Chronique ONU
Un plan pratique pour réaliser les OMD
Par Jeffrey D. Sachs [ Voir ]

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L'article
Pendant les dix années qui viennent nous avons la possibilité de réduire de moitié la pauvreté dans le monde. Ce seraient des milliards de personnes supplémentaires qui pourraient alors profiter des bienfaits de l'économie mondiale. Des dizaines de millions de vies humaines pourraient être sauvées. Des solutions pratiques existent. La structure politique est en place. Et pour la première fois, le coût d'une telle entreprise est tout à fait abordable. Quelles que soient les motivations qui peuvent pousser chacun à s'attaquer à ce problème - droits de l'homme, raisons de moralité, de sécurité, de prudence budgétaire, raisons idéologiques - les solutions sont les mêmes. Ce qu'il faut c'est agir.

Le Projet du Millénaire des Nations Unies est un organe consultatif indépendant commissionné par le Secrétaire général Kofi Annan dans le but de définir un plan mondial afin de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) d'ici à 2015. Si l'on parvient à réaliser ces Objectifs, plus de 500 millions d'hommes seront sortis de l'extrême pauvreté. La faim sera épargnée à 250 millions de personnes supplémentaires, la vie de 30 millions d'enfants et de plus de 2 millions de mères sera épargnée.

Le rapport du Projet du Millénaire intitulé Investir dans le développement : plan pratique pour réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement, a été présenté au Secrétaire général en janvier 2005. Élaboré par 265 experts mondiaux, il définit une stratégie d'une ampleur sans précédent pour lutter à l'échelle mondiale contre la pauvreté, la faim et la maladie. Il marque la première série d'initiatives en vue de réaliser les OMD en 2005, qui se terminera par un sommet de haut niveau de l'Assemblée générale en septembre, représentant une occasion historique pour aider les pays pauvres à réaliser les Objectifs. Le rapport fournit également un plan détaillé pour y parvenir.

Les recommandations du projet soulignent les engagements que chaque acteur doit tenir dans les mois à venir et suivre pendant les dix prochaines années. Les gouvernements des pays en développement devraient adopter des stratégies de développement suffisamment audacieuses pour atteindre en 2015 les objectifs fixés. Pour respecter cette date limite de 2015, nous recommandons à tous les pays de mettre en place ces stratégies en 2006 au plus tard. S'il existe déjà un Document de stratégie de réduction de la pauvreté, il doit être adapté aux OMD.

Les Stratégies de réduction de la pauvreté reposant sur les OMD devraient poser fermement le principe d'une forte augmentation des investissements publics, de la création de capacités, de la mobilisation de ressources intérieures et de l'aide publique au développement (APD). Elles devraient prévoir un ensemble de mesures de renforcement de la gouvernance, de la promotion des droits de l'homme, de la participation de la société civile et de la promotion du secteur privé. Elles devraient s'appuyer sur une analyse des investissements et des politiques nécessaires pour atteindre les OMD en 2015, préciser le détail des investissements, des mesures et des budgets pour les trois à cinq années qui viennent, faisant une large place à la productivité rurale et urbaine, à l'éducation, à l'égalité des sexes, à l'eau et à l'assainissement, à la viabilité environnementale et à la science, à la technologie et à l'innovation, et aux politiques en matière de santé des femmes et des filles, y compris la santé en matière de procréation, ainsi que leur accès aux opportunités économiques et politiques, leur droit de contrôle des actifs et la protection contre la violence.

Pour que ces stratégies soient efficaces, les pays doivent : promouvoir des mécanismes de gestion publique transparente et décentralisée; inclure des mesures pratiques d'augmentation des effectifs, notamment par la formation et la conservation de travailleurs qualifiés; faire participer les organisations de la société civile à la prise de décision et à la fourniture des services; leur donner les ressources nécessaires pour le suivi et l'évaluation; exposer les grandes lignes d'une action de promotion du secteur privé et des stratégies génératrices de revenus pour les peuples pauvres; et élaborer des stratégies adaptées aux besoins particuliers des pays sans littoral, des petits États insulaires, des pays moins avancés et des États fragiles.

