Chronique ONU
« L'agronome »
La vie et le travail de Jean Dominique
Par Udy Bell, pour la Chronique

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L'article
Photo offerte par THINKfilm
Le 3 mai 2004, des journalistes et des reporters se sont rassemblés au siège de l'ONU, à New York, pour célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse, une manifestation annuelle destinée à informer le public sur les violations du droit à la liberté d'expression et à rappeler que de nombreux journalistes affrontent la mort en accomplissant leur métier.

Le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, également présent, a affirmé que cette journée était avant tout un hommage à la mémoire des journalistes qui ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions ou qui ont diffusé des informations ayant conduit à leur arrestation et à leur détention. Il a également mentionné les données peu réjouissantes documentées par le Comité pour la protection des journalistes établi à New York : 36 journalistes tués et 136 emprisonnés en 2003 dont certains, a-t-il précisé, ont été délibérément visés en raison des informations qu'ils diffusaient ou de leur affiliation à un organe de presse.

Tel fut le cas de Jean Dominique, un journaliste haïtien, qui a créé la première station de radio libre, Radio Haïti-Inter, et est devenu un héros, défendant la cause des pauvres et des opprimés. Il a été assassiné en 2000 à l'âge de 69 ans. Son combat pour instaurer la démocratie en Haïti est retracé dans L'agronome, un documentaire sombre mais fascinant réalisé par le cinéaste Jonathan Demme, dont Le silence des agneaux a remporté un oscar. Le documentaire a été projeté dans l'auditorium de la bibliothèque Dag Hammarsjold, au siège de l'ONU, devant une salle archicomble.

L'Agronome est un travail d'amour pour M. Demme. Il a rencontré et filmé le journaliste disparu pour la première fois en 1987. Créateur et directeur de la seule station de radio libre de son pays, M. Dominique était souvent en désaccord avec les divers régimes répressifs haïtiens et a passé la plus grande partie des années 1990 en exil à New York, où M. Demme a continué de le filmer. Le documentaire relate les événements essentiels de l'histoire d'Haïti et montre comment la vie de M. Dominique et l'histoire du pays sont étroitement liées.

L'agronomie est une branche de l'agriculture qui étudie la production agricole et la gestion des sols. C'est le métier qu'exerçait M. Dominique en Haïti. Dans les années 1950, il a étudié la génétique végétale à Paris et, à son retour, a travaillé pendant huit ans pour améliorer la production agricole sous la dictature de « Papa Doc », François Duvallier, qui était au pouvoir en 1957, période où M. Dominique a commencé à s'intéresser à la politique. À la fin des années 1960, il a travaillé à Radio Haïti comme reporter et, en 1971, il a racheté la station qu'il a rebaptisée Radio Haïti-Inter. La même année, François Duvallier est mort après avoir nommé comme successeur son fils de 19 ans, Jean-Claude, surnommé « Baby Doc ». Radio-Haïti-Inter commençait à toucher de plus en plus de gens, diffusant systématiquement ses programmes en créole, la langue principale du pays.

M. Dominique a encouragé les journalistes du pays à couvrir davantage l'actualité mondiale. Critiquant la dictature de Duvallier, il a été forcé de s'exiler après que sa femme, Michelle Mantas, également journaliste, ainsi que d'autres membres de l'équipe travaillant à la station de radio ont été arrêtés par le régime et déportés. Revenu en Haïti en février 1986, après la chute du président à vie, « Baby Boc » Duvallier, il est reparti en 1991 lorsque l'armée a pris le pouvoir pour revenir en 1994 après la chute du régime. Son retour en 1986 est probablement le moment le plus émouvant du documentaire, alors que des centaines de supporters exubérants et optimistes l'accueillent à l'aéroport de Port-au-Prince.

Après la chute du régime, son combat pour la démocratie et son intérêt pour les questions sociales l'ont amené à soutenir le mouvement Lavalas qui a émergé en 1990 avec la candidature présidentielle de Jean-Bertrand Aristide. Il a continué à diffuser des informations et l'émission « Interactualité », ainsi qu'une émission consacrée aux interviews, intitulée « Face à l'opinion ». En critiquant l'élite nantie du pays, l'armée, la politique américaine envers Haïti et, plus récemment, certains membres du parti Lavalas du président Aristide, il s'est fait beaucoup d'ennemis. Comme le montre le documentaire, il n'a pas hésité à confronter Aristide lui-même dans un entretien sur la corruption présumée de son gouvernement.

Le cinéaste Jonathan Demme. Photo offerte par THINKfilm
Il a été assassiné à son arrivée à la station de radio, située à Delmas, une banlieue de Port-au-Prince. Alors qu'il s'apprêtait à pénétrer dans l'immeuble, un inconnu est entré dans la cour et a tiré sept coups de feu. Blessé au cou et au cour, il est mort sur le coup. Le garde de la station, Jean-Claude Luissant, a été également abattu. D'après sa veuve, il a été assassiné parce que personne ne pouvait lui dicter ce qu'il devait faire ou dire. Et c'est vrai qu'en regardant le film, on se rend compte que personne n'a eu raison de sa ténacité. Son charisme et son courage sont indéniables, et le documentaire présente un portrait profond de cet homme élancé, passionné, intelligent, éloquent et sans peur aimant fumer la pipe.

