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Extraits du discours de Kofi Annan au Forum économique mondial
réuni en séance plénière le 26 janvier
2006, à Davos, en Suisse : Une nouvelle mentalité pour
les Nations Unies
En 1999, lorsque je suis venu ici demander que soit conclu un "
pacte mondial " entre l'ONU et le secteur privé, nombre
de mes collègues au Secrétariat - et bien des représentants
d'États Membres - ont été à peine moins
choqués que si j'avais proposé un pacte avec le Diable.
C'est cette mentalité que j'ai essayé de changer pendant
toute la durée de mon mandat - en luttant contre l'idée
que les relations internationales ne sont rien d'autre que des relations
entre États et que l'ONU n'est guère plus qu'un syndicat
pour gouvernements.
Mon objectif a été de persuader aussi bien les États
Membres que mes collègues au Secrétariat que l'ONU
doit traiter non seulement avec des gouvernements mais avec des
personnes. C'est à cette seule condition, de mon point de
vue, qu'elle peut accomplir sa vocation et être utile à
l'humanité au XXIe siècle.C'est pourquoi, en l'an
2000, j'ai choisi les premiers mots de la Charte des Nations Unies
" Nous, peuples des Nations Unies " comme titre du rapport
dans lequel je présentais l'ordre du jour du Sommet du Millénaire.
Ce Sommet a réuni les dirigeants politiques du monde entier
pour évaluer les défis du siècle nouveau et
adopter une réponse collective, connue sous le nom de "
Déclaration du Millénaire ".
Et c'est pourquoi, dans mon rapport 2005 intitulé Dans une
liberté plus grande, j'ai demandé instamment aux gouvernements
de reconnaître que sécurité et développement
sont interdépendants et ne peuvent se soutenir ni l'un ni
l'autre sur le long terme si les droits de l'homme et l'état
de droit ne sont pas respectés. Dans mon esprit, ce rapport
devait constituer un schéma directeur, non seulement pour
une vaste réforme de l'Organisation elle-même mais
aussi pour une série de décisions qui permettraient
à l'humanité d'atteindre les objectifs de la Déclaration
du Millénaire, compte tenu en particulier des nouveaux défis
apparus depuis son adoption. Mais en attendant, l'ONU n'est pas
restée inactive. Loin de là ! Ces dix dernières
années ont été le théâtre de changements
rapides.
Quand je suis entré en fonctions, les opérations
de maintien de la paix de l'ONU étaient largement considérées
comme des expériences ratées en raison des événements
tragiques qui s'étaient déroulés en Bosnie,
en Somalie et au Rwanda; on estimait que, de ce fait, le maintien
de la paix devrait être confié aux organisations régionales.
Les soldats de la paix, surtout dans les pays où les conflits
font toujours rage - où il n'y a littéralement pas
de paix à maintenir - continuent de faire face à d'innombrables
problèmes. Et pourtant, aujourd'hui, 85 000 personnes sont
affectées à 16 opérations de maintien de la
paix de l'ONU sur quatre continents. Dans la plupart des cas, il
ne s'agit pas pour elles d'observer passivement une trêve
mais de participer activement à la mise en uvre d'accords
de paix, en aidant les peuples de pays déchirés par
les conflits à opérer la transition de la guerre à
la paix.
Bien sûr, dans de nombreuses régions du monde, les
organisations régionales jouent un rôle important.
Mais la plupart du temps, elles le font dans le cadre d'un partenariat
avec l'ONU. L'ONU est devenue en effet le véhicule indispensable
de l'aide offerte par la communauté internationale aux pays
qui sortent d'un conflit - et les États Membres l'ont reconnu
en décidant de créer, au sein de l'Organisation, une
Commission de consolidation de la paix chargée de gérer
ce processus extrêmement complexe. La dernière décennie
a également vu s'intensifier le recours aux sanctions économiques
de l'ONU. Ces sanctions sont maintenant utilisées pour influencer
ou restreindre l'activité non seulement d'États récalcitrants
mais également d'acteurs non étatiques, tels des mouvements
rebelles ou des groupes terroristes. Parallèlement, le Conseil
de sécurité les a rendues plus subtiles et plus humaines,
en visant des particuliers plutôt que des sociétés
entières.
