Chronique ONU
10 sujets dont le monde n'entend pas assez parler
Les populations autochtones vivent dans un isolement délibéré

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L'article
Le chef de la Ligue des Iroquois, Deskaheh, et le chef spirituel maori, T.W Ratana, auraient de bonnes raisons de sourire en regardant les Nations Unies de leur royaume ancestral en 2004. Représentant la Confédération des six nations d'Iroquois dans une mission auprès de la Société des Nations en 1923, le chef Deskaheh s'était rendu du Canada à Genève, siège de la Société, mais celle-ci avait refusé de l'entendre. De même, en 1924, pour protester contre le non-respect du Traité de Waitangi par la Nouvelle-Zélande, qui garantissait aux Maoris le contrôle de leur terre, Ratana s'était rendu à Londres accompagné d'une importante délégation de Maoris en vue de solliciter l'aide du roi Georges. Une fois de plus, ils n'avaient pas été reçus. En 1925, Ratana s'était lui-même rendu à Genève, mais comme le chef Desbkaheh, il n'avait pas eu gain de cause.

Il n'existe qu'un lointain rapport entre ces événements et les activités qui ont marqué la troisième session du Forum permanent des Nations Unies sur les questions autochtones, qui s'est tenu à New York du 10 au 21 mai 2004, et le refus qu'avaient essuyé le chef Deskaheh et le chef spirituel T.W. Ratana. Mais la création de ce forum a été un travail de longue haleine. Dès 1924, l'Organisation internationale du Travail (OIT) a commencé à mener des enquêtes sur le travail forcé imposé aux populations autochtones. En 1957, elle a adopté le premier instrument juridique concernant les droits des peuples autochtones, qui a été remplacé en 1989 par la Convention concernant les populations autochtones et tribales dans les pays indépendants (Convention 169). En 1970, la Sous-commission de l'ONU sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités a nommé un Rapporteur spécial pour entreprendre une étude de fond sur la situation des populations autochtones, dont les cinq volumes parus entre 1981 et 1984 ont permis à la communauté internationale d'agir. En 1982, le Conseil économique et social de l'ONU a établi le Groupe de travail sur les populations autochtones, leur permettant de participer aux sessions du Groupe.

En avril 2000, la Commission des droits de l'homme de l'ONU a adopté une résolution afin d'établir le Forum permanent des populations autochtones qui est chargé de discuter des questions autochtones relatives au développement économique et social, à la culture, à l'environnement, à l'éducation, à la santé et aux droits de l'homme. En juillet 2000, le Conseil a officiellement approuvé la résolution et l'Assemblée générale a établi un fonds volontaire en décembre 2002.

Bien que les populations autochtones aient actuellement accès à l'ONU et à la société civile en général, beaucoup préfèrent vivre volontairement isolées. Elles ont un attachement à leurs terres et à leur territoire, un passé ancestral commun et le droit à l'autodétermination, elles ont leur langue, leur culture, leurs croyances et leur savoir, leurs propres institutions politiques, économiques, sociales et culturelles, et une forme de droit coutumier et de gouvernance. L'isolement volontaire peut être facilement mis en cause par le développement. Or, le choix de vivre dans un isolement déibéré est inhérent aux droits de l'homme et au droit à la terre. Les gouvernements doivent trouver les moyens de développer une économie compétitive dans un marché de plus en plus mondialisé tout en empêchant la disparition des populations autochtones qui choisissent de mode de vie.

Durant les deux derniers siècles, les populations autochtones de l'Amérique du Sud vivant dans les forêts se sont enfoncées davantage dans les forêts pour ne pas être astreintes au travail forcé dans les plantations de caoutchouc. Aujourd'hui, les groupes de défense des droits des autochtones préconisent la protection des zones naturelles et la création de réserves territoriales pour ces populations qui refusent le contact avec le monde moderne. En avril 2002, le Pérou a établi sa première réserve dans la région du sud-est grâce, principalement, aux efforts de la Fédération autochtone du Rio Madre de Dios et de ses affluents (FENAMAD) et du Projet Racimos de Ungurahui. Cette initiative protège les populations autochtones contre les bûcherons à la recherche de l'acajou. Les défenseurs des droits sont parvenus à un accord avec les bûcherons locaux pour créer la réserve territoriale. Les Nahuas du Pérou vivent dans le bassin des fleuves Manu, Mishagua et Serjali, dans la forêt d'Amazonie, où elles se sont réfugiées au début du XXe siècle pour échapper à l'esclavage et au génocide liés à l'exploitation du caoutchouc. En 2003, une délégation de Nahuas s'est rendue à Lima pour rencontrer le gouvernement péruvien et des organisations non gouvernementales (ONG) en vue de mettre un terme aux explorations de pétrole et de gaz dans leurs territoires, d'expulser les bûcherons illégaux et d'obtenir une reconnaissance de leurs droits sur leurs terres ancestrales. Les Nahuas ont dit que dans les années 1980, leur population a été réduite de moitié à cause de maladies importées par les exploitants de pétrole et de gaz.

