Dans son discours au Forum économique mondial qui s'est
tenu à Davos, en Suisse, en 1999, le Secrétaire général
Kofi Annan a mis au défi le monde des affaires de se joindre
à l'initiative internationale qui rassemblerait les entreprises
et les institutions de l'ONU, les syndicats et la société
civile pour soutenir des principes environnementaux et sociaux universels.
C'est dans ce contexte que la phase opérationnelle du Pacte
mondial des Nations Unies a été lancée le 26
juillet 2000.
Comment résumeriez-vous la collaboration entre les entreprises,
les départements de l'ONU et le Pacte mondial ?
Ce petit Bureau du Pacte mondial que je dirige est un catalyseur
du changement. Nous travaillons principalement avec 2 500 participants
dans le monde, mais nous collaborons aussi occasionnellement avec
les organisations de l'ONU, pour transmettre le savoir que nous
avons acquis. Nous sommes souvent sollicités pour aider d'autres
organismes de l'ONU. Par exemple, avec le Bureau de coordination
des affaires humanitaires de l'ONU, nous soutenons les efforts visant
à utiliser Internet pour canaliser les contributions en nature
afin de contribuer au relèvement après le tsunami.
Nous avons aussi organisé une série d'événements
sur la création de normes pour s'assurer que les leçons
sont partagées dans les départements de l'ONU et entre
eux. Cela fait partie de ce que nous appelons nos " liens en
amont " au sein de l'Organisation. Pour le Bureau des achats
de l'ONU, le Pacte mondial est une proposition importante pour ceux
qui veulent faire des affaires avec les Nations Unies. Il est donc
dans notre intérêt que les Nations Unies soient une
organisation qui " fait ce qu'elle dit ". Mais il est
clair que le changement est un processus à long terme.
Quels sont les principaux problèmes d'une telle coopération
?
Un des problèmes vient des perspectives des ONG. Avec le
mouvement antimondialiste, né il a quelques années
seulement, le débat est devenu, d'une certaine façon,
idéologique. Avant, la relation entre le monde des affaires
et les ONG était plus conflictuelle. Ils étaient des
ennemis acharnés dans l'arène publique et certaines
de ces tendances peuvent encore être observées dans
certains pays. Or, on peut chercher à trouver un équilibre
à ces tensions conflictuelles en adoptant une approche fondée
sur la coopération. Quelques amis travaillant dans de grandes
ONG chargées de mettre au point des stratégies, telles
que le Fonds mondial pour la protection de la faune, l'Union mondiale
pour la nature et Oxfam, essaient de trouver cet équilibre.
D'un côté, les ONG veulent se réserver le droit
d'être critiques, ce qui est l'une de leurs fonctions en tant
qu'agents du changement mais, de l'autre, elles réalisent
que cela ne suffit pas. Il est important de soulever des questions,
de créer des tensions et d'être provocateur. Mais si
cela ne débouche pas sur des solutions constructives, il
n'y aura pas de changement, et cela fait partie de la stratégie
des ONG aujourd'hui. La plupart des ONG comprennent qu'elles ne
peuvent se contenter de critiquer. Elles doivent aussi mettre le
pied à l'étrier - et, aujourd'hui, il existe d'importants
projets de partenariat avec les entreprises.
Quel est l'objectif principal des conférences comme le
Forum international du monde des affaires 2005 ?
Je pense que la principale fonction de ces conférences, et
l'un des principes de l'ONU, consiste à sensibiliser, identifier
les meilleures pratiques et les soutenir dans l'espoir qu'elles
seront imitées et diffusées. Si j'avais un vu
à faire pour les Nations Unies, ce serait de créer
une structure plus solide afin de partager les meilleures pratiques
car il existe tant d'exemples où des solutions ont été
trouvées au niveau local mais ne sont pas connues ailleurs.
Par exemple, des choses très intéressantes ont lieu
au Brésil : la Bourse du Brésil à São
Paulo (Bovespa) travaille avec des ONG à la création
de nouveaux concepts pour développer le capital social. Mais
cette initiative n'est pas connue en Afrique du Sud, en Inde ou
en Chine. D'importants progrès ont été réalisés
en Afrique du Sud dans la création de partenariats efficaces
et fiables entre les banques d'investissement et les ONG qui ont
permis l'accès aux petites et moyennes entreprises, mais
cette initiative est cantonnée à ce pays. Ces conférences
permettent d'assurer une diffusion rapide des innovations partout
dans le monde. Si vous présentez bien votre sujet et que
votre auditoire a la capacité de réaliser des projets
similaires, il y a alors un effet d'imitation et nombre de ces initiatives
peuvent être reproduites.
De quelle manière les partenariats sont-ils un catalyseur
des réformes et de l'innovation dans le système de
l'ONU ?
Il faut aborder cette question de manière franche. Ayant
présidé nombre de réunions internes avec des
représentants d'une trentaine de bureaux de l'ONU, je dirai
qu'on assiste aujourd'hui à une révolution qui part
de la base. Dans les organisations de l'ONU, humanitaires, de développement
ou même normatives, on constate de plus en plus de cas où
des fonctionnaires civils occupant des postes de niveau moyen ont
lancé avec succès de nouveaux concepts de partenariats
- et cette tendance s'observe depuis plusieurs années.