Le même principe, qui consiste à punir des particuliers
plutôt que des collectivités, a guidé les activités
des tribunaux pénaux des Nations Unies pour le Rwanda et
l'ex-Yougoslavie - dont l'un a été le premier tribunal
international à prononcer des condamnations pour génocide
et pour viol en tant que crime de guerre, et l'autre à mettre
en accusation et à juger un ancien chef d'État. Cette
évolution a conduit à son tour à d'autres innovations,
notamment au tribunal " mixte " en Sierra Leone et, bien
sûr, à la Cour pénale internationale. Bien que
celle-ci ne soit pas un organe de l'ONU, l'Organisation a convoqué
la conférence qui en a adopté le statut en 1998 et
en a assuré le service.
Un autre aspect de l'évolution de l'ONU est l'importance
de plus en plus grande qu'elle attache aux droits de l'homme - comme
en témoigne la décision prise récemment par
les États Membres de renforcer le Haut Commissariat aux droits
de l'homme. Et j'espère que, d'ici une semaine ou deux, un
accord se fera sur un changement correspondant au niveau intergouvernemental,
avec la création d'un conseil des droits de l'homme jouissant
d'une plus grande autorité que la Commission qu'il remplacerait,
maintenant largement discréditée.
Autre exemple d'évolution : l'ONU a su faire face à
la prolifération du terrorisme international. Même
avant les événements du 11 septembre, le Conseil de
sécurité avait imposé des sanctions à
Al-Qaida et mis sur pied un comité spécial chargé
de suivre ses activités. Immédiatement après
l'attentat, il est allé beaucoup plus loin en adoptant l'historique
résolution 1373, laquelle a imposé des obligations
rigoureuses à tous les pays, dressé une liste des
organisations terroristes et des individus impliqués dans
l'exécution d'actes terroristes et créé le
Comité contre le terrorisme pour s'assurer que les États
Membres s'acquittaient de leurs obligations et les aider à
améliorer leur capacité d'adopter et appliquer une
législation antiterroriste. En bref, je pense que l'ONU a
montré qu'elle était un instrument de plus en plus
souple, dont les États Membres attendent des prestations
de plus en plus diverses. Au cours des cinq dernières années,
ils se sont ainsi tournés vers elle pour lui demander :
- d'aider l'Afghanistan à passer du désert anarchique
des Taliban et des seigneurs de guerre à la démocratie
naissante - encore balbutiante mais porteuse d'espoir - qu'il
est aujourd'hui;
- de contribuer à la mise en place du Gouvernement intérimaire
iraquien et à l'organisation d'un référendum
et d'élections dans le pays - et nous avons appuyé
l'élaboration de la Constitution - et nous avons appuyé
l'organisation d'élections démocratiques dans quelque
120 pays depuis 12 ans;
- de vérifier le retrait des troupes syriennes du Liban
et de mener, pour la première fois, une enquête criminelle
exhaustive sur l'assassinat d'un ancien Premier Ministre;
- de coordonner les opérations de secours au niveau mondial
après le tsunami, et à nouveau après le tremblement
de terre qui s'est produit au Cachemire;
- d'orchestrer la campagne d'information et la collecte de fonds
entreprises au niveau mondial pour protéger les peuples
du monde contre la grippe aviaire.
Toutes ces tâches ont pour dénominateur commun le
fait qu'elles ne mettent pas simplement l'ONU en contact avec ses
États Membres, mais qu'elles la font intervenir dans la vie
de leurs peuples. Pour nous en acquitter, nous devons interagir
non seulement avec des gouvernements mais également avec
tous les acteurs nouveaux présents sur la scène internationale.
C'est pourquoi j'ai maintes fois demandé instamment à
tous les organes de l'ONU de s'ouvrir davantage à la société
civile, de sorte que leurs décisions puissent refléter
pleinement la contribution de groupes et de particuliers qui se
consacrent à l'étude de problèmes spécifiques
ou qui travaillent dans des domaines particuliers.
C'est pourquoi également je me suis attaché à
multiplier les contacts personnels avec des chercheurs, des parlementaires,
des praticiens de toutes sortes et avec les jeunes - pour bénéficier
de leur opinion et aussi pour les encourager, quel que soit leur
secteur d'activité, à utiliser leurs talents pour
le bien commun et ne pas perdre de vue l'horizon mondial. C'est
une des raisons pour laquelle je me suis employé sans relâche
à rendre notre Organisation plus transparente et plus facile
à comprendre pour le public, et donc davantage comptable
de ses actes. Et c'est aussi pourquoi, bien sûr, j'ai lancé
le Pacte mondial que les milieux d'affaires internationaux - notamment
certains d'entre vous ici présents - ont accueilli avec un
tel enthousiasme qu'il représente maintenant l'initiative
d'entreprise la plus importante au niveau mondial, puisqu'il intéresse
plus de 2 400 sociétés dans près de 90 pays.
