Chronique ONU
Opinion
La Convention des Nations Unies contre la corruption
Une étape décisive en matière de lutte contre la corruption
Par Frank Vogl

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L'article
Le Président du Nigeria, Olusegan Obasanjo, a fait remarquer un jour qu'il serait intolérable que les enfants africains grandissent dans un monde où ils assimilent la politique à la corruption et au vol de fonds publics, plutôt qu'au service pour le bien public et a déclaré qu'il se battrait pour instaurer un monde plus juste. C'est ce à quoi il s'est employé, comme ce sont employés un nombre croissant de gens courageux. La création de la Convention des Nations Unies contre la corruption est l'une de leurs réussites.

La corruption est un fléau que connaît bien le Président Obasanjo et ceux qui, comme lui, sont allés en prison parce qu'ils ont osé défier les leaders corrompus. Ces dernières années, les journalistes, les juges et d'autres citoyens concernés, qui ont été tués en tentant de mettre à jour la corruption, l'ont malheureusement appris à leurs dépens. La corruption tue, elle renforce l'insécurité mondiale et les risques de guerre, elle augmente la pauvreté, réduit les libertés, sape les droits de l'homme et touche le commerce. L'Indice de perception de la corruption internationale, publié par Transparency International, montre que les niveaux de perception de la corruption sont élevés dans la plupart des nations du monde. Nombreux sont ceux qui peuvent raconter comment leur vie quotidienne est directement touchée par la corruption sous sa pire forme, notamment l'abus du service public à des fins personnelles. Mais les victimes ont trouvé peu d'alliés, la communauté internationale ayant ignoré ce problème pendant des années. Une nouvelle ère semble se dessiner, ce qui peut donner de l'espoir aux millions de personnes vivant dans les pays pauvres qui sont obligés de verser des pots-de-vin pour que leurs enfants aillent à l'école, des dessous-de-table aux infirmières et aux médecins pour être soignés, qui doivent traiter avec des responsables corrompus pour être approvisionnés en eau potable, qui savent que les pratiques de corruption sont leur seul recours pour obtenir gain de cause dans une affaire juridique et qu'un grand nombre d'autorités de leur pays s'enrichissent aux dépens du public qu'ils sont censés servir.

L'historien britannique Arnold Toynbee a dit que notre époque sera reconnue pour avoir été « une époque où la société humaine a osé envisager la santé de la race humaine comme un objectif concret ». La nouvelle Convention contre la corruption est un pas concret dans cette direction. Ses objectifs, énoncés dans l'article 1 consistent à promouvoir et renforcer les mesures afin de prévenir et de combattre la corruption de manière plus efficace; promouvoir, faciliter et soutenir la coopération internationale et l'assistance technique dans la prévention de la corruption et dans la lutte contre la corruption, y compris dans la restitution des biens et promouvoir l'intégrité, la responsabilité et la gestion juste des affaires et des biens publiques.

Les actions entreprises pour mettre en ouvre la Convention peuvent améliorer la qualité de vie dans de nombreux pays. Le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, est mieux placé que quiconque pour le comprendre. Quand, il y a plusieurs années, il a lancé le « Pacte mondial » pour renforcer la responsabilité sociale des entreprises, il a été pris à parti pour ne pas avoir placé comme principe de base du Pacte mondial la lutte contre la corruption sur le même plan que la protection de l'environnement, le travail et les droits de l'homme. Il a répondu qu'il ouvrerait pour le changement mais qu'il fallait, en premier lieu, garantir le soutien de l'ensemble du système à la lutte contre la corruption. Il a tenu sa promesse.

