Chronique ONU
Endiguer la montée du racisme
et de la xénophobie en Europe
Par Glyn Ford

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article
Pendant plus de deux décennies, l'Europe a connu une montée du racisme et de la xénophobie qui a pris des proportions inquiétantes. Depuis le 11 septembre, ce phénomène s'est manifesté notamment sous la forme d'islamophobie couplée à un antisémitisme idéologique propagé par les partis néo-nazis. Depuis 1984, ce fléau social s'est manifesté politiquement par le développement des partis néo-fascistes et d'extrême droite, les deux se nourrissant l'un de l'autre. Dans une certaine mesure, la mémoire des horreurs commises par l'Allemagne hitlérienne a permis d'en contrôler l'influence. Cela a, cependant, commencé à changer alors que les événements récents ont créé la perception que le monde chrétien était engagé dans une guerre contre le monde islamique, permettant aux partis d'extrême droite de trouver un écho populaire et de se refaire un nouveau visage en abandonnant une grande partie de leur bagage historique.

En juin 2004, 732 membres du Parlement européen (MPE) ont été élus par 350 millions d'électeurs dans le cadre des plus grandes élections jamais tenues dans le monde. Quels ont été les résultats ? Les grands partis ont subi une défaite retentissante dans tout le continent. Or, les vainqueurs n'étaient pas leurs opposants traditionnels de gauche et de droite, mais les partis populistes de droite. Dans ces élections, 25 députés européens issus de dix partis néo-nazis et d'extrême droite de sept États membres, dont trois nouveaux venant d'accéder à l'UE, ont été élus au Parlement. Ils ont été rejoints par une douzaine de députés qui partagent leur rhétorique, voire leur idéologie sous-jacente. Ceci risque d'intensifier davantage la discrimination à l'égard des 12 à 14 millions de personnes issues de pays tiers et des 4 millions de Noirs qui vivent dans l'Union européenne, confrontés déjà à la violence physique, à la discrimination quotidienne et au harcèlement verbal - citoyens de deuxième classe ayant droit à un traitement de troisième classe. Suite à l'élargissement de l'Europe aux pays de l'ex-Union soviétique, les Roms sont devenus les nouveaux boucs émissaires de l'extrême droite.

L'UE préconise l'inclusion des droits égaux dans la législation de tous les nouveaux États membres. Or, cette pratique est menacée par l'attrait des politiques des nouveaux partis de droite favorables à la baisse des impôts et à l'amélioration des services publics, et leur nationalisme étroit trouve un écho auprès du grand public nourri de xénophobie diffusée au compte-gouttes. Avant les élections, le climat politique et médiatique était en faveur de la nouvelle droite. Par exemple, le Vlaams Blok belge, le Front National (FN) français, l'Alliance nationale italienne et le Parti national britannique (BNP) avaient obtenu de bons résultats aux dernières élections locales et régionales, au-delà des prévisions et parfois même de leurs propres attentes. En Europe, la presse s'est déchaînée invoquant les conséquences économiques d'une immigration massive due à l'élargissement de l'UE qui, en fait, s'est avérée peu significative. Cependant, l'extrême droite et la droite ont exploité ce phénomène pour alimenter les peurs du public et en tirer profit, les groupes minoritaires faisant l'objet de calomnies et d'attaques physiques. En Grande-Bretagne, le climat créé par la presse à sensation et les propos néo-fascistes du BNP s'est associé aux propos racistes, antisémites et homophobes tenus par les Little Englanders du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Le bagage historique du BNP et de ses dirigeants, et leurs relations néo-nazies, étaient trop lourds pour être approuvés par les électeurs. De fait, l'UKIP a profité de l'attention portée au BNP et volé la victoire au parti Tory. Ils ont ciblé les tabloïdes et obtenu un soutien qui s'est reflété dans le vote final : le BNP a obtenu 4,9 % du vote national alors que l'UKIP a obtenu 16,1 % (plus que les démocrates du parti libéral) et 11 sièges. L'UKIP a les couleurs du parti Tory mais est, en fait, une version allégée du BNP avec des politiques sur l'immigration, sur l'Europe et sur les syndicats pratiquement similaires. Comme l'a déclaré un éminent esprit lors de leur Conférence 2003, « un pacte avec les syndicats est un pacte avec le diable ». Et c'est partout pareil.

