Dans sa fameuse allocution « Changement pour la paix », prononcée en avril 1953, Dwight E. Eisenhower, ancien président des États-Unis, a mis en garde l'American Society of Newapaper Editors : « Ce monde en armes ne dépense pas seulement de l'argent. Il dépense la sueur de ses travailleurs, le génie de ses savants, les espoirs de ses enfants [...] Ce n'est pas du tout une façon de vivre, en aucun sens véritable. Sous les nuages de la guerre menaçante, c'est l'humanité pendue à une croix de fer. N'y a-t-il pas une meilleure façon de vivre ? »
Plus de cinquante ans plus tard, face aux armes nucléaires, la question est toujours d'actualité et l'investissement international dans le maintien de la paix demeure difficile à réaliser.
La guerre coûte cher. La Banque mondiale indique que deux décennies de guerre et de conflit en Afghanistan coûtent 240 milliards de dollars. On estime que les coûts de reconstruction sont supérieurs à 275 milliards. Cette somme allouée au cours des sept prochaines années permettra à l'Afghanistan de sortir de la misère, de résoudre le problème de la faim et d'atteindre un produit national brut (PNB) annuel par habitant d'environ 500 dollars. D'un autre côté, s'il n'y avait pas eu vingt ans de conflit, le revenu annuel moyen d'un Afghan aurait probablement atteint environ 500 dollars par personne.
Le financement de la guerre, plus que le maintien de la paix, engendre des résultats catastrophiques. Selon le correspondant de guerre du New York Times, Chris Hedges, « la guerre possède une force et un pouvoir en soi [...] La guerre menée pour conquérir un empire ou des richesses à une époque où nos ennemis peuvent également acquérir des armes apocalyptiques risque de nous entraîner vers notre propre destruction. Nous prenons un malin plaisir à nous détruire. Durant la guerre, nous souffrons autant de la destruction que nous la causons. Lorsque le terrible pouvoir de la guerre est déclenché, nous devenons son pion, son instrument. »
Plus le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies s'emploiera à mettre un terme aux guerres et à prévenir de nouvelles, plus les États Membres de l'ONU devront investir financièrement et fournir des personnels. Heureusement, un grand nombre d'États Membres se sont acquittés de leurs obligations en matière de financement et de police civile, d'observateurs militaires et de soldats. Des pays tels que le Bangladesh, le Pakistan, le Ghana et le Népal ont considérablement contribué à l'envoi de contingents militaires. Par exemple, en novembre 2003, les Nations Unies comptaient 4 110 « casques bleus » du Bangladesh (dont le PNB était de 47,6 milliards de dollars en 2002), 4 565 en décembre 2003 et 6 362 à la fin d'avril 2004. Pendant la même période, le Ghana (dont le PNB était de 6,2 milliards de dollars en 2002) a fourni 2 077 militaires le premier mois, 2 174 le mois suivant et 2 627 en avril 2004.
En revanche, la contribution de pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis, la France et l'Allemagne n'a pas été aussi importante. L'Allemagne, dont le PNB a atteint 2 000 milliards de dollars en 2002, a fourni 16 militaires en novembre 2003, 14 en décembre 2003 et en avril 2004. Les États-Unis, dont le PNB s'élevait à 10 400 milliards de dollars en 2002, a envoyé deux soldats en novembre 2003, ainsi qu'en décembre 2003, et cinq en avril 2004. Et évidemment, ce sont les pays au PNB le plus élevé qui possèdent les plus grandes ressources militaires, les meilleurs services spécialisés en matière de soutien militaire et les meilleures réserves stratégiques.
« Le maintien de la paix est une responsabilité de tous », a dit à la Chronique le Directeur des affaires politiques, David Wimhurst. « Nous apprécions le soutien des pays en développement et espérons qu'ils continueront. Dans le même temps, nous avons actuellement quinze missions, dont de nouvelles au Liberia, en Côte d'Ivoire et en Haïti. Aujourd'hui, nous avons besoin de 1 600 policiers de langue française. Ces missions nécessitent également des services spécialisés en matière de soutien militaire que les pays développés peuvent facilement fournir. Ces nombreux projets nécessitent des ressources et un matériel plus sophistiqué afin d'assurer la paix et de prévenir l'escalade de la guerre dans la communauté internationale. »
Les faits et les chiffres de la Banque mondiale démontrent les conséquences d'une escalade de la guerre. Le rapport intitulé « La guerre au Kosovo détruit le commerce dans les pays des Balkans » explique comment les bombardements des grands axes routiers par l'OTAN ont causé un grave problème économique pour l'ensemble des Balkans. Les coûts de reconstruction dans cette région dépasseront 50 milliards de dollars. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Croatie et en ex-République yougoslave de Macédoine, le PNB pourrait diminuer de 5 % en raison de la baisse de l'investissement étranger et du tourisme, ainsi que des profondes perturbations dans le développement du secteur commercial et de l'infrastructure. La Banque mondiale et le Fonds mondial international ont estimé que plus de 2,2 milliards de dollars en investissements étrangers étaient nécessaires pour la reconstruction des cinq pays et de la Roumanie. Ils ont également estimé que les camps de réfugiés devaient être financés par l'OTAN, qu'il fallait reconstruire les ponts du Danube détruits pour relier les pays entre eux et rétablir les systèmes électriques et de communications, tous ces aspects étant liés à l'économie des pays concernés.
