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Les
panélistes du séminaire (de gauche à droite)
: Juan Méndez, Dina Temple-Raston, Shashi Tharoor qui
a animé le débat, Benjamin B. Ferencz, Simone
Monasebian et Louise Mushikwabo. © Photo Chronique ONU/S.K.
Belal Hassan |
La lutte contre le génocide a été le thème
du quatrième séminaire intitulé " Désapprendre
l'intolérance " qui s'est tenu au siège de l'ONU
à New York le 21 novembre 2005. Organisé conjointement
par le Département de l'information des Nations Unies (DPI)
et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC),
le séminaire " Perspectives essentielles pour la lutte
contre le génocide : ce que nous pouvons faire pour le prévenir.
Ce que nous pouvons faire pendant. Ce que nous devons faire après
", a réuni un groupe d'orateurs éminents qui
ont travaillé dans différents domaines suite à
un génocide et continuent leur travail pour éviter
que de tels actes se produisent à nouveau.
Le Secrétaire général adjoint pour la communication
et l'information, Shashi Tharoor, qui animait le débat, a
présenté les orateurs comme " des figures importantes
cherchant à faire triompher la justice et à comprendre
le génocide ". Parmi les invités figuraient Juan
Mendéz, conseiller spécial du Secrétaire général
sur la prévention du génocide; Dina Temple-Raston,
journaliste et auteur de Justice on the Grass: Three Journalists,
Their Trial for War Crimes and a Nation's Quest for Redemption;
Simone Monasebian, chef du bureau de l'UNODC à New York et
avocate au Tribunal pénal international pour le Rwanda de
2000 à 2004; Louise Mushikwabo, militante des droits de l'homme
et commentatrice dans les médias sur le Rwanda; et Benjamin
B. Ferencz, l'un des procureurs généraux aux procès
de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale.
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Photo du juge
Robert H. Jackson dédicacée (premier rang, troisième
en partant de la droite) avec les membres de son équipe
aux procès de Nuremberg. Photo/Charles Alexander. Bureau
du Chef de conseil des États-Unis. Avec l'autorisation
de la Harry S. Truman Library. |
Le séminaire a coïncidé avec le soixantième
anniversaire des procès de Nuremberg, une occasion qui a
été présente dans les pensées des panélistes.
Soixante ans exactement depuis que le procureur général
Robert H. Jackson présentait sa déclaration d'ouverture
aux procès, M. Méndez a reconnu qu'ils " ont
été d'une importance cruciale pour introduire le génocide
en tant que concept juridique ", tandis que dans ses remarques
d'ouverture, Mme Monasebian a cité le juge Jackson, déclarant
que " la civilisation ne peut survivre si ces crimes se répètent
". M. Méndez a cependant noté que malgré
la Convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide, qui a été mise en vigueur
en 1951, " de nombreux cas de violations massives des droits
de l'homme et du droit humanitaire ont eu lieu " sans qu'aucune
action n'ait été entreprise. Cela se produit malheureusement
trop souvent, comme au Darfour. Le débat pour savoir s'il
s'agit d'un génocide ou non prend le pas sur l'action à
mener pour inverser la situation et prévenir les violations
", a-t-il ajouté.
Il a également appelé la communauté internationale
à " revenir au consensus juridique et moral mis en place
aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et à prendre
au sérieux la prévention du génocide afin de
ne pas avoir à apprendre une fois de plus les mêmes
leçons d'histoire ". Il a souligné le principe
de " responsabilité de protéger ", adopté
dans le document final du Sommet mondial 2005, comme un développement
important dans la lutte contre le génocide. " Le devoir
de protéger les populations du génocide, des crimes
de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité
établit un principe moral qui est apparu bien tardivement
après l'échec de la communauté internationale
au Rwanda et à Srebenica. Ce devoir comporte aussi la prévention
des crimes. "
Simone Mansebian a souligné le travail important réalisé
par le système de l'ONU pour réagir au génocide,
qu'il s'agisse du bureau chargé de la prévention du
génocide, du Fonds des Nations Unies pour l'enfance, qui
aide les enfants à surmonter les atrocités qu'ils
ont vécues, ou du DPI qui examine les causes profondes de
la violence par des initiatives telles que la série de colloques
" Désapprendre l'intolérance ". Elle a mis
l'accent sur le rôle important de la société
civile et des personnes, affirmant que " c'est à nous
tous qu'il incombe de combattre ce monstre appelé le génocide
".