Mais comme le révèle l'histoire d'Haïti, ce pays n'est pas habitué aux fins heureuses. Le documentaire se termine avec son assassinat. Mais pendant près de trois ans, sa femme a pris la suite de son mari et commençait chaque émission en disant « Bonjour, Jean ». Mais en décembre 2002, son garde du corps a également été assassiné et, face aux menaces contre les journalistes de la station de radio, elle a décidé de la fermer et de continuer son combat aux États-Unis où elle s'est exilée. Depuis, de nombreux journalistes ont également fui le pays. Mais, les responsables de l'assassinat de M. Dominique sont restés impunis et l'enquête est au point mort.

Vu le taux d'analphabétisme en Haïti, la radio demeure le moyen de communication le plus populaire. Selon une étude menée en 2003 par le Comité pour la protection des journalistes, Haïti est, après la Colombie, l'un des pays de l'hémisphère occidental les plus violents pour exercer le métier de journaliste.

L'Agronome est un hommage à l'esprit humain et à Jean Dominique, un optimiste à toute épreuve qui, malgré les mauvais traitements dont il a été le témoin et la victime, a poursuivi son combat pour la liberté, offrant un exemple à d'innombrables autres personnes. « J'essaie d'introduire l'information, et cela engage des risques », dit-il dans le documentaire. Et, dans son cas, ces mots se sont révélés prophétiques. Son engagement absolu à sa cause contribuera sans aucun doute à garder sa mémoire vivante.

La Journée mondiale de la liberté de la presse
Le 3 mai 2004, les Nations Unies ont célébré la Journée mondiale de la liberté de la presse avec, en toile de fond, le Département de l'information de l'ONU (DPI), en publiant une liste de dix sujets d'actualité qui ne bénéficient pas d'une couverture médiatique suffisante. Dans son allocution, le Secrétaire général Kofi Annan a fait remarquer que cette journée était, « avant tout, une occasion de rendre hommage aux journalistes qui ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions ». Soulignant l'importance que les médias accordent à certains sujets par rapport à d'autres, il a ajouté que cela n'était pas seulement propre à ceux-ci, que « souvent, les États Membres accordent trop d'attention à certains sujets et pas assez à d'autres pourtant tout aussi importants, si ce n'est plus ». Lors de la commémoration, l'ambassadeur Iftekhar Ahmed Chowdhury, président du Comité de l'information à l'ONU a souligné que la liberté de la presse était un droit fondamental et que cette Journée rappelait aux États Membres qu'ils devaient défendre les droits des journalistes. Quand la presse est respectée, la société est mieux préparée à lutter contre les abus et les violations, a-t-il dit, rappelant aux gouvernements que la liberté de la presse n'est ni un cadeau ni une concession politique.

Le secrétaire général adjoint des Nations Unies pour l'information et la communication, Shashi Tharoor, a animé une table ronde sur le thème « Reportage complet ou partiel : qui décide ? » à laquelle ont participé Alexander Boraine, président du Centre international de justice transitionnelle; James H. Ottaway, Jr., président du Comité mondial de la liberté de la presse; E.R. Shipp, lauréat du prix Pulitzer, chroniqueur au quotidien The Daily News; Danilo Turk, sous-Secrétaire général aux affaires politiques, et Tony Jenkins, président de l'UNCA.

M. Boraine a dit que l'étendue et le choix des sujets traités dépendaient des ressources dont disposaient les médias, ajoutant que la liberté de la presse n'est « jamais garantie mais qu'il faut se battre pour l'instaurer à chaque génération ». La rédaction devrait se concentrer sur le courage remarquable des personnes qui vivent dans des situations difficiles, en particulier les femmes qui vivent dans des pays ravagés par la terreur et par la guerre. « Que se passe-t-il dans les situations d'après-conflit ? Les initiatives lancées devraient servir d'exemple, mais on ne les connaît pas parce qu'elle ne sont pas couvertes par les médias. »

Pour sa part, M. Ottaway a souligné que ce qui était le plus difficile à changer, c'était la nature humaine. « Personne ne veut faire l'objet de critiques. Alors, on étouffe les affaires, on falsifie l'information, que ce soit dans les régimes démocratiques, théocratiques, totalitaires ou communistes. La fierté, le désir de maintenir ses positions déterminent l'information à laquelle les journalistes ont accès. [Le journalisme] est la profession la plus dangereuse qui soit après celle de militaire. » La peur de la mort et des blessures corporelles est la deuxième force décisive dans le choix des sujets traités, a-t-il poursuivi.

De son côté, M. Turk a estimé qu'il y avait un « déséquilibre entre l'information et le divertissement dû à la domination des médias de divertissement » et qu'il « ne fallait pas considérer l'information comme un divertissement ». Mme Shipp fait remarquer que « cela ne devait pas empêcher les journalistes de faire leur travail. Ils doivent simplement faire preuve de plus d'ingéniosité pour faire publier leurs articles ». Selon elle, en exerçant leur métier, les journalistes « protègent tous les autres droits civils. Il est certain que les entreprises de presse sont motivées par le profit. Les médias réalisent un profit annuel minimum de 25% »
  —Vikram Sura
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