De l'autre côté de la Manche, Jean-Marie Le Pen, du Front national, menait sa propre bataille pour assurer sa succession à la tête du parti et sa direction en vue des élections. Il espère que sa fille, réformiste de droite, lui succédera plutôt que Bruno Gollnisch, son député actuel « révolutionnaire national ». Marine Le Pen est prête à laisser l'idéologie du FN afin de se démarquer de son ghetto électoral et d'élargir les 20 % de l'électorat français qui vote pour l'extrême droite. Les résultats de cette année on été une victoire pour Jean-Marie Le Pen : le FN a amélioré son score et est arrivé quatrième derrière les socialistes et les deux grands partis de droite. Sept députés européens du FN ont été élus au Parlement, comparés à cinq précédemment, avec un nombre de sièges français réduit et un nouveau système électoral moins favorable.

En Italie, Gianfranco Fini, de l'Alliance nationale, un parti néo-fasciste (comme il le qualifie lui-même) il y a dix ans mais aujourd'hui un parti populiste de droite et une composante clé du gouvernement, a conservé un soutien important malgré la défaite subie par Sylvio Berlusconi, de Forza Italia, alors que le parti ouvertement fasciste d'Alessandra Mussolini (la petite-fille de Benito Mussolini), Alternativa Sociale, n'a gagné qu'un seul siège. Parmi les nouveaux États membres, la Pologne a vu la victoire des parties d'extrême droite, ultra-nationalistes, la Liga Polskich Rodzin (La Ligue polonaise des familles), Prawao i Sprawiedliwosc (Loi et ordre) et Samoobrona (Autodéfense) enregistrant des scores élevés inquiétants. Les pays de l'ex-Union soviétique ont connu des résultats similaires, les partis xénophobes l'emportant sur les partis internationalistes. Mais il n'en a pas été partout de même. Dans certains États membres, la droite populiste a été déçue. Au Danemark, les eurosceptiques ont perdu deux tiers de leurs sièges et aux Pays-Bas, Lijst Pim Fortuyn, dont le thème de prédilection était l'immigration, est arrivé à la neuvième place alors qu'il avait le vent en poupe après l'assassinat de son leader deux ans auparavant. En Autriche, le parti d'extrême droite de Jordu Haider a connu une défaite au Parlement européen, passant de six sièges à un seul. Dans tous ces pays, les grands partis ont repris les discours de la nouvelle droite contre l'immigration.

À travers toute l'Europe, les sceptiques et les xénophobes, sous leurs airs bon enfant, ont gagné du terrain au détriment des partis qui se réclament ouvertement de l'extrême droite. Ce n'est qu'en Belgique que le Vlaams Blok néo-fasciste a continué de progresser sans adoucir son discours au détriment de tous les autres partis. Les « fascistes version allégée » ont pris de l'importance par rapport à la droite fasciste. Pourtant, ces partis populistes sont aussi dangereux, si ce n'est plus, que leurs homologues néo-fascistes. Les électeurs sont toujours plus ou moins « vaccinés » contre les héritiers politiques et idéologiques d'Hitler, mais pas contre ceux qui cachent leurs antécédents, se donnent une nouvelle image ou se réinventent. Moins le public est confronté à la banalisation du racisme, plus la musique diffuse des messages d'incitation à la haine dans les ombres sombres de l'Europe, telle celle de groupes comme « No Remorse » [aucun regret] pour « aucun regret pour l'Holocauste » et leurs albums comme « Barbecue in Rostock » qui célèbre les attaques du foyer d'immigrés dans cette ville allemande.

