Chronique ONU
Le Rwanda : dix ans après
Les survivants du génocide font face à un avenir incertain
Par Beatriz Pavon, pour la Chronique

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L'article
Un casque bleu canadien de l'ONU distribue de l'eau à un petit garçon déplacé à un point d'aide établi pour aider les Rwandais qui rentrent du Zaïre, près de la ville frontalière Gisenyi. UNICEF/HQ94-0350/Betty Press
Dix ans après le génocide du Rwanda où 800 000 personnes ont perdu leur vie, les survivants du massacre font face à un avenir incertain dû à une aide étrangère insuffisante et à l'absence de mesures judiciaires pour garantir des réparations aux victimes.

Plusieurs programmes d'aide mis en place au Rwanda s'efforcent de subvenir aux besoins des survivants qui, selon une enquête réalisée en 1998 par le gouvernement rwandais, représentent approximativement la moitié de la population. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) aide les survivants à retrouver leur famille et finance l'éducation de 2 000 enfants. En outre, plusieurs institutions des Nations Unies, comme le Fonds de développement des Nations Unies pour les femmes, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et le Programme des Nations Unies pour le développement, ont renforcé la capacité du gouvernement rwandais à financer des projets de microfinancement en vue d'aider les femmes à devenir indépendantes financièrement. Le gouvernement finance également, par le biais du Fonds d'aide aux survivants du génocide, les frais de scolarité et les soins médicaux, tandis que les organisations d'aide aux victims offrent des conseils, aident le peuple rwandais à faire son deuil et se chargent de recueillir les témoignages.

Malgré les programmes d'aide dans le pays, un grand nombre de survivants et leurs défenseurs estiment que les besoins des victimes n'ont pas été satisfaits, la majorité d'entre eux vivant toujours dans des conditions déplorables, confrontés à la pauvreté, aux maladies et à l'isolement social. Alison Des Forges, responsable de la Division de Human Rights Watch, note que les victimes ont « reçu une aide concrète minime » car, vu le nombre de victimes et les niveaux de financement existants, « il n'y a pas assez pour subvenir aux besoins de chacun ». De plus, Rakiya Omaar, directrice d'Africa Rights, explique que les programmes d'aide traitent souvent un seul aspect du relèvement du pays et ne « prennent pas en compte toutes les personnes qui sont dans le besoin ».

Malgré le manque d'assistance, les Rwandais reconstruisent leur système judiciaire pour juger les 100 000 personnes qui ont participé aux massacres de 1994. À la demande du gouvernement rwandais, le Conseil de sécurité de l'ONU a créé un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) dont le siège se trouve à Arusha, en République unie de Tanzanie, afin de juger les auteurs présumés des massacres. Au début, les survivants et les familles des victimes connaissaient peu de choses sur le TPIR. Mais, selon Mme Des Forges, les Rwandais ont peu à peu « constaté avec satisfaction les progrès accomplis ». À ce jour, le Tribunal a jugé neuf affaires, dont onze ont été portées en appel. À la demande du Conseil de sécurité, tous les procès doivent être achevés en 2008 et tous les appels examinés en 2010 au plus tard, ce qui veut dire que la remise sur pied des institutions locales est nécessaire pour traduire en justice les auteurs de crimes qui ne sont pas encore jugés.

Étant donné que le système judiciaire était pratiquement anéanti après le génocide, sa remise en place sera longue. Selon le rapport 2000 du Représentant de la Commission des droits de l'homme de l'ONU sur la situation en Rwanda, près de 123 000 détenus étaient entassés dans les prisons et les centres de détention. Pour désengorger les prisons, le gouvernement a institué en 2001 des tribunaux locaux gacaca chargés de juger les petits exécutants du génocide rwandais. Les communautés étaient encouragées à parler ouvertement sur le génocide, mais à cause du manque d'engagement de la communauté, ces tribunaux ont eu un succès limité.

La justice « de restitution », qui comprend souvent une indemnisation financière, la réadaptation, la restitution des biens et les garanties que les agissements en cause ne se produiront plus, est une question controversée dans le système de justice pénale internationale. Actuellement, de telles demandes n'ont pas encore été adressées devant les tribunaux internationaux ou nationaux. Selon Adama Dieng, greffier du TPIR, le Tribunal « n'a pas pour mission de veiller au bien-être des victimes du génocide ». Il ajoute cependant qu'en poursuivant les organisateurs du génocide, le TPIR espère « contribuer au processus de réconciliation nationale en Rwanda ». Le Président d'IBUKA, Placide Kalisa, explique que « la gravité des problèmes des survivants n'ayant pas été reconnue, aucun programme ou aucune loi spécifique n'a été créé pour eux [les victimes] ».

