Chronique ONU

Accéder au spirituel à travers le monde materiel
L'art traditionnel indien à l'Asia Society
Par Val Castronovo

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L'article
L'Asia Society, située au nord de Manhattan, près du siège de l'ONU, a organisé deux expositions passionnantes consacrées à l'art indien. In the Realm of Gods and Kings (Au royaume des dieux et des rois) et When Gold Blossoms (Quand l'or resplendit), qui ont ouvert simultanément en automne 2004, sont dues à l'initiative de la Society de présenter le passé, le présent et l'avenir de l'Inde. Plus de 200 ouvres de deux collections privées sont exposées, dont beaucoup pour la première fois. Ces expositions témoignent de l'attachement de la Society à faire découvrir des ouvres peu connues.

Krishna, en prince, s'approche de jeunes villageoises Kishangarh, Radjasthan, Inde; vers 1735-1740. Cynthia Hazen Polsky Collection
Comme l'écrit le nouveau président et conservateur du musée, Vishakha Desai, dans l'avant-propos du catalogue de l'exposition Les dieux et les hommes : « Depuis ses débuts, l'Asia Society s'est engagée à présenter le meilleur de l'art asiatique de façon à mettre en valeur la richesse des cultures asiatiques. L'exposition In the Realm of Gods and Kings s'inscrit dans notre démarche de créer des approches innovantes afin de faire découvrir les cultures asiatiques au travers des traditions artistiques. »

Dès que l'on entre dans les salles du troisième étage, deux mondes s'ouvrent à nous - l'un, terrestre, l'autre, divin. Les miniatures richement colorées des XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, provenant de la collection Cynthia et Leon Polsky et de leurs dons au Metropolitan Museum, sont le principal point d'intérêt. L'amour courtois des rois et des princes, des empereurs moghols et des dignitaires hindous Rajput rivalise avec les jeux romantiques des dieux et des gopi (jeunes vachères), Krishna et sa bien-aimée, Radha. Au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, sous l'influence des empereurs occidentaux, les empereurs moghols musulmans ont soutenu les artistes qui privilégiaient les peintures réalistes mettant en scène des personnes, réalisées dans un style documentaire et détaillé, au lieu des tableaux et des portraits idéalisés.

Comme il est indiqué dans le catalogue de l'exposition, « jusqu'au XVIe siècle, il y a peu de peintures représentant les haut dignitaires ou les courtisans indiens. Mais les premiers Moghols ont montré un intérêt nouveau et marqué pour l'homme et la nature, mettant l'accent sur la personne, l'individualisme et les dispositions personnelles particulières », faisant écho aux idées de la Renaissance. La miniature A lady at a Window (Une dame à la fenêtre) (Moghol, vers 1750) est un exemple typique. Les portraits avec fenêtre, créant l'illusion de voir une scène à travers une fenêtre, étaient une caractéristique de l'art moghol depuis le XVIIe siècle, en imitation aux portraits de la Renaissance où la perspective était utilisée pour créer l'illusion de la profondeur.

On remarque, dans des salles situées un peu plus à l'écart, des peintures représentant des membres de la famille royale et des nobles qui se baignent ou fument le narguilé, ou dégustent du vin ainsi que des tableaux montrant des femmes dans des positions lascives. Mais le point fort de l'exposition, c'est la découverte du royaume de Krishna, ce personnage divin au visage bleu foncé, une réincarnation de Vishnu, qui s'ébat avec Radha, une gopi. Plusieurs pages de manuscrits comportant des illustrations de légendes célèbrent les ébats amoureux du dieu de l'amour avec Radha et forme le point central de l'exposition où se mêlent passion, désir et joie sans contraintes. Krisha et Radha in a grove (Krisha et Radha dans un bosquet) [illustration d'une série de la Bhagavata Purana; Bikaner, Radjasthan, vers 1600-1610) en est un exemple typique. Dans un autre tableau plein d'ironie, Krishna as a prince approaching the village girls (photo ci-dessus), une jolie jeune fille, probablement Radha, se pâme d'admiration à l'approche de Krishna, représenté en prince royal à cheval. Comme l'écrit Andrew Topfield dans le catalogue, « ici, Krishna est non seulement le héros plein de dévotion mais un monarque majestueux, inspirant le respect à tous ceux qu'il croise ».