Cette nouvelle mentalité doit également s'appliquer
au domaine de la paix et de la sécurité internationales
- de façon que la sécurité soit conçue
non seulement dans le cadre conventionnel de la prévention
des conflits entre États mais aussi comme recouvrant la protection
des peuples du monde contre des menaces qui, à leurs yeux,
semblent souvent plus immédiates et plus réelles.
L'une de ces menaces est celle du génocide et d'autres crimes
contre l'humanité. J'ai appelé l'attention de l'Assemblée
générale sur la question en 1999, l'avertissant que
ces atrocités à grande échelle ne peuvent jamais
être considérées comme des affaires purement
nationales, qu'il ne faut jamais permettre que les gouvernements
ne s'abritent derrière la souveraineté pour brutaliser
leur population. Proprement dénommées crimes contre
l'humanité, elles appellent une réponse collective
de l'humanité, qu'il appartient à l'ONU d'organiser
et de légitimer.
Plus récemment, le Groupe de haut niveau que j'ai constitué
en 2003 a recensé nombre de menaces diverses, parmi lesquelles:
la pauvreté, les maladies infectieuses et la dégradation
de l'environnement; les guerres civiles et les conflits entre États;
la prolifération des armes nucléaires, radiologiques,
chimiques et biologiques; le terrorisme; la criminalité transnationale.
Dans mon rapport Pour une liberté plus grande, j'ai développé
cette nouvelle définition de la sécurité mondiale,
en la rattachant aux recommandations détaillées du
Projet du Millénaire qui visent à atteindre les Objectifs
de développement pour le Millénaire d'ici à
2015 - ce qui, en soi, permettrait à des millions et des
millions de personnes d'échapper aux menaces de la pauvreté
et de la maladie.
Mais mon rapport avait également une troisième dimension:
les droits de l'homme et l'état de droit. Une société
qui ne respecterait pas les droits de l'homme ou l'état de
droit, quelle qu'elle soit et si bien armée soit-elle, restera
vulnérable, et son développement, pour dynamique qu'il
soit, demeurera précaire. Certains États Membres ont
pris mon rapport comme point de départ de la négociation
du document final du sommet mondial de septembre dernier. Je ne
dirais pas que ce document a comblé tous mes vux. Mais
il contient nombre de décisions importantes - de la création
d'une commission de consolidation de la paix et d'un conseil des
droits de l'homme à la reconnaissance par tous les États,
à titre individuel et collectif, qu'ils ont la responsabilité
de protéger les populations du génocide, des crimes
de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité.
L'ONU ne peut rester figée car les menaces contre l'humanité
ne sont pas figées. Chaque jour, le monde fait face à
de nouveaux défis, que les fondateurs de l'Organisation ne
pouvaient jamais envisager il y a 60 ans. Qu'il s'agisse d'une crise
imminente au sujet de l'Iran et de son respect du Traité
de non-prolifération des armes nucléaires, des atrocités
qui se poursuivent au Darfour ou de la menace d'une épidémie
de grippe aviaire, les populations du monde entier attendent de
l'ONU qu'elle joue un rôle en matière de maintien de
la paix, de protection des civils, d'amélioration des conditions
de vie, de promotion des droits de l'homme et d'application du droit
international.
J'ai uvré de longue date et sans relâche à
la transformation de l'ONU afin que, lorsque nous sommes sollicités,
comme c'est le cas chaque jour, nous rendions les services voulus
- avec efficacité, efficience et équité. C'est
le véritable objectif des changements que je me suis attaché
à apporter, et c'est à cette aune que sera jugé
mon succès ou mon échec. Et mon successeur n'a aucun
souci à se faire. Changer la mentalité de l'ONU, de
façon qu'elle puisse à la fois refléter et
influencer l'esprit de son temps, est une tâche sans fin.
Il restera beaucoup à faire dans les années et les
décennies à venir.
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