L'INTERVIEW de la Chronique : Jean Ping
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Photo/Horst Rutsch |
Jean Ping, Président de la cinquante-neuvième session de l'Assemblée générale des Nations Unies, est le Ministre des affaires étrangères de la République Gabonaise. Les 32 années de carrière gouvernementale de M. Ping sont marquées par de nombreux succès diplomatiques, illustrés par sa contribution aux nombreuses médiations entreprises par le Président de la République Gabonaise, El Hadj Omar Bongo Ondimba, en vue de ramener la paix et la stabilité en Afrique centrale, notamment en République du Congo, au Tchad, en République centrafricaine, et à Sao Tomé et Principe.
Député à l'Assemblée Nationale du Gabon depuis 1996, M. Jean Ping a été le Chef de la délégation de son pays à de nombreuses sessions de l'Assemblée générale des Nations Unies. Il a également conduit la représentation gabonaise à un grand nombre de Conférences et Sommets, notamment ceux de l'UNESCO; de l'Organisation de l'unité africaine, puis de l'Union africaine; de l'Organisation de la Conférence islamique; et de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, dont il fut le Président en 1993. M. Jean Ping est titulaire d'un doctorat en sciences économiques de l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Il a débuté sa carrière diplomatique à l'UNESCO à Paris où il sera Délégué permanent de la République gabonaise de 1978 à 1984. Il sera ensuite nommé Directeur du Cabinet Civil du Président de la République de 1984 à 1990. M. Ping occupera de nombreuses hautes fonctions dont celle de Ministre de l'Information, jusqu'à sa nomination en 1999 au poste de Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie.
Leslie Palti et Horst Rutsch se sont entretenus avec M. Ping le 16 août 2004.
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Sur les principaux défis de la nouvelle Présidence de l'Assemblée Générale
Je crois qu'il faut poursuivre l'ouvre de mes prédécesseurs. Mes prédécesseurs ont apporté chacun une pierre à l'édifice pour la construction d'un monde meilleur. Je crois que chaque Président devrait ajouter à cet édifice sa propre contribution. Ces défis globaux sont là : qu'il s'agisse du terrorisme, de la pauvreté, du VIH/Sida, des guerres fratricides ou qu'il s'agisse des problèmes d'environnement ou de criminalité internationale. À problème global, solution globale. On ne peut traiter ces problèmes globaux qu'en faisant intervenir toutes les nations du monde. Il n'y a aucune organisation mieux placée que les Nations Unies pour le faire et pour résoudre ces problèmes. C'est vous dire que l'organisation est appelée à se pencher de plus en plus sur ces questions fondamentales qui menacent l'humanité toute entière.
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Photo ONU |
C'est pourquoi la réforme de l'ONU est une question importante. Au moment de sa création, en 1945, l'ONU ne comptait qu'une cinquantaine d'États Membres. Aujourd'hui, on y dénombre 191 pays. En outre, le monde a radicalement changé depuis lors. Au titre des mutations récentes, il y a, par exemple, la mondialisation, la fin de l'ordre dit de Yalta, la fin de l'antagonisme entre les blocs. Je crois par conséquent qu'il y a lieu de tenir compte des changements intervenus dans le monde en réformant et en réajustant notamment le système des Nations Unies.
Bien entendu, on pense d'abord au Conseil de Sécurité. En 1945, il comptait 11 membres. Depuis lors, ce nombre n'a été porté qu'à 15. On parle de plus en plus de faire participer au sein du Conseil de Sécurité un plus grand nombre d'États, et certains souhaitent même voir le nombre de membres permanents augmenter. Tout le monde en parle. La réforme du Conseil de Sécurité est une nécessité. Maintenant, il ne faut pas se voiler la face et oublier qu'il y a encore des divergences de vues sur l'ampleur et la nature de ces réformes: sur le nombre de membres permanents et non permanents du futur Conseil de Sécurité; sur le droit de veto. Il y a encore des discussions à venir, le Président de l'Assemblée Générale a donc encore du pain sur la planche.
Mais vous savez que l'on parle également de la revitalisation de l'Assemblée Générale. L'Assemblée Générale est un organe très important puisque c'est en son sein que la totalité des pays du monde peut s'exprimer et se concerter, que la quasi totalité des États participent à l'élaboration des normes qui régissent les relations internationales et président à l'organisation du monde. Tout à l'heure nous avons parlé des défis globaux, nous avons indiqué qu'ils ne peuvent se traiter qu'avec la participation de tous, du plus grand au plus petit, nous avons affirmé qu'à problème global, solution globale. Il est évident que seule l'Assemblée Générale peut traiter de ces questions d'une manière démocratique, efficace et efficiente. Il est donc nécessaire de revitaliser l'Assemblée Générale des Nations Unies. Il s'agit là de tâches particulièrement importantes.
Sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement
Je crois qu'il n'est point besoin d'espérer pour entreprendre. Il faut entreprendre. Il faut rester optimiste, disons que je suis optimiste par nature. Je crois qu'il faut aussi éviter de constamment dénigrer le système en disant que l'on n'avance pas. Ce n'est pas vrai. Peut-on imaginer un monde sans l'ONU ? Avec les Nations Unies, plusieurs problèmes de portée collective ou globale, sont fort heureusement soulevés et même résolus. Aucune puissance aussi grande soit-elle, ne peut aujourd'hui se passer des autres. Je crois que ce n'est plus possible. Et chaque jour, nous voyons la nécessité, même pour les grandes puissances, de collaborer avec les Nations Unies, de travailler avec le reste de l'humanité pour trouver des solutions aux multiples problèmes qui se posent quotidiennement. Alors, je pense que les Nations Unies jouent un rôle important, ce rôle pourrait être plus grand notamment en matière de développement des pays du Sud; il pourrait être plus efficace si les États membres le voulaient réellement et s'ils apportaient davantage leurs contributions à la mise en oeuvre de ses décisions - par exemple la Déclaration du Millénaire.
Sur le 60e anniversaire des Nations Unies
La 59e session de l'Assemblée Générale va préparer la 60e session, qui se confond avec le 60e anniversaire de l'ONU. On en attend beaucoup. Tout le monde espère que cette 60e session constituera une échéance butoir pour un certain nombre de propositions visant notamment la réforme des Nations Unies. La 59e session a donc un rôle fondamental et un agenda particulièrement chargé avec, par exemple, la contribution à l'évaluation à mi-parcours de certaines initiatives telles que la Déclaration du Millénaire, les différents sommets qui se sont tenus concernant les problèmes que nous évoquions, notamment ceux du financement du développement, de l'environnement; les problèmes de la femme, les problèmes sociaux, les problèmes de population etc. Toutes ces questions essentielles qui ont focalisé l'attention des États membres et sur lesquelles ont été fixés un certain nombre d'objectifs à atteindre. Il convient de voir si ces décisions ont été effectivement mises en ouvre, d'examiner le chemin parcouru et évidemment le chemin qui reste à parcourir.
Sur le Gabon au sein des Nations Unies
Le Gabon participe à la vie des Nations Unies depuis déjà un peu moins d'un demi-siècle. Pour une jeune nation comme la nôtre, c'est important. Et nous avons pris une part active à toutes les activités des Nations Unies. Nous y croyons. Nous pensons vraiment que si nous voulons avoir un ordre international plus juste, plus équilibré, plus harmonieux, et pourquoi pas plus fraternel, si nous voulons avoir un monde en paix, un monde civilisé, il faut renforcer le rôle des Nations Unies. Le Gabon tient donc à continuer à jouer son rôle au sein du système des Nations Unies, un rôle actif. Tout d'abord, en ce qui concerne le maintien de la paix dans le monde et singulièrement en Afrique parce que l'Afrique a connu dans ce domaine beaucoup de difficultés depuis une quinzaine d'années. On a vu les conflits armés se multiplier en Afrique, un génocide s'y perpétrer, la situation économique s'y détériorer, un grand nombre de crises humanitaires se développer et la pauvreté s'accroître. Les États africains déploient des efforts appréciables pour prendre activement part au processus de globalisation en cours et établir des régimes démocratiques. Mais ils auront besoin du soutien effectif de la communauté internationale pour réduire la pauvreté, la misère et renforcer l'état de droit.
Sur l'expérience gabonaise en Afrique
J'analyse l'expérience gabonaise dans mon livre intitulé « Mondialisation, paix, démocratie, et développement en Afrique » parce que non seulement nous n'avons jamais eu de guerre mais aussi parce que le Président de la République gabonaise El Hadj Omar Bongo Ondimba consacre une partie importante de son temps à essayer de ramener la paix là où il y a des conflits armés notamment en Afrique. Il a coutume de dire que lorsque le feu éclate dans la maison du voisin, si vous ne contribuez pas à faire éteindre l'incendie, les flammes pourraient se propager chez vous. En vertu de cette vision des choses, le Président Bongo Ondimba offre constamment ses bons offices dans le règlement des conflits de la sous-région, pour essayer de ramener la paix avec, je dois dire, un certain succès. Il l'a fait par exemple en République du Congo, en République centrafricaine, au Tchad, à Sao Tomé & Principe, il l'a fait dans beaucoup d'autres pays. Il le fait d'ailleurs souvent dans des circonstances qui passent inaperçues dans le cadre de ce que l'on appelle la diplomatie préventive. C'est lorsqu'un conflit est encore latent, qu'il agit discrètement auprès des protagonistes pour essayer de faire en sorte que ce conflit n'éclate pas ou s'il éclate qu'il ne s'étende pas.