La souveraineté sur Bornéo appartient à la Malaisie, à l'Indonésie et à Brunéi. Cette situation complique les affaires des populations autochtones des Penans, connus également comme la « tribu perdue de Bornéo ». Dans leur État de Sarawak, 70 % des plus anciennes forêts du monde sont déboisés à un rythme deux fois plus élevé que les forêts tropicales amazoniennes. Il est crucial que les trois gouvernements trouvent une solution équilibrée qui satisfasse les droits des Penans et ceux des exploitants forestiers. De même, le gouvernement philippin est confronté à un problème similaire avec les populations de la Cordillère des Andes, dont les populations Agta, par exemple, se sont isolées volontairement dans la forêt pour éviter la dépossession de leurs terres et les effets négatifs des activités forestières sur l'environnement.

La recherche d'un équilibre entre le développement économique et les intérêts des autochtones a été une question que l'Association des populations autochtones du Nord, de la Sibérie et de l'Extrême-Orient a portée devant la Fédération de Russie. Selon elle, après la disparition des populations autochtones Ain, Vod, Kamasin, Kerek, Omok et Yug de Russie, d'autres populations risquent également de disparaître à cause, entre autres, de pressions économiques. L'Association cherche à mettre en place une politique en faveur des 29 groupes autochtones restants vivant dans le nord de la Russie. En Amérique du Nord, l'isolement est impossible pour les 500 membres de la population autochtone Cree du Lubicon, dont le territoire s'étend sur 10 000 km2 de forêts au nord du lac Lesser Slave et à l'est du fleuve Peace. En effet, lorsqu'en 1899, le gouvernement canadien a négocié des traités avec les populations autochtones, les populations Cree du lac Lubicon ont été oubliées. Selon le chef Lubicon Bernard Ominayak, « notre vie était simple, mais on n'avait jamais connu la faim. Puis, soudain, le Canada a trouvé du pétrole et on gênait ».

Dans la communauté du groupe ethnique Ayoreo, qui vit sur 3 millions d'hectares dans le nord du Paraguay et le long de la frontière sud-est boliviennne, le groupe autochtone Totobiegosode a été forcé de quitter ses terres. En effet, l'exploitation forestière illégale a épuisé les ressources de la chasse, de la pêche et des récoltes dont dépendait cette population, qui avait été réduite à 17 membres. La Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur, une organisation autonome qui s'est imposée sur la scène politique, ouvre activement à la promotion de la langues, de la culture, de la médecine naturelle et traditionnelle autochtones. En Équateur, plus de 45 % de la population est autochtone. Alors qu'en Colombie de nombreuses populations autochtones continuent de vivre isolées, la nation U'wa a pris l'initiative de former des alliances avec 85 autres groupes et, en 1995, a participé à titre volontaire à la commémoration de la « Falaise des morts », où 100 ancêtres U'wa, leurs enfants et leurs familles s'étaient suicidés en sautant d'une falaise à Guican, dans le département de Boyaca, pour protester contre la domination politique et économique et la détérioration de leur vie sociale et culturelle. Tout en conservant leurs traditions, elles cherchent à coopérer avec le gouvernement, les ONG et le secteur privé en établissant une économie nationale modèle fondée sur le respect des droits de l'homme, un environnement propre et en conformité avec le droit humanitaire international.

Le Brésil est le premier pays à avoir créer des zones protégées. Le gouvernement a établi des réserves territoriales pour les populations autochtones qui vivent volontairement isolées. Ces réserves sont des zones interdites aux activités industrielles et aux travailleurs migrants. Les Zo'e sont un groupe Tupi-Guarani qui vivent dans le bassin de la rivière Cuminapema dans l'État de Para, alors que les Koruba vivent dans la vallée du Javari, en Amazonie. S'isoler volontairement de la société moderne ne signifie pas s'isoler des autres. Des réseaux complexes d'échange se sont développés. Les Waiwai, dans la région nord de Para et de l'État de Roraima, ont des contacts matrimoniaux, commerciaux et rituels avec leurs voisins. Les Indiens Tukano, Arapasso, Desana et Tarina, qui vivent dans la région du Rio Négro, se marient avec des femmes d'autres groupes autochtones. Cependant, une hiérarchie existe : par exemple les « Indiens des rivières » ne se marient pas avec des « Indiennes des forêts », ce qui prouve l'importance de l'environnement dans l'identité autochtone. En revanche, pour ce qui concerne le commerce, ces populations font des échanges avec des Indiens ne faisant pas partie de leurs groupes.

Les gouvernements et la communauté internationale reconnaissent de plus en plus les droits des populations autochtones, en partie parce qu'elles ont fait pression pour promouvoir leur autonomisation, le respect de leurs droits et la dignité. Peut-être était-ce ce que le chef Deskaheh voulait pour toutes les populations autochtones, pas seulement pour les Iroquois, lorsqu'il a prononcé son dernier discours à Rochester, dans l'État de New York, quelques mois avant sa mort en 1925. Il avait proclamé que la Confédération des six nations d'Iroquois était la plus ancienne Société des Nations et avait poursuivi en disant : « Il s'agit d'une Société qui existe toujours et tente - par tous les moyens possibles - de défendre les droits des Iroquois de vivre selon leurs propres lois sur les territoires qui leur restent, de vénérer leur Grand Esprit comme ils l'entendent et d'exercer les droits qui sont les leurs, tout comme ceux reconnus de l'homme blanc ».   -Fayth A. Ruffin
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