Il existe toutefois des forces de compensation. L'UE s'est efforcée de créer une Europe qui embrasse les principes de dignité, de liberté, d'égalité, de solidarité, des droits des citoyens et de justice. Dans ce cadre, elle a signé en décembre 2000 la Charte des droits fondamentaux, énonçant pour la première fois dans un seul texte les droits civils, politiques, économiques et sociaux pour les citoyens et les résidents européens, première initiative de ce genre dans l'histoire de l'Union européenne. L'UE a également joué un rôle majeur sur la scène internationale. Elle a contribué à la négociation d'un accord, sous les auspices du nouveau Commissaire de l'UE chargé du développement, Louis Michel, lors de la Troisième Conférence mondiale de l'ONU contre le racisme qui s'est tenue à Durban en 2001. Malgré le départ des États-Unis, une déclaration finale a été approuvée.

Sur le plan européen, l'UE a tenté d'isoler l'extrême droite. Elle a établi le Centre de surveillance du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme à Vienne afin de suivre l'évolution de ces phénomènes et de chercher les moyens de les contrecarrer. En 2001, suite à la formation d'une coalition gouvernementale autrichienne qui incluait pour la première fois le parti d'extrême droite Parti de la Liberté, les députés européens ont imposé des sanctions diplomatiques, lesquelles ne seraient levées que s'il était prouvé, suite à une enquête, que son nouveau gouvernement ne violait pas l'article 13 sur la non-discrimination du traité d'Amsterdam de 1997. La menace était réelle. Jordu Haider, gouverneur de Carinthie, avait montré son engagement à exclure de la société civile ceux qui, à ses yeux, n'étaient pas des Autrichiens de souche, et préconisait l'abolition du statut de la minorité slovène. Douze mois plus tard, les sanctions ont été levées après qu'un rapport indépendant a montré que le Parti de la Liberté n'avait pas été en mesure d'étendre la discrimination à l'échelon national.

D'autres tentatives ont été menées pour combattre la montée du racisme. L'UE a créé des organisations telles que le Réseau européen contre le racisme, qui agit comme point de contact des organisations non gouvernementales qui combattent le racisme. De même, la législation européenne prévoit que chaque État membre soit doté de sa propre commission pour l'égalité raciale. L'influence de ces organisations dépend cependant de la volonté politique des gouvernements.

Alors que les générations se succèdent, les leçons tirées de la Deuxième Guerre mondiale ont été peu à peu reléguées dans les livres d'histoire. L'oubli a déjà commencé son ouvre. Jean-Marie Le Pen donne le ton en disant « 3 millions d'immigrés, 3 millions de chômeurs, 3 millions d'immigrés en trop », faisant écho au slogan nazi autrichien des années 1930 : « 400 000 juifs, 400 000 chômeurs, 400 000 juifs en trop ». La question est de savoir si l'émergence de ces partis populistes de la nouvelle droite légitimera la transformation d'un racisme et d'une xénophobie en essor dans un programme politique au jour le jour. La création en Europe d'un tel environnement empoisonné par la haine et le désespoir est de mauvais augure pour l'avenir de l'Europe.

À l'heure actuelle, une attaque ou un incident racial se produit toutes les trois minutes dans l'Union européenne. Avec l'apparition de cette nouvelle droite fasciste en version allégée, ce taux et le succès électoral de ces partis continueront-ils à augmenter ? Ou bien ces Européens, qui sont de plus en plus séduits par cette nouvelle droite, ouvriront-ils leurs yeux et verront ces partis pour ce qu'ils sont : des nationalistes à l'esprit étroit qui sont une menace pour la position de l'Europe dans un monde de plus en plus global ?
Biographie
Glyn Ford est membre du Parlement européen depuis 1984, membre de la Commission du commerce international et suppléant au Comité des Affaires étrangères et des relations extérieures. De 1989 à 1003, il a été à la tête du Parti travailliste au Parlement européen et membre du Comité exécutif de son parti. Entre 1984 et 1986, il a été président de la Commission d'enquête du Parlement sur la montée du racisme et du fascisme.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut