Rédactrice en chef Internationale de l'année 2004
Vous trouverez ci-après des extraits du discours de Shukria Barakzai prononcé à l'occasion de la remise du prix du Rédacteur en chef international de l'année décerné par Worldpress.org aux rédacteurs vivant en dehors des États-Unis en reconnaissance de leur entreprise, leur courage et leur leadership pour promouvoir la liberté et la responsabilité de la presse, faire progresser les droits de l'homme et encourager les journalistes à écrire des articles de qualité. |
Même au XXIe siècle, malgré ce qu'on dit, les femmes luttent dans des conditions très difficiles pour améliorer leur statut et défendre leurs droits dans un pays qui a des traditions, des croyances et des valeurs uniques.
L'Afghanistan était un pays qui a été oublié du monde entier. Après la chute du régime communiste, personne ne semblait s'y intéresser. Mais la tragédie du 11 septembre, la chute des talibans, l'existence d'Al-Quaïda et le soutien de la communauté internationale l'ont remis sur la scène internationale.
Il y a 25 ans, l'Afghanistan était un pays pacifique. Mais les conditions et les événements inhumains qui ont eu lieu depuis - les seigneurs de la guerre, les agressions, la corruption administrative, l'enlèvement d'enfants, le trafic de stupéfiants et les conditions économiques et sanitaires déplorables - loin de s'être améliorés, se sont aggravés. Le peuple afghan, en particulier les femmes et les enfants, sont victimes d'un groupe de criminels portant différents noms.
L'Afghanistan pourrait être un exemple d'une nouvelle démocratie. Ce pays, où il y a quatre ans la liberté
d'expression était inexistante, compte aujourd'hui
300 publications gratuites et indépendantes, 48 stations de radio et 16 chaînes de télévision. C'est un immense progrès. La constitution moderne garantit des droits égaux aux hommes et aux femmes et comprend des articles spécifiques sur les pouvoirs judiciaire et législatif, en particulier sur le rétablissement des droits, le statut social des femmes et leur participation politique.
Les millions d'hommes et de femmes qui ont participé à la première élection démocratique en exerçant leur droit de vote, la scolarisation de plus de 4 millions d'enfants et l'intérêt de la population pour les élections parlementaires libres dans un pays où sévissent toujours des hommes armés, sont des moments de fierté pour notre peuple et des modèles pour d'autres pays en développement.
Certes, sans le soutien de la communauté internationale, ces réalisations auraient été difficiles, sinon impossibles, et je tiens à remercier chacun et chacune d'entre vous. Mais j'espère aussi que ceux qui sont intéressés par le processus de paix et de démocratie en Afghanistan, qui comprennent les valeurs de la société afghane et qui souhaitent soutenir le peuple afghan, tireront les leçons des politiques menées durant les trois dernières années - politiques qui n'assurent pas la sécurité de l'Afghanistan mais qui y font obstacle.
Les groupes armés et les hors-la-loi ne soutiennent pas les populations et ont freiné le processus démocratique.
En outre, mon statut de femme journaliste afghane n'indique pas que la liberté d'expression, l'établissement des droits de la femme ou l'immunité individuelle des femmes afghanes contre la violence existent nécessairement. Ne pensez pas que la reconstruction de Kaboul reflète celle de l'Afghanistan.
Quand on parle de l'Afghanistan, on devrait parler des conditions dans l'ensemble du pays. Dans un grand nombre de provinces et de villages, dont les conditions sont désastreuses, il n'y a pas de différence entre la période qui a précédé le régime des talibans, celle où ils ont régné et la période actuelle. Le mariage des enfants, le mariage forcé et la violence contre les femmes continuent d'êtres des pratiques courantes et acceptées.
Il faut savoir qu'en Afghanistan une femme sur neuf meurt pendant l'accouchement. Le taux de mortalité maternelle y est le plus élevé au monde et celui de la mortalité infantile est l'un des plus élevés.
Je veux aussi vous dire qu'exercer le métier de journaliste présente toujours des risques. Les journalistes sont souvent emprisonnés et leur vie menacée. Je vous félicite de montrer tous le jours que la plume est plus efficace que le fusil. Je remercie l'organisation Worldpress de promouvoir la liberté d'expression, les valeurs démocratiques et les droits de l'homme.
Je vous demande, membres des médias, de venir en Afghanistan pour vous faire vous-même une idée de la situation au lieu de vous fier à ce que voyez à la télévision. Et, ensuite, de faire connaître cette réalité en écrivant des articles ou en organisant des débats afin d'aider le peuple afghan à assurer la démocratie dans son pays. |
Shukria Barakzai est rédactrice en chef et fondatrice de Aina-E-Zan (Le miroir des femmes), un hebdomadaire basé à Kaboul, en Afghanistan, qui a été lancé en 2002 « pour améliorer la compréhension et le savoir des femmes afghanes dans la société ». Worldpress.org, un magazine fondé en 1997, a pour mission de promouvoir l'échange de points de vue et d'informations dans le monde. |
Retour Haut
|