Chronique ONU
Les zones exemptes d'armes nucléaires
Un pas vers le désarmement nucléaire ?
Par Adam Shapiro, pour la Chronique

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L'article
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Avec les dizaines de milliers d'armes nucléaires dans le monde héritées de la guerre froide, dont une petite quantité suffirait pour détruire plusieurs fois la planète, le désarmement est probablement la question la plus vitale inscrite à l'ordre du jour mondial. Malgré les dangers associés à ces armes, les nations poursuivent leur programme nucléaire sous couvert de peur et d'insécurité. Bien que des progrès importants aient été accomplis, le désarmement nucléaire évolue lentement car, d'un côté, les États dotés de l'arme nucléaire souhaitent conserver leurs armes pour des raisons de sécurité et de prestige et, de l'autre, les autres États souhaitent la détenir pour accroître leur pouvoir. Les pierres angulaires du régime du désarmement sont le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et le Traité d'interdiction complète des essais des armes nucléaires de 1996 avec, comme mécanismes les plus prometteurs, la création de zones exemptes d'armes nucléaires. En vertu de l'Article VII du TNP, qui préserve le droit des États de conclure des traités instituant des zones exemptes d'armes nucléaires, ces alliances peuvent apporter la réponse au succès futur de la non-prolifération nucléaire et, peut-être, du désarmement total.

« Un certain nombre de mécanismes multilatéraux de désarmement se sont grippés - non pas à cause du système lui-même mais parce que la volonté politique d'y avoir recours semble faire défaut. »

La création de zones exemptes d'armes nucléaires repose sur l'idée d'une corrélation directe entre le désarmement nucléaire et la paix. La plupart des États considèrent que les armes nucléaires sont une force de dissuasion, et s'emploient à les acquérir de crainte que leurs voisins ne le fassent. Les zones exemptes d'armes nucléaires sont conçues pour résoudre ce dilemme. Aux termes de ce traité, les parties s'engagent à interdire leur possession, les essais, leur transport et leur entreposage sur leur territoire. Dans une région exempte d'armes nucléaires, aucun pays ne devrait se sentir en danger au point de chercher à les acquérir ou à les mettre au point. Dans leur création, ces zones visent à améliorer la confiance et la transparence parmi les pays voisins.

La première zone a été établie en 1967 en Amérique latine et dans les Caraïbes par le Traité de Tlatelolco. Les 33 pays de la région, parties au Traité, se sont engagés à interdire l'emploi des matières nucléaires sauf à des fins pacifiques. La création d'une région exempte d'armes nucléaires n'est pas seulement un progrès vers le désarmement nucléaire. C'est une étape majeure vers le désarmement général. Il est stipulé dans le Traité que « les zones militairement dénucléarisées ne constituent pas une fin en soi mais un moyen d'aboutir à une étape ultérieure, au désarmement général et complet ».

Après le succès du Traité, l'initiative a été reconnue mondialement en 1975 lorsque les Nations Unies ont adopté une définition formelle du concept de zones exemptes d'armes nucléaires. Selon la résolution 3472 B de l'Assemblée générale de l'ONU, ces zones doivent seulement correspondre aux nations situées dans les régions spécifiées; reconnaître qu'aucune matière nucléaire n'est présente dans la zone d'application de l'accord; établir un système de vérification et de contrôle de leurs installations nucléaires et être formellement reconnues par l'Assemblée générale.

Il existe à ce jour quatre autres zones regroupant 110 pays. La deuxième couvre le Pacifique Sud. L'initiative, proposée par le Forum du Pacifique Sud, a été ouverte à la signature en 1983 et adoptée en 1985 avec le Traité de Rarotonga. La zone comprend l'Australie, les îles Cook, les îles Fidji, Kiribati, Nauru, la Nouvelle-Zélande, Nieu, la Papouasie-Nouvelle Guinée, les îles Salomon, Tonga, Tuvalu, Vanuatu et les Samoa occidentales. Contrairement au Traité de Tlatelolco, le Traité de Rarotonga interdit aux États nucléaires d'effectuer des essais, même à des fins pacifiques, dans la zone d'application. Puis, le Traité de Bangkok a été ouvert à la signature en décembre 1995, créant une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du Sud-Est. Au vu des préoccupations concernant la sécurité après la guerre froide et l'unité de l'Asie, les sept membres de l'Association des Nations du Sud-Est asiatique (ANSEA) - Brunei Darussalam, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam - ainsi que la République démocratique populaire lao, le Cambodge et Myanmar, ont décidé de renoncer à leurs aspirations nucléaires.