Un soutien international continu est nécessaire pour assurer une aide étrangère suffisante aux efforts de secours sur le terrain et pour veiller à ce que la remise sur pied des institutions judiciaires reste une priorité. L'ONU a reconnu ses responsabilités pour aider les survivants à se remettre des blessures physiques et psychologiques. Comme l'a déclaré le Secrétaire général, Kofi Annan, lors de la Conférence commémorative sur le génocide rwandais en mars 2004 : « Nous ne pouvons pas changer le passé. Mais nous pouvons aider les Rwandais, spécialement les jeunes générations, qui sont l'avenir du pays, à construire ensemble une nouvelle société. » Un mois après, lors de la Journée internationale de réflexion sur les victimes du génocide rwandais, il a encouragé le gouvernement, les organisations non gouvernementales et les associations de victimes à poursuivre leurs activités de sensibilisation afin de considérer « ce que nous pouvons faire pour aider le Rwanda et son peuple à se remettre du traumatisme causé par le génocide ».

Un autre obstacle auquel fait face le Rwanda est la marginalisation des femmes suite aux massacres perpétrés il y a dix ans. On estime en effet que 250 000 à 500 000 femmes rwandaises ont été victimes de violences sexuelles et contaminées par des maladies comme le VIH/sida, et que 50 % ont perdu leur mari. Or, traditionnellement, les veuves et les femmes atteintes de maladies sexuellement transmissibles sont rejetées de leurs communautés. Selon elles, leurs besoins urgents comprennent une aide pour reconstruire leurs maisons, avoir de quoi se nourrir et assurer leurs soins de santé de base. Mme Omaar d'African Rights Watch explique que la « principale préoccupation » pour les veuves qui sont maintenant seules à élever leurs enfants « est d'avoir une maison qu'elles pourront laisser à leurs enfants quand elles mourront ». Les femmes violées et séropositives doivent se procurer des médicaments, de la nourriture et se faire tester régulièrement pour surveiller les effets secondaires possibles. Or, pour la majorité des femmes, ces traitements sont trop coûteux et ne sont généralement pas disponibles. Selon Mme Omaar, ces femmes, qui sont marginalisées dans leur communauté et dont les besoins de base ne sont pas satisfaits, sont « condamnées à une vie de solitude ».

Selon l'UNICEF, le génocide de 1994 a fait 95 000 orphelins. Alors que les organisations internationales et le gouvernement rwandais s'efforcent de leur fournir les services sociaux comme les soins de santé et l'éducation, d'immenses lacunes existent. Comme l'explique un jeune orphelin, les enfants n'ont souvent pas de quoi payer l'autobus pour se rendre au bureau gouvernemental et recevoir l'aide qui leur est accordée pour les frais scolaires et les médicaments. Sara Rakita de Human Rights Watch estime que « ces enfants [...] ont vu ce qu'il y a de pire dans l'être humain, qu'ils paient un trop lourd tribut et qu'on ne peut attendre d'un enfant de faire les démarches nécessaires pour recevoir une aide ».

Alors que le CICR a réuni 70 545 enfants rwandais avec leur famille depuis 1994, le pays compte actuellement la plus grande proportion de familles dirigées par des enfants au monde (près de 100 000). Aujourd'hui, un grand nombre d'orphelins continuent de vivre avec leurs frères et sours sur les terres de leur famille sans aucune supervision d'un adulte parce que leurs parents ont été tués pendant le génocide, sont morts du sida ou ont été emprisonnés pour crimes liés au génocide. Alors que les enfants essaient de gérer la perte de leurs parents, Alexandra Yuster, conseillère à la protection de l'enfance à l'UNICEF, considère que la mesure la plus importante pour les enfants est de les aider à se souvenir du génocide et de soigner les traumatismes dont ils ont souffert pour que « plus jamais cela ne se reproduise ».