Je pense que le Secrétaire général Kofi Annan
a donné un élan important au Pacte mondial, en dotant
les bureaux de l'ONU de moyens et en encourageant les initiatives
individuelles. Mais nombre de ces expériences ont atteint
une limite critique. Beaucoup réalisent maintenant que pour
que les projets aient un plus grand impact formel, ils doivent faire
appel à leurs propres organisations. Et de nombreux organismes
de l'ONU n'ont toujours pas fait la transition pour entreprendre
des projets en partenariat.
Il y a aussi des obstacles internes. Les bureaux juridiques sont
encore récompensés pour ne pas prendre de risques
plutôt que de donner des résultats. Un grand nombre
de procédures sont très pesantes et je crains que
la crise concernant le programme pétrole contre nourriture
n'ait rien arrangé. Le respect et la surveillance sont des
principes qui sont de plus en plus mis en avant par les Nations
Unies. Cependant, cette approche échouera si des indicateurs
de performance précis ne sont pas établis, de même
que des mécanismes de transparence et de responsabilité.
Je pense qu'il faut voir comment l'ONU évoluera mais il est
indiscutable que ce partenariat partant de la base a des effets
positifs et comporte les éléments nécessaires
pour stimuler un changement systémique profond.
Le partenariat avec les entreprises et la société
civile est-il devenu une nécessité pour les Nations
Unies ?
Sans aucun doute. Il y a une dizaine d'années, la question
est devenue de plus en plus importante quand nous avons compris
que de nombreux problèmes auxquels nous faisons face nécessitaient
l'expertise de différents secteurs de la société.
Et, souvent, il a été possible de réunir les
entreprises et les organisations non gouvernementales (ONG) locales.
Par exemple, dans les bureaux régionaux de l'ONU, des initiatives
ont montré que des progrès importants peuvent être
accomplis par le partenariat. Cependant, ce n'est pas aussi facile
que cela paraît. Des obstacles demeurent encore dans de nombreux
pays et dans de nombreuses entreprises.
Le 10e Forum international des
affaires
Le 10e Forum international des affaires, qui s'est tenu à
New York du 11 au 13 septembre 2005 à l'université
de New York, avait pour thème principal " Le monde des
affaires et les objectifs du Millénaire pour le développement
". Sous le parrainage de InWEnt-Capacity Building International
(Allemagne), l'Institut de la Banque mondiale (WBI), l'Instituto
Ethos et le Pacte mondial, 200 chefs d'entreprise, la société
civile ainsi que des organisations gouvernementales et internationales
se sont réunis pour réfléchir à la façon
dont les entreprises peuvent contribuer à la réalisation
des OMD.
La Vice-présidente du WBI, Frannie Léautier, a déclaré
que les OMD offraient un cadre qui peut permettre au monde des affaires,
à la société civile et au gouvernement d'unir
leurs efforts pour s'attaquer aux questions les plus urgentes en
matière de développement. Il était important
de ne pas considérer le secteur privé " comme
une simple source de financement mais comme un véritable
partenaire qui s'attaquera aux différents problèmes
de développement ", a-t-elle indiqué. "
Ces problèmes sont d'ailleurs souvent des freins au développement
des affaires, l'intérêt est donc réciproque.
" Les participants ont examiné comment les directeurs
pouvaient servir le mieux les intérêts de l'entreprise
en participant à des programmes orientant les ressources
vers des activités respectueuses du cadre de vie social et
environnemental, la croissance de l'industrie alimentaire dans les
nations les plus pauvres d'Afrique et le rôle des entreprises
de conditionnement mondiales dans la mise en uvre des programmes
de distribution de lait dans les écoles des pays les moins
développés d'Asie.
L'objectif principal du Forum était de réunir des
représentants du gouvernement et de la société
civile afin de trouver des solutions efficaces au développement
durable. Comme l'a dit Jan Martin Witte, du Global Public Policy
Institute, le Forum a fourni une occasion unique pour les représentants
des Nations Unies, du secteur privé et de la société
civile de partager leurs expériences afin d'encourager l'action
coopérative. Trop souvent, on considère les partenariats
comme étant régis par les donateurs ou comme une tentative
du monde des affaires de s'approprier l'ordre du jour de l'ONU.
Mais cette rencontre a démontré que de nombreux partenariats
sont ancrés dans les réalités locales et peuvent
apporter du nouveau. M. Martin a souligné qu'il était
important de remodeler le futur débat sur les partenariats
dans ce contexte et de mettre l'accent sur l'importance de l'appropriation
et de l'impact au niveau local.
Le partenariat multisectoriel est une question qui a pris de plus
en plus d'importance au cours de la dernière décennie.
La Déclaration du Millénaire 2000 peut être
considérée comme le débat le plus important
et, l'utilisant comme cadre, le Forum du monde des affaires fait
appel aux entreprises pour qu'elles jouent un rôle plus actif
dans la réalisation des OMD. Cela devient une nécessité,
les gouvernements ayant besoin de partenaires pour atteindre ces
objectifs. De plus, il est essentiel de montrer aux entreprises
les avantages qu'elles peuvent tirer lorsqu'elles s'investissent
dans le développement durable, de manière à
ce que le secteur privé comprenne qu'il est dans son intérêt
de contribuer à la réalisation des OMD. L'importance
de la collaboration entre les divers secteurs, les gains et les
risques potentiels, y compris les bonnes pratiques de partenariats,
ont été débattus en partageant les points de
vue, les expériences et les conseils parmi tous les secteurs.
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