De nouvelles zones ont ensuite été créées en Afrique, avec la signature du Traité de Pelindaba. L'appel à un accord régional africain sur la dénucléarisation a été lancé après les premiers essais nucléaires effectués par la France au Sahara en novembre 1961. Lors du Sommet de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA), les dirigeants ont conclu qu'il était nécessaire d'établir une zone exempte d'armes nucléaires en Afrique. L'accord s'est finalement conclu en 1991 lorsque l'Afrique du Sud - la seule nation africaine à avoir mis au point la technologie nucléaire - a décidé d'abandonner son programme et d'être partie au TNP en tant qu'État non doté de l'arme nucléaire, s'engageant donc à ne pas chercher à l'acquérir. Même si le Traité de Pelindaba n'est pas encore ratifié - seulement 19 des 28 pays requis l'ont ratifié à ce jour - et n'est pas entré en vigueur, c'est cependant un accord historique car un ancien État nucléaire fait partie de la zone. Au total, 54 nations africaines pourraient être incluses dans cette ZEAN. La cinquième zone est l'Antarctique où les essais nucléaires et le rejet des déchets radioactifs ont été interdits en 1959 par l'adoption du Traité de l'Antarctique.

Les mécanismes des traités ne concernent pas seulement l'interdiction des armes nucléaires. Les traités comprennent un protocole signé par les États dotés de l'arme nucléaire octroyant des assurances négatives de sécurité pour cette ZEAN particulière, garantissant que ces États n'utiliseront ni ne menaceront d'utiliser ce type d'armes contre les États parties. En plus de renforcer la confiance entre les États dotés de l'arme nucléaire et les États faisant partie des ZEAN, les traités permettent d'améliorer la transparence. Les zones exemptes autorisent l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à mener des inspections régulières et spéciales dans la région. La force de l'initiative des ZEAN repose sur la coopération et la confiance, car l'établissement de celle-ci est l'élément le plus important pour assurer la sécurité nucléaire. Les zones exemptes d'armes nucléaires prouvent que les États participants remplissent leurs obligations conformément à l'article 6 du TNP, qui oblige les États non dotés de l'arme nucléaire à ne pas l'acquérir et les États qui en sont dotés de négocier « de bonne foi » le désarmement nucléaire. Les inspections sans préavis effectuées dans les ZEAN renforcent la structure de vérification du TNP et empêchent les États d'acquérir l'arme nucléaire pour assurer leur sécurité future.

Certains États individuels, qui participent aux initiatives en matière de désarmement nucléaire mais qui ne figurent pas dans les zones exemptes d'armes nucléaires, ont reconnu leur statut non nucléaire et sont soumis aux mêmes règles et réglementations que celles des cinq zones officielles. L'Autriche et la Mongolie, par exemple, ont annoncé leur statut non nucléaire respectivement en 1999 et en 2000. Dans la période qui a suivi la guerre froide, plusieurs facteurs ont empêché le désarmement nucléaire : l'impasse dans les pourparlers entre les États-Unis et la Fédération de Russie concernant le Traité sur la réduction des armes stratégiques (START); l'incertitude du succès du CTBT ainsi que du TNP; l'intégrité du Traité sur les missiles antimissiles balistiques (ABM) menacée par la mise en place de nouveaux systèmes de défense; et de nouvelles incitations pour renforcer la technologie nucléaire des États dotés de l'arme nucléaire.

Alors que l'initiative de créer des ZEAN a connu jusqu'à ce jour un grand succès dans les cinq zones d'application de l'accord, il existe toutefois certains obstacles. Par exemple, la ratification des traités et des protocoles par tous les États parties : l'incapacité à réunir le nombre de signatures nécessaires empêche la mise en ouvre du Traité de Pelindaba; et la mise en place de mécanismes pour vérifier que les États respectent leurs obligations. De plus, le transport des matières nucléaires a posé un problème : les ZEAN devraient-elles interdire le transport des matières nucléaires dans leurs mers ? Bien que le Traité de Tlatelolco spécifie une région exempte d'armes nucléaires pour l'Amérique latine, un débat a eu lieu entre les nations pour déterminer si le transport des matières fissiles devait être autorisé dans leur zone. D'autres défis concernent les défauts inhérents au TNP. En janvier 1992, par exemple, la Corée du Nord et la Corée du Sud ont signé une déclaration indiquant qu'elles mettaient fin à toutes les activités nucléaires dans la Péninsule, sauf celles destinées à la recherche nucléaire à des fins pacifiques. L'accord a été gelé lorsque la Corée du Nord s'est retirée du TNP en janvier 2003, et aucun progrès n'a eu lieu depuis.

Un problème fondamental du TNP tient au fait qu'il permet à certains États de posséder des dispositifs nucléaires, alors qu'il l'interdit à d'autres. Bien que les États nucléaires doivent négocier « de bonne foi » le désarmement nucléaire, aucun mécanisme n'a été mis en place pour garantir qu'ils respectent leurs obligations en la matière. Le désarmement n'aura lieu que si les pays ont la volonté de le réaliser. Les progrès accomplis par les traités instituant les ZEAN sont dus en grande partie au fait que tous les États parties veulent vivre dans une zone exempte d'armes nucléaires. À la Conférence d'examen du TNP qui a eu lieu en 2000 au siège de l'ONU à New York, le Secrétaire général, Kofi Annan, a souligné les insuffisances liées au TNP, faisant remarquer que les 35 000 armes nucléaires existantes, dont beaucoup sont en état d'alerte instantané, n'ont pas été encore démantelées parce qu'un « certain nombre de mécanismes multilatéraux de désarmement se sont grippés - non pas à cause du système lui-même mais parce que la volonté politique d'y avoir recours semble faire défaut ».

