Chronique ONU
« La corruption, tout le monde en pâtit »
Par Tobias Kuhlmann, pour la Chronique

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L'article
Lorsque les habitants du Kenya vous demandent du thé, bien souvent il ne s'agit pas d'une boisson chaude mais de pots-de-vin. Durant de nombreuses années, cette expression a été employée pour traduire une pratique illicite, a expliqué la Représentante permanente du Kenya auprès des Nations Unies, Judith Mbula Bahemuka, lors d'une réunion d'information qui a eu lieu en avril 2004. Aussi utile qu'il ait pu être pendant des années pour éviter le terme « corruption », cet euphémisme représente aussi comment la corruption peut déstabiliser une société.

Photo offerte par l'UNODC
Dans la tradition, inviter quelqu'un à prendre le thé était un symbole d'hospitalité, l'une des valeurs dont les Kényans sont fiers. Si l'ambassadrice et son gouvernement souhaitent faire renaître cette notion traditionnelle d'hospitalité autour du thé, ils veulent surtout revitaliser le pays : « La corruption a pris des dimensions endémiques dans notre société. Elle sévit dans tous les secteurs : les écoles, les hôpitaux, l'agriculture, les industries, l'infrastructure routière et l'emploi. Nos ressources ont été volées et pillées, nos enfants tués. Elle a détruit notre société ». Loué par beaucoup, le gouvernement kényan actuel est déterminé à agir et à lutter contre la corruption qui constitue un obstacle à tous ses efforts de développement et qui est responsable des niveaux élevés de pauvreté, du chômage et du retard social.

En décembre 2003, le Kenya était le premier pays à ratifier la Convention des Nations Unies contre la corruption. C'était aussi la première fois qu'un pays avait signé et ratifié une convention de l'ONU le premier jour de la conférence de signature, a indiqué le Conseiller juridique de l'ONU Hans Corell, représentant du Secrétaire général à la conférence qui a eu lieu à Mérida, au Mexique. Par cette action et par les nombreuses mesures qu'il a prises pour lutter contre la corruption, le Kenya a montré au monde qu'il prenait ce combat au sérieux.

Pendant des années, la corruption a été autant un tabou qu'un obstacle majeur au développement, non seulement au Kenya mais aussi dans de nombreux pays du monde. En signant la Convention de l'ONU contre la corruption, plus de 100 pays ont pris le ferme engagement de combattre la corruption et ses conséquences néfastes. Comme l'avait déploré le Secrétaire général Kofi Annan dans son allocution lors de l'adoption de la Convention par l'Assemblée nationale en octobre 2003, « la corruption affecte les pauvres de manière disproportionnée car là où elle sévit, les ressources qui devraient être consacrées au développement sont détournées, les gouvernements n'ont pas les moyens suffisants pour assurer les services de base, et l'inégalité et l'injustice prévalent et dissuadent les investisseurs et les donateurs étrangers » Même si elle n'est pas encore mise en vigueur, la Convention a déjà donné lieu à des réformes pour combattre la corruption dans de nombreux pays, a dit à la Chronique Dimitri Vlassis, du Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC). Une fois qu'elle sera mise en vigueur, de nombreuses mesures qui étaient jusqu'ici volontaires deviendront contraignantes.

Les pays sont également tenus de définir les activités criminelles et les autres délits afin de couvrir un large éventail d'actes de corruption, non seulement les pots-de-vin et les détournements de biens publics, mais aussi les délits d'initiés, le recel et le blanchiment du produit de la corruption.

Dans un monde qui ne cesse de se mondialiser, la corruption n'est plus limitée au plan national. Généralement, ce sont les entreprises des pays industrialisés qui versent des pots-de-vin aux autorités publiques des pays en développement, a commenté Nancy Zucker Boswell de Transparency International lors de la réunion d'information d'avril. La Convention reconnaît le caractère transnational de la corruption et vise à y répondre avec l'assistance de la communauté internationale. Ceci comprend les activités de prévention et d'enquête, la poursuite des coupables et une assistance juridique mutuelle dans les enquêtes pour pouvoir utiliser les preuves lors des procès et extrader les auteurs. Les pays qui ratifient la Convention doivent également prendre des mesures pour aider à repérer, à geler, à saisir et à confisquer le produit de la corruption.

La Convention marque un tournant décisif, en particulier dans le recouvrement des fonds de part et d'autre des frontières nationales. Lors de l'adoption, M. Annan a fait remarquer : « À l'avenir, les responsables corrompus auront plus de mal à dissimuler leurs gains illicites. C'est particulièrement important pour de nombreux pays en développement où de hauts responsables ont pillé les richesses du pays et où les nouveaux gouvernements ont grand besoin de ressources pour la reconstruction et la remise sur pied de la société. »

Les mesures préconisées par la Convention pour le recouvrement des avoirs comprennent la prévention et la détection des transferts de fonds détournés, le recouvrement des biens personnels et la restitution des avoirs.