Alors que le Secrétaire général présentait ses arguments, il savait que de nombreux chefs de gouvernement s'emplissaient les poches depuis si longtemps avec les fruits de la corruption que l'instauration d'un consensus international visant à mettre fin à ce fléau et à démasquer les responsables était une tâche herculéenne. Pendant trop d'années, la communauté internationale a évité d'avoir, aux Nations Unies, un débat public sur la corruption. C'était comme si un mammouth était tapi sous la table. Tout le monde savait qu'il y était, mais personne ne voulait le reconnaître. Mais le Secrétaire général a retiré le dessus de la table pour le révéler. Ce faisant, il s'est assuré le soutien d'un nombre croissant de leaders qui se sont inquiétés de l'impact de la corruption, qui couvre un grand éventail de questions :

. Sécurité internationale. La corruption, au centre des activites des organisations terroristes, est un fléau qui tue. Ces organisations soudoient les autorités pour obtenir des visas et des faux papiers afin que leurs agents puissent voyager d'un pays à un autre. Elles versent des bakchichs aux autorités pour qu'elles ferment les yeux lors de l'achat d'armes et de leur expédition à l'étranger. Elles versent des pots-de-vin pour utiliser le système financier international aux fins de blanchiment d'argent - argent qui sert à alimenter la terreur.

. Contrôle des armes. Le commerce des armes est un secteur où les pots-de-vin sont fréquents. Cette pratique est essentielle au commerce illégal de diamants qui génèrent des revenus pour l'achat d'armes tant par les armées de rebelles que par les gouvernements. Le commerce des armes se fait également si souvent dans le secret sous prétexte de sécurité nationale que les responsables de gouvernement engagés dans l'achat et la vente d'armes, ainsi que leurs agents, savent qu'ils courent peu de risques d'être découverts.

. Réduction de la pauvreté. La corruption a dénaturé les programmes de lutte contre la pauvreté. Des responsables ont volé les ressources qui étaient allouées à l'alimentation, au logement et aux soins des pauvres. Chaque année, des milliards de dollars d'achat de biens et de services par les gouvernements sont compromis par des pots-de-vin. Le Président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, a mis la lutte contre les pots-de-vin dans son institution au premier rang de ses priorités, parce qu'il comprend que pour progresser le développement nécessite une bonne gouvernance.

. Justice, démocratie et droits de l'homme. Dans de nombreux pays, les juges sont perçus comme des personnes qui se laissent facilement corrompre, et les procureurs ne sont pas seulement soudoyés mais aussi soumis aux pressions d'hommes politiques corrompus. Il va sans dire que lorsqu'il n'existe pas de système de justice responsable, transparent et équitable, la démocratie est corrompue et le pouvoir des leaders corrompus est tel qu'il savent qu'ils encourent peu de risques quand ils emprisonnent et torturent les opposants et restreignent la liberté d'expression.

. Commerce équitable. Le recours aux pots-de-vin dans le commerce et les investissements mondiaux est très fréquent. Les entreprises dépensent des milliards de dollars pour obtenir des contrats gouvernementaux. Bien que tous les gouvernements des pays développés et industrialisés aient passé des lois qui sanctionnent les pots-de-vin versés par les corporations transnationales aux autorités, il a eu à ce jour peu d'actions coercitives.

Dans un article pour Transparency International, une organisation non gouvernementale (ONG), Oscar Arias, lauréat du prix Nobel et ancien Président du Costa Rica, a dit que « nous ne devons pas désespérer d'extirper le cancer de la corruption. Nous parlons beaucoup de la mondialisation de la corruption, mais il ne faut pas oublier la demande très importante du public pour mettre en place des gouvernements sains ». C'est ce qui a permis de donner au Secrétaire général l'élan dont il avait besoin pour assurer le soutien à une nouvelle Convention des Nations Unies. Ses efforts ont été appuyés par l'attention croissante des ONG avec, en tête Transparency International, sur la lutte contre la corruption et par les actions de dizaines de responsables et d'experts qui ont participé entre le 21 janvier et le 1er octobre 2003 à sept sessions du Comité spécial chargé de négocier une convention contre la corruption.