Ce ne sont pas seulement la guerre et le conflit qui ponctionnent les ressources financières et les autres ressources de la communauté internationale mais aussi les conséquences négatives que cette situation a sur les pays voisins. Contrairement aux centaines de milliers de dollars qui sont consacrés à la guerre suite à laquelle il faut reconstruire le pays et remettre sur pied son économie, les investissements incrémentiels dans la gestion des conflits offrent un plus grand dividende. Selon le Forum politique mondial, les coûts de maintien de la paix en Bosnie et au Kosovo représentent approximativement le coût d'un bombardier B-2, soit 2 millions de dollars.
Non seulement la guerre coûte cher mais elle a des conséquences directes : perte en vies humaines, souffrances humaines, réfugiés, instabilité politique, développement économique freiné et dégradation de l'environnement. C'est précisément ce genre de problèmes que le gouvernement en guerre de Cayagan de Oro et le Front de libération islamique Moro (MILF) ont tenté d'éviter aux Philippines en instaurant un accord de paix. Une étude de la Banque mondiale, présentée en 2003 lors de la Conférence des hommes d'affaires à Mindanao, a démontré qu'une guerre entre le gouvernement et le MILF coûterait plus de 2 milliards de dollars et détruirait l'économie. Toujours selon l'étude, l'investissement étranger a baissé de 79 %, les investissements locaux de 62 % et la région autonome du Mindanao musulman (RAMM), où se déroule le conflit, a enregistré une croissance négative lors de la guerre totale menée durant les années 1999 et 2000. Durant cette période, on a compté plus de 800 000 réfugiés. Les ressources naturelles limitées et contestées en énergie, en eau, en terres et en bois de construction ont exacerbé le problème.
Selon M. Wimhurs, il faudrait consacrer au moins 3 milliards de dollars du budget du maintien de la paix pour maîtriser le conflit. Même un budget international de 4 milliards de dollars pour le maintien de la paix représente une infime portion du budget annuel de la défense de certains États. On est, semble-t-il, plus enclin à financer la guerre et à détruire des vies et l'environnement naturel qu'à investir de façon beaucoup plus modeste dans la paix.
En comparant le nombre de soldats envoyés par les pays occidentaux développés dans les opérations de maintien de la paix de l'ONU, on peut constater qu'il existe un « déséquilibre manifeste entre les 30 000 militaires envoyés par l'OTAN au Kosovo et les 10 000 casques bleus de l'ONU déployés dans la République démocratique du Congo (RDC) fortement peuplée », a déclaré la Vice-secrétaire générale, Louise Fréchette. Le Kosovo compte une population d'environ 2,4 millions d'habitants, alors que celle de la RDC avoisine les 57 millions. Depuis 1998, 3,5 millions de Burundais sont morts des conséquences de la guerre. Plus de 1,5 million d'habitants sont morts pendant la guerre en Angola.
Au vu des 15 missions de maintien de la paix, dont cinq se trouvent en Afrique, le Secrétaire général adjoint de l'ONU pour les opérations de maintien de la paix, Jean-Marie Guéhenno, exhorte les États Membres à augmenter le nombre de militaires. « Nous sommes à un moment critique. L'heure est venue pour les nations de considérer comment elles veulent utiliser leur force militaire en 2004 parce que les demandes seront élevées. Si elles ne sont pas prêtes à y répondre, l'ONU ne sera pas à même de remplir son rôle. »
Aider le Département des opérations du maintien de la paix à remplir sa mission ne compromet pas la souveraineté d'une nation. L'envoi de militaires ne compromet en aucune façon l'indépendance d'une nation ni la mise en ouvre de sa politique étrangère. L'ONU ne possède pas d'armée, mais dépend des États Membres pour financer les missions de la paix et fournir des personnels militaires afin de prévenir et de résoudre les conflits au lieu de laisser les guerres éclater. La capacité ou l'incapacité de l'ONU à payer le personnel dépend des obligations auxquelles s'acquittent ou ne s'acquittent pas les États Membres. Sur les 191 États Membres, seulement 96 ont contribué aux opérations de maintien de la paix. Or, ces contributions ne suffisent pas à répondre aux pressions actuelles imposées sur les ressources de l'ONU. Il est clair qu'avec la guerre en toile de fond, l'investissement des nations développées et en développement dans le maintien de la paix est important. Il s'agit d'une façon plus humaine de dépenser la sueur des travailleurs, le génie des scientifiques et les espoirs des enfants. -Fayth A. Ruffin |