Les stratégies devraient viser à comprendre les implications de la mise en ouvre des ressources, y compris mobiliser un supplément de ressources intérieures de l'ordre de quatre points de pourcentage du PNB en 2015, calculer l'aide publique au développement nécessaire et décrire une « stratégie de sortie » pour mettre un terme à la dépendance à l'égard de l'aide, adaptée à la situation du pays. Ces stratégies devraient être élaborées à la faveur de processus transparents et inclusifs, en travaillant étroitement avec les organisations de la société civile, le secteur privé intérieur et les partenaires internationaux. Les organisations de la société civile devraient contribuer activement à la formulation des politiques, à la fourniture des services et au suivi des progrès accomplis, tandis que les entreprises et les organismes du secteur privé devraient contribuer activement à la conception des politiques, à l'application d'initiatives de transparence et, au besoin, à des partenariats publics-privés. Les donateurs internationaux devraient sélectionner une bonne dizaine de pays à réalisation accélérée des OMD, pour une forte augmentation de l'APD en 2005, pour tenir compte du fait que beaucoup de pays sont déjà à même de faire passer la réalisation des OMD à une échelle accrue, en raison de la qualité de leur gestion publique et de leur capacité d'absorption.

Les pays développés et les pays en développement devraient lancer ensemble, en 2005, un groupe de mesures produisant des gains rapides pour sauver et améliorer des millions de vies et promouvoir la croissance économique. Ils devraient également lancer un effort massif pour accroître le niveau de connaissances spécialisées existant au niveau local. Ces mesures produisant des gains rapides seraient notamment les suivantes :

  • Distribution gratuite massive de moustiquaires antipaludisme et de médicaments efficaces contre le paludisme pour que tous les enfants vivant dans les régions où le paludisme est endémique dorment sous les moustiquaires, à la fin de 2007.


  • Suppression des frais de scolarité primaires et gratuité des soins de santé essentiels, ces mesures étant au besoin financées par une augmentation de l'aide, avant la fin de 2006.


  • Achèvement réussi de la campagne « 3 x 5 », qui consiste à administrer à 3 millions de patients souffrant du sida dans les pays en développement un traitement antirétroviral avant la fin de 2005.


  • Expansion des programmes de repas scolaires, au profit de tous les enfants en utilisant des produits alimentaires produits localement, avant la fin de 2006.


  • Reconstitution massive des éléments nutritifs des sols, au profit des petits agriculteurs, sur les terres où les sols sont épuisés, par la distribution gratuite ou fortement subventionnée d'engrais chimiques et par des mesures d'agroforesterie, avant la fin de 2006.


  • Le programme de formation massive de travailleurs communautaires devrait assurer, dans chaque collectivité, en 2015 au plus tard, que chaque communauté locale a des connaissances spécialisées en santé publique, éducation, agriculture, équipement et gestion de l'environnement, des connaissances spécialisées en gestion publique ainsi qu'une formation appropriée à la promotion de l'égalité des sexes et la participation des femmes.

    Les gouvernements des pays en développement devraient adapter leurs stratégies nationales aux initiatives régionales que sont par exemple le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique et la Communauté des Caraïbes (et son marché commun) et les groupes régionaux devraient recevoir une aide directe accrue des donateurs pour réaliser des projets régionaux. Ils devraient identifier, organiser et appliquer des grands projets d'équipement prioritaires transfrontaliers (réseaux routiers, chemins de fer, gestion des bassins versants) et être encouragés à produire et à appliquer des mécanismes d'examen collégial pour favoriser l'adoption de pratiques optimales et de bonnes méthodes de gestion.

