La remarquable exposition de peintures japonaises du XVIIe au XXe siècle de la collection Gitter-Yelen, organisée du 9 mars au 20 juin 2004 par la Japon Society Gallery, nous révèle le monde serein des poètes, des ascètes, des geishas, des calligraphes, des moines zen et des excentriques de toutes sortes. Une des deux grandes expositions présentées chaque année à la Japon Society, Enduring Vision comprend près de cent ouvres de la collection des Américains, le docteur Kurt Gitter, et Alice Rae Yelen, conservatrice et éducatrice. Cette collection est considérée comme l'une des collections d'art japonais les plus originales et les plus importantes en Occident.
|
Courtisanes vêtues de kimonos ornés de motifs calligraphiques. Photo reproduite avec l'autorisation de la Japan society |
Selon Alexandra Munroe, directrice de la Japon Society, « cette exposition est la première rétrospective de peintures japonaises à New York depuis plus de deux décennies et confirme la grande qualité des travaux ainsi que la créativité des artistes du Japon prémoderne. Cette exposition tombe à point nommé alors que la Japon Society est sur le point de fêter son centenaire, et complète notre mission actuelle visant à mettre en valeur le riche héritage artistique, historique et culturel du Japon auprès du public international de New York ».
L'exposition - c'est la première fois que la collection Gitter-Yelen est présentée à New York - met en avant les travaux d'artistes indépendants qui ne représentaient pas la peinture officielle patronnée par la cour et l'élite des shoguns. Il s'agit d'artistes expérimentaux dont les travaux ont été commandés par des clients privés, des bourgeois urbains, dont certains étaient peintres eux-mêmes. L'exposition se concentre sur les écoles individuelles et les styles de peintures japonaises allant de la période isolationniste Edo (1615-1868) à la période Meiji (1868-1912) et après.
Le visiteur qui parcourt pour la première fois ces salles petites et sombres est impressionné par la diversité des six styles artistiques présentés. Les artistes de l'école Nanga, qui adoraient la nature et puisaient leur inspiration chez les peintres chinois lettrés lesquels idéalisaient les poètes érudits qui vivaient dans une sérénité apaisante au milieu des rivières et des montagnes. Vous remarquerez la belle calligraphie de Satake Kaikai sur l'éventail du XVIIIe siècle Pêchers en fleurs : « Les rives sont bordées de pêchers en fleurs - les ondulations de l'eau deviennent des jeux de reflet » et la signature de l'artiste « Kaikai, féru de saké ».
|
Grues. Photo reproduite avec l'autorisation de la Japan society |
L'école Maruyama-Shijo a adopté le réalisme et les méthodes naturalistes. Ne manquez pas d'admirer l'audacieux tableau, les Grues de Watanabe (1796), ou mon tableau préféré, le paravent de Takeuchi Seicho, Héron blanc dans un saule, corbeaux et kaki (vers 1904), où un corbeau noir picore un kaki dans un magnifique cadre isolé, rehaussé d'or.
Mais les sections consacrées aux peintures Zenga et aux peintres excentriques sont peut-être les plus fascinantes et les plus originales de l'exposition. Les peintures Zenga, littéralement les peintures zen, étaient réalisées par des moines zen de la période Edo et servaient souvent à éduquer le peuple sur le bouddhisme. La Procession de moines (1925), de Nakahara Nantenbo, un monochrome à l'encre de Chine représentant des moines zen répartis sur deux rangs, est plein de vitalité et de charme; avec son évocation de la montagne par un seul coup de pinceau, Mont Fudji et aubergine d'Ekaku (vers 1700), est de la poésie pure.
Il n'est pas étonnant que les Zenga soient exposées près des peintures excentriques de trois peintres de Kyoto du XVIIIe siècle : Ito Jakuchu, Soga Shohaku et Nagasawa Roetsu. Les excentriques, ou « individualistes » comme on les appelle souvent, ne font partie d'aucune catégorie, refusant de se conformer aux traditions de la peinture. Vous saurez apprécier l'humour, la gaieté et la simplicité zen d'un éléphant ou d'une grue cendrée solitaire dessinés par Jakuchu.
|
Figures qui dansent, 1828. Photo reproduite avec l'autorisation de la Japan society |
La dernière partie de l'exposition est consacrée à un genre plus familier, l'Ukiyo-e, littéralement « images du monde flottant », dont les thèmes favoris étaient les geishas, les prostituées, les acteurs de Kabuki et autres personnes du même genre dans leur vie quotidienne. L'extraordinaire tableau de Kawamata Tsuneyuki, Jeune homme prostitué quittant une maison close (vers 1740), est déroutant parce que nous pensons que le personnage central qui porte des geta (sandales en bois) à hauts talons et une coiffure féminine est une courtisane jusqu'à ce qu'on lise le titre.
Mais l'exposition est une aventure des sens ponctuée de surprises, petites et grandes. Choisir son chemin parmi les paravents, les rouleaux, les éventails et les autres paysages ressemble à une découverte d'un trésor enfoui. En quittant les salles sombres semblables à des cavernes, on est heureux d'avoir fait le voyage.
|