Les initiatives au Rwanda pour les survivants du génocide

Les organisations rwandaises locales qui travaillent avec les survivants après le génocide de 1994 sont les suivantes :
  • IBUKA : En langue Kinyarwanda, cela signifie « souviens-toi ». Cette organisation à but non lucratif assiste les victimes du génocide en leur apportant des conseils, en les aidant à faire leur deuil, à préserver leur mémoire et à recueillir les témoignages. Actuellement, IBUKA crée une base de données des victimes, des survivants et des auteurs de génocide.


  • Avega-Agahozo : AVEGA signifie « Association des veuves du génocide d'avril » et Agahozo en Kinyarwanda « sèche tes larmes ». En 1995, cinquante femmes qui ont perdu leur mari pendant le génocide ont créé cette organisation à but non lucratif pour subvenir aux besoins des veuves, des parents qui ont perdu leurs enfants, des orphelins, des personnes âgées et des handicapés. Elle compte 25 000 membres en Rwanda.


  • Rwanda Women's Network : RWN est une initiative locale qui assure la promotion des soins de santé des victimes de viol et de violence, la reconstruction des maisons et la réadaptation psychologique des survivants.


  • Sevota : Groupe de soutien pour les veuves et les orphelins du massacre des tutsis en avril 1994 à Taba, Sevota a aidé les femmes survivantes à témoigner pour le TPIR et aide les victimes de viol à accéder aux soins de santé.


  • Abasa : Récemment établie dans la région sud de Butare, cette organisation tente de réunir les veuves et les victimes de violences sexuelles.


  • The Society for Women and AIDS in Africa : SWAA est une organisation panafricaine qui a créé des programmes destinés aux femmes et à leur famille pour combattre le VIH/sida.

  • Conspiracy to Murder
    The Rwandan Genocide

    Par Linda Melvern
    Publié par Verso, 2004
    358 pp., ISBN 1-85984-588-6


    Par Beatriz Pavon

    Linda Melvern, une journaliste et ancienne consultante pour l'équipe Military One chargée de dresser les chefs d'accusation au Tribunal pénal international pour le Rwanda, décrit dans son dernier livre intitulé Conspiracy to Murder; The Rwandan Genocide l'un des actes les plus horribles de l'histoire moderne. Publié en avril 2004 pour coïncider avec la commémoration du dixième anniversaire du génocide de 1994, qui a causé la mort de 800 000 Tutsis et Hutus modérés, l'auteur tente de récapituler les événements qui ont eu lieu avant et durant les cent jours qui ont suivi l'accident d'avion où le Président rwandais Juvenal Habryarimana et le Président burundais Cyprien Ntaryamira ont trouvé la mort.

    Elle évoque les préparations d'un « plan final » en vue d'éliminer l'ensemble de la race tutsie et décrit le long processus qui a débuté en 1959, avant le génocide rwandais, engendrant une escalade qui a culminé avec l'explosion de la violence en 1994 dans l'indifférence de la communauté internationale. Elle décrit en détail la participation des dirigeants politiques à la formation des milices ainsi que le stockage des machettes et d'autres armes, et montre comment les autorités gouvernementales ont orchestré, avant le génocide, une campagne de propagande raciste qui a incité la population à la haine. Elle souligne également les décisions politiques prises par le Conseil de sécurité de l'ONU de réduire le contingent déjà limité de la Mission d'assistance de l'ONU pour le Rwanda dirigée par le général canadien Romeo Dallaire et explique les raisons sous-jacentes à la politique de non-intervention des États-Unis et des autres puissances occidentales dans le pays.

    Conpiracy for Murder est non seulement un récit impressionnant basé sur de nombreuses informations et de nombreux témoignages mais aussi une critique de la communauté internationale incapable d'arrêter les massacres. Dans cet ouvrage qui s'inscrit dans la lignée du précédent, A People Betrayed: The Role of the West in Rwanda's Genocide, l'auteur approfondit sa recherche et tente de discerner les moyens qui auraient pu être mis en ouvre pour éviter la catastrophe. C'est une condamnation sans appel de la communauté internationale qui avait juré qu'un autre génocide ne se reproduirait plus jamais. Dévoilant les efforts insuffisants des nations qui s'étaient engagées après la Deuxième Guerre mondiale à prévenir le génocide, l'auteur montre comme cette inaction a contribué à la perte de vies humaines et à la destruction d'une génération entière au Rwanda.
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