    Les pays riches devraient porter leur APD de 0,25 % de leur PNB en 2003, à 0,44 % en 2006 et à 0,54 % en 2015 pour faciliter la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, la qualité de cette APD étant améliorée (et incluant une aide harmonisée, prévisible et prenant surtout la forme d'un soutien budgétaire). Chaque donateur devrait atteindre en 2015 au plus tard cet objectif consistant à consacrer 0,7 % à la réalisation des OMD et d'autres besoins. L'allégement de la dette devrait être étendu et généreux. L'APD devrait reposer sur les besoins effectifs, correspondant aux OMD, et à la volonté des pays d'utiliser l'APD efficacement. Les critères d'évaluation de la viabilité de l'endettement d'un pays doivent être compatibles avec la réalisation des OMD. L'aide devrait être orientée vers les stratégies de réduction de la pauvreté reposant sur les OMD plutôt que vers des projets choisis par les donateurs. Les donateurs devraient mesurer et publier la part de leur APD qui concourt effectivement à une augmentation massive des investissements consacrés aux OMD.

    Les pays à revenu intermédiaire devraient saisir l'occasion de devenir eux-mêmes des fournisseurs d'APD et d'appui technique aux pays à faible revenu. Les pays riches devraient ouvrir leurs marchés aux exportations des pays en développement selon les modalités du Cycle de négociations commerciales de Doha et aider les pays les moins avancés à devenir compétitifs sur les marchés d'exportation par le biais d'investissements dans des infrastructures indispensables au commerce international, telles que le réseau électrique, le réseau routier et les ports. Le Programme de Doha pour le développement devrait être mené à bien et les négociations de Doha achevées en 2006 au plus tard. Les donateurs internationaux devraient mobiliser une aide à la recherche-développement scientifique à l'échelle mondiale afin de répondre aux besoins propres des pauvres dans les domaines de la santé publique, de l'agriculture, de la gestion de l'environnement, de l'énergie et du climat. Nous estimons à 7 milliards de dollars par an le montant total des sommes nécessaires.

    Le Secrétaire général de l'ONU et le Groupe des Nations Unies pour le développement devraient renforcer la coordination, au niveau des sièges et au niveau du pays, entre les organismes, fonds et programmes des Nations Unies pour réaliser les OMD. Les équipes des Nations Unies dans le pays devraient être renforcées et devraient travailler étroitement avec les institutions financières internationales pour réaliser les OMD. Les équipes des Nations Unies dans le pays devraient être dotées d'effectifs suffisants et être financées pour aider les pays à atteindre les OMD. L'équipe des Nations Unies dans le pays et les institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international, banques régionales de développement) devraient coopérer étroitement au niveau du pays pour améliorer la qualité des conseils techniques dispensés.

    Pour assurer le succès, il faut, dès 2005, commencer à développer les capacités, à améliorer les politiques suivies et à réaliser les investissements nécessaires pour atteindre les OMD. Cet effort devra être soutenu pendant les 10 prochaines années aux niveaux mondial, national et local. Et ce n'est qu'en agissant dès maintenant que les grands problèmes environnementaux à long terme tels que le changement climatique et l'épuisement des ressources halieutiques seront maîtrisés, avant que se produisent des dégâts irréparables, affectant les pays pauvres qui sont le moins capables de se protéger.

    Des mesures urgentes sont nécessaires si l'on veut que commence une décennie ambitieuse de réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. Les pays en développement doivent tout faire pour se mobiliser à cette fin. Les pays riches doivent se demander si, plutôt que de rappeler aux pays pauvres leurs responsabilités, ils ne feraient pas mieux d'honorer leurs propres engagements. En 2005, tous les pays doivent sérieusement s'interroger sur leur façon de tenir leur promesse, et prendre des mesures pratiques pour accélérer leur action avant que la réalisation des OMD ne devienne impossible. Faute d'agir maintenant, la route sera bien longue et difficile jusqu'au prochain Sommet du Millénaire en 3000.

    Biographie
    Jeffrey D. Sachs, directeur du Earth Institute, professeur en politique et gestion de la santé à Columbia University, est directeur du Projet du Millénaire de l'ONU et conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, sur les OMD. Il est reconnu internationalement pour son travail de conseiller en matière de réforme économique auprès des gouvernements et pour sa collaboration pour promouvoir la réduction de la pauvreté, le contrôle des maladies et la réduction de la dette des pays pauvres. Nommé parmi les cent dirigeants les plus influents du monde par le magazine Time, il est l'auteur de centaines d'articles spécialisés et de nombreux livres.
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