Le véritable amour existe. Alors qu'il se manifeste généralement entre deux personnes, l'élu de mon cour est Kaboul, en Afghanistan - un amour qui dure depuis 25 ans et qui ne peut être ignoré ni remplacé.
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Samira à l'aéroport de Kaboul où sa famille lui avait dit au revoir il y a 25 ans. Photos offertes par Samira Atash |
Je suis née en Afghanistan en 1975 et j'ai quitté le pays avec ma famille en avril 1979, avant l'invasion soviétique, pour vivre aux États-Unis. Les immigrants s'adaptent à leur environnement comme des enfants adoptés à une nouvelle famille, mais leur cour reste attaché à la mère patrie. Pendant des années, j'ai ressenti un lien avec ce pays, même si je l'ai quitté à l'âge de trois ans et demi et si j'ai mené une vie normale, confortable, aux États-Unis. Ce lien, comme un cordon ombilical qui relie l'Asie centrale à l'Amérique du Nord, m'a motivée à faire partie d'une mission commerciale à Kaboul, à laquelle participait ma sour. L'Afghanistan, lorsque je l'ai quitté était un pays magnifique, dynamique et heureux, plein d'espoir. Je n'étais pas préparée à le retrouver dans un tel état - comme un malade sortant d'un coma de 25 ans.
Pendant des centaines d'années, l'Afghanistan a été à la croisée des chemins en Asie, pris entre les divergences culturelles, religieuses et politiques entre les pays et les régimes. Quand j'y habitais, nous vivions en paix même si le communisme commençait peu à peu à s'infiltrer dans le gouvernement, comme une drogue illégale. Même si mes souvenirs ne sont pas très précis, je me souviens que nous menions une vie dynamique et intense. À Kaboul, mes sours et moi savourions la vie, ponctuée de diverses activités : dîners en famille où nous mangions du maïs doux ou des brochettes de viande tendres achetées dans les boutiques locales, excursions en voiture pour admirer les Bouddhas Bamiyan, courses à travers champs avec mes sours et mes cousins, cueillette des tomates du jardin, vol de cerfs-volants en papier et dégustation de glaces. Les adultes, eux, pouvaient faire des études dans les universités locales, aller à un concert de Ahmad Zahir, se promener dans Shar Naw ou sortir avec leur amoureux. La vie était simple, sans les avantages dont bénéficient les pays industriels. Mais il y avait beaucoup d'amour, la famille et, en général, on prenait plaisir aux petites choses de la vie.
Le dernier souvenir que j'ai gardé de l'Afghanistan est l'embarquement à bord d'un avion d'Ariana Airlines et ma famille nous faisant des grands signes derrière la fenêtre de l'aéroport pour nous dire au revoir : mon grand-père (qui a été exécuté par les communistes plus tard dans l'année), ma grand-mère, mes oncles, mes tantes et mes cousins. J'ai encadré mon billet d'avion Ariana d'avril 1979 : la date de retour n'a jamais été inscrite.
Aux États-Unis, j'ai mené une vie normale et saine. En somme, j'ai vécu le rêve américain. J'ai obtenu une licence de sciences en marketing et j'ai monté ma propre affaire de prêt à porter à New York - un produit de ma motivation d'immigrante et de l'esprit d'entreprise hérité de mon père.
Mais depuis le 11 septembre 2001, je voulais retourner en Afghanistan pour participer à la reconstruction du pays. Après les attaques terroristes, j'ai participé à la fondation d'une organisation non gouvernementale (ONG) pour aider les réfugiés afghans et les victimes du 11 septembre. Mais, plus récemment, j'avais pour projet de développer mon entreprise afin d'établir une base de fabrication à Kaboul. Mais je ne savais pas comment faire.
Lorsque ma sour Mariam, qui est attachée commerciale à l'ambassade d'Afghanistan à Washington, m'a invitée à me joindre à la délégation commerciale à Kaboul, j'ai sauté sur l'occasion. Le but de la délégation était d'inviter des entreprises étrangères, principalement américaines, à investir en Afghanistan. Je faisais partie d'une délégation de 16 membres qui comprenait Coca-Cola, Motorola et Overstock.com. Avant d'arriver à Kaboul, j'ai essayé de me préparer mentalement à ce qui m'attendait. Tandis que l'avion volait au-dessus des sommets enneigés et tournait autour de Kaboul, j'ai été submergée par un déferlement d'émotions. Du hublot, j'ai pu faire le bilan des dégâts causés par 25 ans de guerre : des maisons bombardées, des voitures et des tanks endommagés, un nuage de pollution et la prison où mon grand-père a été détenu avant d'être exécuté. Au moment de l'atterrissage, j'ai éclaté en sanglots quand j'ai vu la baie derrière laquelle ma famille nous avait dit au revoir. Puis, j'ai vu des hommes qui déminaient le monticule de terre entre les pistes et j'ai été soudain confrontée à la réalité de la guerre.
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Kaboul sur la voie difficile de la reconstruction. |
Les rues, sales comme jamais je n'en avais encore vues, étaient pleines de monde, hommes, femmes et enfants de différentes ethnies. La plupart des femmes portaient encore la burka et de nombreux jeunes enfants au visage sale, aux cheveux ébouriffés et aux vêtements en lambeaux marchaient pieds nus. En passant devant une maison, j'ai aperçu deux enfants complètement nus ! La pauvreté extrême et le désespoir étaient si criants que mes larmes ont fait place à la détermination. Sous le choc devant ce paysage de désolation, j'ai éprouvé un profond ressentiment envers les Américains qui n'ont aucune idée de la chance qu'ils ont.
Pendant les jours suivants, j'ai été confrontée à la dure réalité. Dans notre maison, l'électricité, produite par un générateur installé à l'extérieur, était limitée pendant la nuit, seul un mince filet d'eau coulait de la douche, nous n'avions ni réfrigérateur ni ordinateur. Une visite à ma famille éloignée qui vit à la périphérie de Kaboul fut une leçon d'humilité et une expérience traumatisante : il m'a fallu utiliser des toilettes extérieures car la salle de bains avait été endommagée. Pour la première fois, les États-Unis me manquaient et je réalisais que je n'étais aussi forte que je le croyais. Beaucoup de choses qui faisaient partie de ma vie aux États-Unis me manquaient, comme la liberté de faire mes propres choix et le sentiment de sécurité.
À Kaboul, ma sour et moi ne pouvions pas sortir sans un chauffeur et nous devions rentrer à la maison avant la tombée de la nuit. Pour nous, jeunes américaines à l'esprit indépendant, c'était frustrant, mais nous respections les règles. Vu la manière dont les hommes regardaient les femmes, j'acceptais volontiers d'être protégée par un homme ou de porter un voile. Mais à la fin du voyage, la situation étaient devenue tellement pesante que, parfois, je leur criais d'arrêter de me dévisager. En général, la ville est sûre pendant la journée si vous êtes avec une autre personne. Les gens sont très hospitaliers et optimistes.
Malgré la destruction et les problèmes, l'espoir est là. Chaque jour, la délégation commerciale suivait un emploi du temps. Elle a eu l'honneur de rencontrer des hauts fonctionnaires du gouvernement travaillant aux ministères du Commerce et des Finances et à l'ambassade des États-Unis. Au cours de ces réunions, j'ai appris que de nombreuses entreprises étrangères s'étaient implantées dans le pays.
Durant les cinq dernières seulement, 200 entreprises se sont inscrites au registre du commerce, 500 millions de dollars ont été investis par le secteur privé et environ 10 000 emplois ont été créés. Ces entreprises comprennent la chaîne Hyatt Hotel, China Railway, Standard Charter Bank et Marco Polo, une compagnie aérienne germano-afghane. Au ministère des Finances on nous a dit que des réformes étaient en cours dans les domaines de la législation, des ressources humaines, des impôts, de l'infrastructure et du transport de sorte que le secteur privé puisse tirer parti des nouvelles lois en faveur de l'investissement.
J'étais heureuse de voir que les immeubles avaient été remis en état et j'ai ressenti un flot d'énergie contagieux. Des centaines de boutiques sont installées le long des routes, dont de nombreux restaurants chics et des boutiques intéressantes. Les expatriés afghans qui travaillent pour le gouvernement sont des gens éduqués, bien habillés et compétents dont le souci premier est de mettre en place des réformes et d'assurer la sécurité dans la ville. Les Occidentaux sont traités avec respect et reçus avec les plus grands égards. Pendant notre séjour, les Afghans ne nous ont pas manqué une seule fois de respect.
Ils sont optimistes, favorables à l'aide et à l'investissement et semblent bien accepter les changements et le nouveau gouvernement.
J'ai également rencontré plusieurs fabricants locaux pour mon entreprise de prêt à porter et nous avons discuté de la possibilité de travailler ensemble. Je suis enthousiasmée à l'idée de développer mon entreprise en Afghanistan, non seulement pour bénéficier de coûts de production faibles mais, surtout, pour créer des emplois dans le pays, en particulier pour les femmes. Pour que l'Afghanistan soit stable, il faut éduquer les gens et qu'ils travaillent afin d'améliorer l'économie. Les Afghans sont des travailleurs, des entrepreneurs qui veulent améliorer leur vie. Avec un pays stable et prospère, les terroristes n'auraient pas de refuge pour préparer de nouvelles attaques contre l'Occident et, pour cette raison, il est important d'investir en Afghanistan.
Deux semaines plus tard, j'ai quitté l'Afghanistan. Mon nouveau billet d'avion est encadré à côté de l'original de 1979, sur lequel aucune date de retour n'avait été inscrite. Mais je savais que cela arriverait tôt ou tard et que le vide serait comblé. Ma visite en Afghanistan après 25 ans d'absence a été une expérience éprouvante mais riche. Ce pays sort lentement du coma et porte les cicatrices de la guerre, mais il est plus avisé, et les chances de retrouver une vie complètement normale sont meilleures. À condition qu'il ne soit pas, une fois de plus, oublié. |