilisation du gaz dans l'utilisation totale de plusieurs sources d'énergie devrait passer de 21 % en 2002 à plus de 23 % en 2010. D'ici 2020, ce chiffre risque d'atteindre plus de 25 %. Ce phénomène se constate également dans les pays non membres de l'OPEP, l'utilisation du gaz passant de plus de 25 % en 2000 à plus de 27 % en 2010. En 2020, ce chiffre devrait atteindre plus de 30 %.
Bien entendu, compte tenu de cette expansion projetée tant dans l'utilisation du pétrole que dans celle du gaz, les producteurs devront répondre aux besoins en augmentant leur potentiel de production énergétique. Les investissements que les membres de l'OPEP devront fournir pour maintenir leurs capacités de production actuelles et assurer la sécurité énergétique de l'avenir sont énormes. D'après nos projections, les dépenses s'élèveront à près de 100 milliards de dollars d'ici à 2010 et 209 milliards de dollars d'ici à 2020. Pour les pays producteurs non membres de l'OPEP, les prévisions d'investissement sont importantes environ 600 milliards de dollars d'ici à 2010 et plus de 860 milliards d'ici à 2020.
Pour ce qui est du Moyen-Orient, les six membres de l'OPEP de la région Iran, Irak, Koweït, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis représentent ensemble 70 % de la production des pays de l'OPEP. Ils ont combiné des réserves pétrolières équivalant à 684 milliards de barils et des gisements de gaz s'élevant à 70 billions de mètres cubes. Dans les années à venir, alors que la demande mondiale en énergie augmentera considérablement, la région sera amenée à jouer un rôle vital. Cette région possède également la capacité de production supplémentaire de l'OPEP. Compte tenu de l'incertitude et de l'imprévisibilité du marché, il est extrêmement important que l'industrie pétrolière mondiale mette en place ce système de sécurité. En dépit des problèmes récents, la région du Moyen-Orient est, et demeure, un fournisseur en pétrole stable et fiable. Les immenses quantités de pétrole et de gaz à des prix relativement bas dont l'économie mondiale aura besoin pour poursuivre son expansion se trouvent dans cette région, et elles sont en quantités suffisantes.
Certains pays ont exprimé leurs inquiétudes concernant la concentration de la richesse pétrolière et la menace que cela pose pour la sécurité des approvisionnements, mais ils devraient reconnaître la situation pour ce qu'elle est : pour se développer, leurs économies devront compter dans les années à venir sur cette source d'approvisionnements énergétiques.
Le pétrole, comme tout autre produit mondial, fait l'objet de règles et de réglementations en matière d'offre et de demande. Mais en raison de la complexité de l'industrie et de sa vulnérabilité par rapport à un grand nombre de facteurs d'influence, ce secteur ne peut survivre à lui seul dans un marché libre. Il nécessite une forme de contrôle, comme c'est le cas dans d'autres secteurs vitaux comme l'agriculture. L'OPEP s'est toujours attachée à fournir ce service, non pas, comme certains le prétendent, pour augmenter les prix mais pour fournir un environnement sûr où l'industrie peut se développer et prospérer tout en assurant le bien-être de ses pays membres. La tâche n'est pas aisée. L'OPEP s'attache à prendre des mesures équitables mais elle a besoin du soutien des producteurs comme de celui des consommateurs. Une vaste coopération entre tous les joueurs est une condition essentielle au futur succès de l'industrie, particulièrement dans l'environnement actuel où les principes fondamentaux de l'offre et de la demande sont souvent supplantés par les décisions précipitées et la spéculation. Nous devons également établir un équilibre juste et raisonnable dans le commerce international du pétrole. Les producteurs ne perçoivent que 20 % du prix final du produit, alors que de nombreux gouvernements de pays consommateurs, par le biais de taxes élevées, encaissent jusqu'à 70 %. Même l'industrie et, par là, je parle des compagnies et des raffineries de pétrole, gagne en moyenne 20 %.
La vision de l'avenir que l'OPEP a développée n'a pas réellement changé depuis la création de cette organisation. Son objectif est de fixer des prix de pétrole brut qui permettent aux pays membres de prospérer et de tirer parti de leurs ressources naturelles. Mais ce n'est pas tout. Il faut également que les compagnies pétrolières soient dotées d'un environnement de travail qui contribue au succès de leurs opérations. Et, dernier point mais tout aussi important, en établissant les prix du pétrole, l'OPEP veut tenir compte des conditions budgétaires des pays consommateurs. La prospérité et le développement des membres de l'OPEP se traduiront par une coopération solide et fructueuse avec le monde extérieur pour le bénéficie de toutes les parties impliquées. Forte de son expérience passée, l'Organisation est équipée pour affronter le nouveau millénaire d'une manière efficace et prospère.
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Alvaro Silva-Calderón est secrétaire général de l'OPEP depuis le 1er juillet 2002. Il a été, pendant plus de 25 ans, ministre de l'énergie et des mines au Venezuela et professeur émérite, ainsi que maître de conférences à l'école de droit d'Universidad Central de Venezuela. |
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