Sur la démocratisation en Afrique
La démocratie est un cheminement, un processus, ce n'est pas par décret qu'il faut l'établir de manière instantanée, définitive et parfaite. C'est un processus qui est souvent long, avec des avancées et des reculs. Mais un processus qu'il faut poursuivre sans fin car la perfection dans l'ouvre humaine n'existe pas. C'est un objectif que tout le monde souhaite atteindre. Je crois que tous les peuples africains souhaitent eux aussi la démocratie, la liberté et le développement comme cela a été dit en juin à Lusaka, en Zambie « food and freedom ». Simplement, lorsqu'il n'y a pas de paix, il ne peut y avoir ni liberté, ni pain ni démocratie, ni développement. A l'inverse, les situations de guerre entraînent des situations de non droit. Nous l'avons vu dans un grand nombre de pays africains, et ailleurs, la guerre entraîne le recul général, la violation des droits de l'homme, la négation de l'état de droit. Lorsque la guerre sévit il ne peut y avoir ni développement, ni liberté. C'est la raison pour laquelle, le Gabon son Président et son gouvernement croient fermement que la paix est une condition sine qua non à tout réel développement et à tout progrès démocratique. Bien évidemment, la paix, le développement, la démocratisation sont souvent des facteurs interactifs qui réagissent l'un sur l'autre.
Sur la gouvernance mondiale
Je pense que là aussi il faut envisager un réexamen de la situation parce qu'il faudrait beaucoup plus de collaboration et d'harmonisation, beaucoup plus de relations au sein du système dans son ensemble. Pour que ce système marche bien, il faudrait beaucoup plus de concertation, d'harmonisation; il faudrait que les décisions prises soient exécutées, éviter les gaspillages et les doubles emplois. Ce n'est pas une chose simple, c'est très compliqué mais je crois que c'est ce vers quoi il faut tout de même tendre. Il est évident qu'une plus grande coordination avec des interactions entre l'ensemble des institutions du système y compris celles de Bretton Woods avec les États contribuerait à améliorer le fonctionnement et l'efficacité des Nations Unies.
Sur le rôle des organisations régionales africaines
Les organisations régionales africaines jouent un grand rôle. Je crois d'abord que la plupart des conflits africains, pour ne pas dire tous, ont été en grande partie résolus par les Africains eux-mêmes. Naturellement, les Africains manquent trop souvent de moyens et donc ne peuvent pas appliquer un certain nombre de solutions, notamment dans les missions de maintien, de consolidation de la paix et de reconstruction. Pour aller gérer une situation dans un pays voisin en crise, les pays africains ont montré à plusieurs reprises, leur bonne volonté et leur disponibilité. Mais ils manquent de moyens matériels et logistiques nécessaires. Si vous regardez bien, les conflits ont été résolus par les Africains eux-mêmes lorsqu'ils recevaient l'appui et le soutien adéquats. L'Union Africaine peut et doit jouer un rôle important de leadership sur le continent, si elle bénéficie de l'appui de partenaires intéressés qui disposent de moyens conséquents.
Sur la médiation entre le Gabon et la Guinée Équatoriale
Le Gabon n'a jamais eu de guerre dans son histoire. Jamais. Ni de guerre d'indépendance, ni de guerre interne, et encore moins de guerre contre un autre pays. Nous n'avons jamais connu de guerre dans notre histoire. C'est quand même assez exceptionnel.
Avec notre voisin, la Guinée Équatoriale nous n'avons pas de conflit, juste un différend territorial qui porte sur les frontières terrestres et maritime ainsi que la souveraineté sur certaines îles, notamment l'île Mbanié. C'est un différend comme beaucoup d'États peuvent en avoir occasionnellement avec leurs voisins et nous avons constamment essayé de le régler par le dialogue. Ces derniers temps, la situation semblait bloquée et le Secrétaire Général des Nations Unies a pris une initiative heureuse qui a été approuvée par les deux chefs d'État de se retrouver autour d'un médiateur qu'il a désigné. Cette médiation a déjà abouti à la signature le 6 juillet dernier d'un accord cadre qui a fait baisser la tension. C'est une bonne chose.
Sur l'utilisation de la langue française
Le français est la langue officielle de mon pays, c'est aussi une langue de travail des Nations Unies, c'est celle que je maîtrise le mieux. Il va donc sans dire que c'est en français que je m'exprimerai, c'est en français que je travaillerai. Bien entendu, je parle l'anglais, je le comprends. Je vais écouter ceux qui ne parlent pas français et échanger avec eux; mais je m'exprimerai autant que faire se peut en français. |
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