Les jeunes filles sont toutes amoureuses de Krishna et il sait en tirer parti. Un jour, alors qu'il épie un groupe de jeunes filles qui se baignent dans une rivière, étant d'humeur malicieuse, il vole leurs vêtements et grimpe à un arbre, forçant les belles demoiselles confuses à se présenter devant lui pour l'implorer de leur rendre leurs biens. (Voir Krishna steals the gopis'clothes; illustration d'une Bhagavata Purana, livre X, ch. 22; Bikaner, Radjastan; env. 1600-1610). Mais d'après les explications, les gopis « n'étaient pas trop fâchées contre Krishna. Elles étaient ravies d'être en compagnie de leur bien-aimé ».

Devi sur le lotus, de la série Tantric Devi, Sasolhi ou Nurpur, Punjab, Inde; vers 1660-1670. Collection Cynthia Hazen Polsky
L'exposition regorge de trésors, comme quelques photos de Raghubir Singh (1942-1999), ainsi que des sculptures traditionnelles et des objets décoratifs en ivoire. Mais on ne peut faire un compte rendu de l'exposition sans mentionner l'autre grande divinité hindoue, Devi, la grande déesse. Représentée parfois douce et bienveillante ou parfois sous des aspects redoutables, elle était très populaire dans l'État du Punjab situé au nord du pays. Dans Devi on the lotus (Devi sur le lotus, illustration de la série Tantric Devi; Basolhi ou Nurpur, Punjab; env. 1660-70), la déesse parée de bijoux est assise sereinement sur un lotus ouvert sur un fond rouge orangé vif. Comme l'indique le commentaire, « dans sa main droite ornée de motifs au henné, elle tient une fleur de lotus, l'attribut de la déesse généreuse Lakshmi ». Les manuscrits de la série Tantric Devi, qui comprenaient initialement quelque soixante-dix pages, montrent des illustrations de Devi sous chacune de ses innombrables formes, accompagnée de vers en sanscrit qui en font une description vivante. Le vers inscrit au dos de la splendide peinture Devi sur le lotus la décrit comme une « mère des trois mondes... parée d'ornements variés/Dans mon cour je vénère cette déesse/cette divinité ».

En haut à gauche : Boucles d'oreilles en or en forme de lotus, serties de rubis. Assam, Inde; XIXe siècle. En haut à droite : Sandales (padukas) d'une divinité en laque recouverte de feuille d'or, ornées de rubis, d'émeraudes et de diamants avec émeraudes poires. Deccan, Inde; XVII et XVIIIe siècles. Collection Susan L. Benningson Photos : Benjamin Harris. B.S.K.
Au troisième étage, sont exposés de splendides bijoux indiens provenant de la collection Susan L. Beningston. Dans l'exposition intitulée When Gold Blossoms, quelque 150 bijoux datant des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, venant principalement du sud de l'Inde et destinés aux femmes et aux divinités, resplendissent de mille feux. L'Inde du Sud est réputée pour ses bijoux en or : les cultures moghol et rajput, au nord de l'Inde, sont caractérisées par l'emploi de pierres précieuses et semi-précieuses. Selon la tradition indienne, les bijoux ont un pouvoir immense : l'or a le pouvoir de purifier, alors que les pierres précieuses transmettent à ceux qui les portent les énergies positives des planètes. Le titre de l'exposition fait également référence aux formes de la nature qui ornent ces objets. Les boucles d'oreilles ou dormeuses en forme de lotus en or et en rubis (Assam; XIXe siècle) qui sont exposées à l'entrée de l'exposition en sont un exemple typique.

Cependant, comme la conservatrice Molly Emma Aitken le souligne dans la préface du catalogue, chaque objet a un sens plus profond. Car la beauté est seulement un aspect de la parure. « En Inde, l'ornement... signifie la vie. Il porte bonheur, il protège et apporte croissance et prospérité. Il est inhérent à la beauté. Il fait plaisir. Mais il a également une portée sociale. Parer une personne de bijoux c'est lui offrir sa protection, la prospérité, le respect et un statut social. » Un grand nombre d'objets personnels, qui sont une affirmation de la vie, sont présentés dans cette merveilleuse exposition : anneaux de nez et de chevilles, bracelets, colliers, boucles d'oreilles, couronnes, étoffes pour recouvrir les tresses, ornements de cheveux, etc. Une balançoire miniature du XVIIIe siècle en vermeil destinée à une divinité, probablement à Krishna, qui aime s'amuser, a été conçue pour le dieu et sa bien-aimée. Deux petites barres sont fixées pour permettre aux Hindous fervents de pousser l'être divin. Une curiosité rare et exotique.
Biographie
Val Castronovo est une journaliste indépendante spécialisée dans la couverture d'expositions d'art et les articles consacrés à l'art. Ses articles ont paru dans United Nations Secretariat News et www.seniorwomen.com.
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