Trente ratifications sont nécessaires pour que la Convention contre la corruption entre en vigueur, ce qui, selon M. Vlassis, devrait être obtenu dans les douze à dix-huit mois suivant la Conférence de signature qui aura lieu au cours de 2005. Son entrée en vigueur ne signifiera pas pour autant que le processus de lutte contre la corruption prendra fin, a dit à la Chronique Peter Rooke de Transparency International. « En négociant la Convention, les gouvernements du monde ont fait une déclaration politique. Le monde devra maintenant s'assurer qu'elle sera appliquée - leur crédibilité est donc en jeu ».

L'UNODC et de nombreux autres bureaux travaillent d'arrache-pied pour ne pas décevoir les espoirs que beaucoup ont placés dans la Convention. La ratification très rapide du Kenya facilite ces efforts, car elle constitue un exemple pour d'autres pays, a fait observer M. Vlassis. « Elle a créé un élan, en particulier en Afrique. D'autres pays accélèrent leur processus de ratification afin d'imiter le geste politique du Kenya. « Quand elle sera mise en vigueur, un mécanisme prévu dans la Convention assurera son application. Ce mécanisme est créé d'après les dispositions énoncées dans la Convention de l'ONU contre la criminalité transnationale organisée et même au-delà, a-t-il confié à la Chronique. « Pour moi, c'est une indication claire de la volonté politique à assurer le suivi de la mise en ouvre. »

La lutte mondiale contre la corruption étant aussi importante que la Convention, M. Vlassis a mis en garde certaines personnes contre des espoirs irréalistes : « Pour que cette Convention soit vraiment efficace, il faut changer les mentalités, ce qui demande du temps parce que, partout, les comportements, comme la corruption, sont ancrés dans la société ». Aujourd'hui, l'une des tâches majeures est d'améliorer la prise de conscience du public afin qu'il se rende compte que cet instrument est efficace pour combattre la corruption. L'UNODC saisit chaque occasion pour le faire, coopérant non seulement avec les gouvernements mais aussi avec la société civile, ce qui est explicitement reconnu par la Convention comme facteur important dans la prévention et le combat contre la corruption. Cela implique la participation des organisations non gouvernementales et des institutions communautaires et, surtout, des personnes dont la participation et la confiance dans les réformes sont nécessaires. C'est dans cet objectif que deux messages vidéo, produits par l'UNODC en mai 2004, seront télédiffusés dans le monde entier dans des versions différentes selon les pays. L'un met en contraste un énorme tas de billets de banque et des scènes de misère avec le slogan : « Le coût de la corruption est la pauvreté, le sous-développement, la souffrance humaine. La corruption, tout le monde en pâtit. »

Les mesures contre la corruption au sein des institutions de l'ONU
Dans le cadre de la Convention des Nations Unies contre la corruption, l'Organisation mondiale joue un rôle important dans la lutte mondiale menée pour endiguer ce problème. En même temps, le système de l'ONU doit se demander - et on lui demande d'ailleurs de plus en plus de rendre des comptes, comme les récentes allégations de corruption concernant le Programme Pétrole contre nourriture l'ont montré - quelles mesures mettre en place en vue d'éviter les malversations au sein de son propre système.

À cet égard, le rôle le plus important incombe au Bureau des services de contrôle interne de l'ONU (BSCI), établi en 1994 pour intégrer et renforcer les diverses fonctions de contrôle : l'audit interne, l'inspection, l'évaluation et la surveillance. D'ailleurs, pour la première fois, une commission d'enquête a été créée. Dans la conduite des activités de contrôle, le BSCI dispose d'une indépendance opérationnelle, sous l'autorité du Secrétaire général. Ensemble, ces activités dissuadent la fraude, le gaspillage et les abus. Elles visent également à renforcer le sentiment de responsabilité dans toute l'Organisation.

De gauche à droite : Paul Hoeffel, Judith Mbula Bahemuka, Dileep Nair, Nancy Zucker Boswell et Joan Levy lors d'une réunion le 8 avril. Photo ONU
Le BSCI a lancé en mai 2003 une stratégie de prévention pour renforcer l'intégrité professionnelle comme valeur fondamentale au sein de l'ONU. L'Initiative pour l'intégrité de l'Organisation a pour objectif de renforcer le système de l'intégrité professionnelle par le biais d'un programme complet d'évaluation des besoins et de mise en place de capacités. Elle comprend des cours de formation des cadres de direction, un cours de formation pour l'ensemble du personnel étant en cours de développement. Le BSCI s'emploie à aider les bureaux de l'ONU à assurer une admnistration responsable des ressources, à créer une culture de responsabilité et de transparence et à améliorer la performance des programmes. Cet effort vise non seulement à dissuader la fraude mais aussi à faire de l'ONU une organisation plus efficace.

Depuis 1995, le BSCI a établi que la fraude et le gaspillage dans l'Organisation mondiale se chiffraient à 290 millions de dollars, dont 130 millions ont été récupérés et mis de côté. Par comparaison, le budget annuel du BSCI s'élève à environ 17 millions de dollars.
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