Au sujet du rôle que les médias peuvent jouer dans
l'incitation et la réponse au génocide, Dina Temple-Raston
a évoqué son expérience de journaliste au Rwanda
et, plus récemment, au Darfour. Le génocide rwandais
au cours duquel les Hutus ont tué environ 800 000 de la minorité
tutsie en 100 jours seulement, " a été si rapide
et si efficace que nous [les médias] n'étions pas
préparés et avons dit alors que nous ne laisserons
jamais une telle chose se reproduire ", a-t-elle dit. Après
avoir couvert la déclaration du Président Bill Clinton
à l'aéroport de Kigali en 1997, où il a présenté
ses excuses pour " ne pas être intervenu pour mettre
fin aux massacres ", elle a décidé d'écrire
un livre sur le Rwanda, en particulier sur le rôle des médias
locaux dans le génocide. " Il est indéniable
que durant le génocide, les médias rwandais ont joué
un rôle particulièrement sensible en exacerbant les
ressentiments entre Hutus et Tutsis et en attisant la haine. "
Sur le rôle des médias internationaux dans une telle
crise, elle a indiqué que " en tant que journaliste,
je me suis demandé pourquoi nous ne pouvions pas être
aussi efficaces quand nous voulons faire le bien. Je parle particulièrement
de la situation au Darfour. "
Louise Mushikwabo a évoqué son expérience
personnelle, tentant de " recoller les morceaux " aux
lendemains du génocide. Elle vit aux États-Unis depuis
1994 mais a perdu de nombreux membres de sa famille dans le génocide
rwandais. Depuis les 11 dernières années, elle essaie
de faire face aux actes insensés qui ont été
commis. " Je pense que les États devraient aider à
recoller les morceaux et à désapprendre l'intolérance,
parce qu'ils enseignent l'intolérance. " À son
avis, un État devrait adopter trois étapes pour traiter
du génocide : d'abord, les auteurs doivent comprendre l'importance
et la gravité des crimes qu'ils ont commis; ensuite, ils
doivent accepter d'être punis pour leurs crimes; et alors
seulement la troisième étape des procès et
des poursuites peut avoir lieu et les victimes peuvent essayer de
retrouver à nouveau une vie normale ".
" J'ai participé à toutes les discussions, à
tous les débats pour essayer de mieux comprendre ",
a expliqué Mme Mushikwabo. " Une fois que vous avez
atteint un certain niveau de compréhension, je pense que
vous pouvez passer aux poursuites et à la réparation.
" Malgré les atrocités commises contre sa famille,
elle a réussi à se reconstruire. " Onze ans après
le génocide, je suis optimiste, simplement parce que je n'aurais
jamais cru que les Rwandais auraient réussi à vivre
ensemble. Je n'aurais jamais pensé, lorsque je suis retournée
au Rwanda en décembre 1995, que ce pays pourrait même
se remettre sur pied. La résistance du peuple rwandais est
telle que tout est possible. "
À l'appui de son expérience acquise lors des procès
de Nuremberg et son expérience de soldat durant la Seconde
Guerre mondiale, Benjamin Ferencz s'est interrogé sur ce
qui pouvait être fait pour prévenir le génocide.
" Il me semble qu'en matière de prévention, la
première chose à faire est de comprendre la mentalité
de ceux qui commettent les actes de génocide, ce qui n'est
pas toujours évident. " Il a décrit la mentalité
du général Otto Ohlendorf, principal accusé
dans l'affaire Einsatzgruppen (groupes d'extermination SS), qui
a tenté de justifier le massacre de 90 000 juifs sous son
commandement direct en invoquant l'autodéfense. " À
l'époque, je n'avais pas été très impressionné,
les juges non plus d'ailleurs, par l'argument selon lequel les frappes
préventives invoquées comme moyen de défense
constituaient une justification ", a dit M. Ferencz. "
La première chose à faire pour prévenir le
génocide est donc de comprendre. Certains ne croient pas
en l'état de droit mais en la loi de la force. Si vous avez
le pouvoir, utilisez-le, comprenez-le, ne le minimisez pas en disant
" ils doivent être tous fous ". Non, ils ne sont
pas fous. Vous devez comprendre pourquoi ils agissent ainsi et essayer
d'y faire face en en prenant compte. "
Il a, d'autre part, souligné l'importance de construire
des institutions fortes, crédibles et efficaces pour assurer
l'état de droit, telles que la Convention sur le génocide
et la Cour pénale internationale, et de les doter du pouvoir
pour rendre difficile ou impossible les actes de génocide.