Tant que les États ne seront pas prêts à vivre sans ces armes et que des mesures telles que les ZEAN ne seront pas adoptées pour les interdire, aucune sécurité nucléaire ne sera garantie. Dans son article How to Stop Nuclear Terrorism, Graham Allison met en évidence une solution simple pour éliminer la menace nucléaire : « S'il n'y a ni armes ni matières nucléaires, il n'y a pas de terrorisme nucléaire ».

Il est généralement reconnu qu'en interdisant la prolifération des armes nucléaires, la création des ZEAN est une étape importante sur la voie du désarmement nucléaire. Le nombre croissant des ZEAN suggère que ces régions continueront leur expansion. Le 30 septembre 2002, une résolution proposée par le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan pour établir une zone exempte d'armes nucléaires en Asie centrale a été adoptée par consensus par l'Assemblée générale. Le 19 décembre 2003, l'Assemblée a proposé une résolution pour que le Moyen-Orient devienne une zone exempte d'armes nucléaires et abordera cette question lors de la cinquante-neuvième session ou après ainsi que la création de nouvelles ZEAN régionales en Asie du Sud, en Asie du Nord et en Europe centrale. L'Assemblée a également soutenu une déclaration entre les régions existantes.

Réunion ministérielle consacrée au CTBT
Lors de la réunion ministérielle consacrée au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT), qui s'est tenue au siège des Nations Unies à New York le 23 septembre 2004, 27 ministres des Affaires étrangères et 15 responsables gouvernementaux de haut niveau ont fait une déclaration commune, exhortant les États non signataires, en particulier ceux dont la ratification est nécessaire pour que le CTBT entre en vigueur, de le signer et de le ratifier sans plus tarder.

« Nous vivons dans un monde où nous sommes confrontés à de nombreuses menaces pour la sécurité dont la plus courante et la plus effrayante est celle des armes de destruction de massive, en particulier les armes nucléaires, qui tomberaient entre les mains de terroristes », a déclaré Erkki Tuomioja, ministre des Affaires étrangères de la Finlande. Il a également noté le lien entre le CTBT et la prolifération des armes nucléaires et souligné l'importance de soutenir le moratoire sur les essais et les explosions d'armes nucléaires. « Nous avons connu des succès depuis que le nombre de ratifications continuent d'augmenter, mais nous avons encore beaucoup à faire. »

Yoriko Kawaguchi, ministre des Affaires étrangères du Japon, a dit qu'elle espérait que l'élan politique généré par la réunion ministérielle contribuera au succès de la Conférence d'examen de 2005 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). La dernière Conférence d'examen du TNP en 2000 a également souligné l'importance du CTBT, considérant que son entrée en vigueur était la première mesure pratique à prendre pour atteindre les objectifs de désarmement et de non-prolifération nucléaire.

Se félicitant de la déclaration ministérielle commune soutenant l'interdiction des essais nucléaires, le Secrétaire général, Kofi Annan, a également exhorté les pays qui n'ont pas encore signé ou ratifié le CTBT de le faire sans plus tarder.

Sept ans après son adoption le 10 septembre 1996 par l'Assemblée générale de l'ONU, dans une tentative de mettre fin à un cinquante ans d'essais nucléaires, le CTBT n'est toujours pas mis en vigueur. Il comprend un système international de surveillance, des inspections sur le terrain sans préavis et autres clause de vérification afin d'assurer que les parties souscrivent à leurs obligations.

Jusqu'à ce jour, 172 nations ont signé le CTBT et 116 l'ont ratifié. Il n'entrera pas en vigueur tant qu'il n'aura pas été ratifié par les 44 États qui possèdent des capacités ou des réacteurs nucléaires. Seulement douze de ces États ne l'ont pas ratifié : la Chine, la Colombie, l'Égypte, les États-Unis, l'Inde, l'Indonésie, l'Iran, Israël, le Pakistan, la République démocratique du Congo, la République populaire démocratique de Corée et le Vietnam.

Les cinq traités instituant des ZEAN sont:
1.Traité de l'Antarctique (1959);
2.Traité de Tlatelolco (1967): Amérique latine et Caraïbes;
3.Traité de Rarotonga (1985): Pacifique Sud - Australie, îles Cook, îles Fidji, Nauru, Nouvelle-Zélande, Niue, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Samoa, îles Salomon, Tonga, Tuvalu, Vanuatu;
4.Traité de Bangkok (1995): Asie du Sud-Est - Brunei Darussalam, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam, République démocratique populaire lao, Cambodge, Myanmar;
5.Traité de Pelindaba (1996, pas encore ratifié) : Afrique
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