La Convention de l'ONU contre la corruption n'est pas une déclaration de plus pour donner bonne conscience. C'est un document qui traite explicitement des aspects cruciaux de la corruption (voir encadré). Le Président de Transparency International, Peter Eigen, a déclaré : « La Convention fournira un ensemble complet de normes et de mesures pour promouvoir la coopération internationale et les efforts des pays dans la lutte contre la corruption. La Convention comble les lacunes flagrantes observées au niveau de deux des outils les plus importants pour combattre la corruption internationale : l'assistance juridique mutuelle et le recouvrement des avoirs envoyés à l'étranger par des fonctionnaires corrompus. » La Convention prévoit l'instauration d'un système efficace d'assistance juridique mutuelle, ce qui est essentiel, a-t-il estimé. Fréquemment en effet, les cas sont abandonnés, le manque de coopération avec l'étranger rendant presque impossible toute tentative de remonter la piste de l'argent. « La Convention est révolutionnaire en ce qu'elle inclut pour la première fois dans un instrument juridique international le concept, la description et les procédés en matière de coopération internationale pour le recouvrement des avoirs volés. La Convention établit également que les personnes ayant subi des dommages à cause de la corruption ont le droit d'initier une action en justice à l'encontre des responsables », a-t-il ajouté.

Loin d'être parfaite, la Convention ne mettra pas fin à la corruption, l'ONU n'ayant pas suffisamment de pouvoir pour faire respecter les dispositions, mais elle donne au Secrétaire général et au système de l'ONU le mandat d'encourager les actions de la société civile et de consacrer les ressources nécessaires pour assurer que la lutte contre la corruption est menée avec efficacité. Par exemple, le Secrétaire général a convoqué le « Sommet des leaders du Pacte mondial », le 24 juin 2004 à New York, afin de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises, durant lequel il a annoncé que la lutte contre la corruption serait l'objectif principal du Pacte. « Le Pacte est désormais mieux en mesure de venir à bout d'un des obstacles les plus pernicieux à la croissance et au développement, ainsi que de coopérer plus activement avec des groupes tels que Transparency International », a-t-il déclaré.

Le théologien allemand Dietrich Bonöfer a écrit que « le test ultime d'une société morale est l'héritage qu'elle laisse aux générations futures ». Grâce aux efforts d'un grand nombre de personnes déterminées, nos enfants ont aujourd'hui de meilleures chances de jouir de leur vie dans un monde plus équitable et plus transparent. La Convention de l'ONU peut être une étape décisive sur la route qui mène dans cette direction.
Biographie
Frank Vogl est président de Vogl Communications, Inc., à Washington, et cofondateur, ancien vice-président et membre du Conseil consultatif de Transparency International. Il est également membre du Conseil d'administration de Partnership for Transparency Fund et d'Ethic Resource Center, administrateur du Comité pour le développement économique et membre du Conseil consultatif international du New Israel Fund.

La Convention de l'ONU contre la corruption
La Convention traite un grand nombre de questions importantes liées à la corruption, comme le prouvent certaines dispositions.

L'Article 5 souligne l'importance des principes de transparence et de responsabilité dans les systèmes juridiques nationaux.

L'Article 9 traite de la passation des marchés publics et demande aux autorités de « prendre les mesures appropriées pour établir des systèmes fondés sur la transparence, la concurrence et des critères objectifs pour la prise de décisions, qui soient efficaces, entre autres, dans la prévention de la corruption ».

L'Article 10 souligne la question de la transparence de l'administration publique et demande des actions pour assurer une plus grande liberté d'informations.

L'Article 11 appelle les gouvernements à prendre des mesures pour renforcer leur intégrité et leur indépendance en empêchant les possibilités de corruption.

L'Article 12 soulève les questions de la gouvernance des entreprises en demandant le renforcement d'un régime de réglementation et de sanctions pénales pour prévenir la corruption.

L'Article 14 traite des mesures visant à prévenir le blanchiment d'argent pour promouvoir la prévention, renforcer la consignation des informations et la réglementation des institutions financières.

L'Articles 15 et 16 dénoncent la corruption des autorités gouvernementales nationales et étrangères et demandent que des mesures soient prises pour y mettre fin.

L'Article 33 souligne la nécessité de protéger les personnes qui communiquent des informations.

L'Article 43 souligne l'importance de la coopération internationale pour lutter contre la corruption et demande un renforcement des actions.
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