À un niveau individuel, il a maintenu catégoriquement
que chacun peut et doit jouer un rôle dans la lutte contre
le génocide. " Vous pouvez reconnaître la vérité,
aider à construire des institutions, soutenir les Nations
Unies dans les efforts importants qu'elles mènent ",
et à ceux qui critiquent ces efforts " faites-leur savoir
que vous réfutez leurs objections. Il faut convaincre ceux
qui ne croient pas en l'état de droit que la loi est plus
efficace que la guerre. "
La série de colloques du DPI intitulée " Désapprendre
l'intolérance " encourage les discussions entre les
divers représentants de la société civile et
le système des Nations Unies sur la manière de traiter
l'intolérance par l'éducation, l'inclusion et par
l'exemple.
Le Conseiller spécial
sur la prévention du génocide
Le poste de Conseiller spécial sur
la prévention du génocide auprès du Secrétaire
général a été créé
dans le cadre d'un plan d'action présenté par
le Secrétaire général Kofi Annan à
la Commission des droits de l'homme le 7 avril 2004, à
l'occasion du dixième anniversaire du génocide
rwandais. Son mandat a été défini par
la résolution du Conseil de sécurité
1366 qui a approuvé " un effort pour reconnaître
les leçons de l'échec [de la communauté
internationale] à prévenir des tragédies
comme le génocide du Rwanda et les massacres de Srebenica
", indique Juan Méndez, qui a été
nommé au poste en juillet 2004 après avoir été
Président du Centre international de justice transitionnelle.
Les fonctions du Conseiller spécial
comprennent : recueillir les informations existantes, en particulier
au sein du système des Nations Unies, sur les violations
graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international
d'origine ethnique ou raciale qui peuvent conduire au génocide
si aucune mesure n'est prise pour les prévenir ou pour
y mettre fin; servir de mécanisme d'alerte précoce
pour le Secrétaire général et, par son
intermédiaire, pour le Conseil de sécurité,
en attirant l'attention sur des situations où un génocide
pourrait se produire; faire des recommandations au Conseil
sur les mesures à prendre pour éviter le génocide
ou à y mettre fin; et assurer une liaison avec le système
de l'ONU sur les activités de prévention et
renforcer la capacité de l'ONU à analyser et
à traiter les informations sur le génocide et
les autres crimes.
M. Méndez perçoit son rôle
dans le contexte plus vaste des efforts menés en vue
de créer une culture de la prévention au sein
de l'Organisation. " Mon bureau ne peut être considéré
comme un mécanisme universel d'action et d'alerte précoce
visant à la prévention du génocide dans
le monde mais plutôt comme un effort pour améliorer
la capacité des Nations Unies à réagir
aux situations de violations potentielles des droits de l'homme
et du droit humanitaire. Le soutien des États Membres,
des ONG, des universités et autres est crucial dans
cet effort. "
Décrivant sa première année
au poste de Conseiller spécial, il a dit que "
à long terme et à court terme, la prévention
du génocide semble impliquer une action complète
dans quatre domaines liés entre eux " : la protection
des populations à risque contre les violations graves
ou massives des droits de l'homme ou du droit humanitaire;
l'établissement de la responsabilité des violations
des droits de l'homme et du droit humanitaire qui ont déjà
eu lieu; la fourniture des secours humanitaires pour assurer
l'accès aux droits économiques, sociaux et culturels
fondamentaux; et l'examen des causes profondes des conflits
par la mise en place d'accords de paix et de processus de
transition.
Parmi les questions urgentes dont est chargé
le Bureau du Conseiller spécial figure le rôle
des médias de la haine dans l'incitation à la
violence, comme en Côte d'Ivoire et au Darfour. À
propos de son voyage au Soudan en septembre 2005, M. Méndez
a déclaré que " la situation était
actuellement très dangereuse " malgré l'intervention
des troupes de l'Union africaine et l'immense effort humanitaire
qui ont permis de sauver des vies. " Les trois États
du Darfour ont été de nouveau le théâtre
de violence. Le Dafour Ouest est en proie à l'anarchie,
y compris dans la capitale où des groupes armés,
janjaweeds ou autres, défient très ouvertement
la loi et l'ordre. Les opérations d'aide humanitaire
sont difficiles et dangereuses, ce qui entraîne non
seulement de nouveaux déplacements de population mais
compromet aussi l'accès des personnes déplacées
à l'aide humanitaire ", a-t-il ajouté.
M. Méndez est convaincu que la communauté
internationale doit renforcer de toute urgence l'approche
à trois volets : le soutien du déploiement des
troupes de l'Union africaine, les efforts de l'aide humanitaire
et les pourparlers de paix au Nigeria. " Tant que nous
n'agirons pas sur tous les fronts à la fois et de manière
forte, j'ai peur que la situation ne demeure dangereuse. Ce
ne sera peut-être pas aussi grave que pendant la campagne
de 2003 et du début 2004 mais cette situation est intolérable
même si de nouvelles attaques et de nouveaux massacres
ne sont pas commis. "
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