Chronique ONU
Message du Secrétaire général
IL FAUT FAIRE PREUVE DE SENS POLITIQUE ET REDONNER CONFIANCE À L'ONU

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L'article
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Extrait de l'allocution que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a prononcée le 31 janvier 2006 devant les membres de l'Association du Royaume-Uni pour les Nations Unies, à Central Hall, au Westminster (Royaume-Uni).

Nombreux sont ceux qui, de ce pays, ont pu saisir le sens du message de mon rapport [Dans une liberté plus grande]. En deux mots, ce message est double. C'est que d'une part nous sommes tous logés à la même enseigne. Plus que jamais, l'espèce humaine est confrontée à des problèmes à l'échelle planétaire - allant de la pauvreté et l'inégalité à la prolifération nucléaire, du changement climatique à la grippe aviaire, du terrorisme au VIH/sida, du nettoyage ethnique et du génocide au trafic des vies et des corps humains. Que nous nous rassemblions pour trouver des solutions à tout : quoi de plus normal ? Et d'autre part, les trois libertés auxquelles aspire l'humanité tout entière - vivre à l'abri du besoin, à l'abri de la guerre ou de violences généralisées et à l'abri de traitements arbitraires ou dégradants - sont étroitement liées.

Sans développement, point de sécurité durable. Sans sécurité, point de développement. Et aucune société ne peut vivre longtemps en sécurité et dans la prospérité sans le respect des droits de l'homme et de la primauté du droit. Tel est le principe qui sous-tend Dans une liberté plus grande. Comme vous le savez, il se voulait l'ordre du jour du Sommet mondial de septembre dernier. Permettez-moi donc de rappeler les domaines où le Sommet a accompli de véritables progrès.

Premièrement, le rapport a contribué à inciter la communauté internationale à prendre de nouveaux engagements considérables en matière d'aide et d'allégement de la dette - ainsi l'aide accordée à l'Afrique a été doublée -, et a permis de réaffirmer le vif soutien unanime pour les objectifs du Millénaire pour le développement. Les pays en développement ont également pris de très sérieux engagements, à commencer par leur décision d'arrêter, d'ici à la fin de l'année, des stratégies nationales visant à leur permettre d'atteindre les OMD d'ici à 2015. Dans le domaine des secours humanitaires, le Sommet nous a donné un fonds d'urgence perfectionné, qui devrait nous permettre d'intervenir rapidement en cas de catastrophe.

S'agissant de la paix et de la sécurité, les États Membres ont convenu de " condamner vivement le terrorisme dans toutes ses formes et manifestations, quels qu'en soient les auteurs, le lieu et la motivation ". Et ils ont invité l'Assemblée générale à élaborer, adopter et appliquer " sans tarder " une stratégie globale de lutte contre le terrorisme à l'échelle mondiale, à partir des éléments que j'ai esquissés en mars dernier à Madrid. Mais leur décision la plus concrète dans ce domaine a été l'établissement d'une Commission de consolidation de la paix, qui viendra combler une véritable lacune institutionnelle et veiller à ce que l'attention et les ressources nécessaires soient réservées aux pays qui émergent de la violence, longtemps après le départ des forces de maintien de la paix.

En ce qui concerne les droits de l'homme, nous disposons désormais d'un organe renforcé, doté de nouvelles ressources considérables, pour le Haut Commissaire. Nous avons par ailleurs reçu un aval sans réserve pour le nouveau Fonds pour la démocratie. Et j'espère que, dans une semaine ou deux, il se dégagera un accord sur le nouveau Conseil des droits de l'homme, qui viendra remplacer la Commission discréditée. Mais ce que je retiens par-dessus tout, c'est que le Sommet a consacré l'idée que, pris individuellement et collectivement, les États ont pour responsabilité de protéger leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité. Il s'agit là d'une avancée majeure que j'appelle de mes vœux depuis des années.

Enfin, le Sommet a ouvert la voie à de profonds changements dans la manière d'administrer les Nations Unies. J'ai déjà opéré certains de ces changements, comme la création d'un bureau de la déontologie et l'adoption de mesures plus efficaces pour protéger ceux qui dénoncent irrégularités et manquements. Mais le plus important reste à faire. En effet, bon nombre de décisions adoptées par le Sommet ne sont que des engagements de principe. Le plus difficile à présent est d'y donner suite, par le menu et en pratique. Je pense, par exemple, aux engagements en faveur du développement, pris par les donateurs et les pays en développement. Les faire approuver par les rouages de l'appareil politique de chaque pays, face à l'inertie de groupes d'intérêt puissants, exigera un effort politique soutenu, tout autant que réaliser des progrès décisifs en matière d'échanges commerciaux, de manière à offrir véritablement aux pays en développement les moyens de se battre sur les marchés internationaux.

Concernant la paix et la sécurité, les États Membres n'ont toujours pas satisfait à l'impératif, souligné par le Sommet, " de faire tous les efforts " pour parvenir à un accord sur une convention générale sur le terrorisme, à la présente session de l'Assemblée générale. Il est impératif qu'ils y parviennent et qu'ils arrêtent une stratégie globale de lutte contre le terrorisme dans les meilleurs délais, ainsi que le Sommet les y a invités.

Je pense également aux engagements en matière de droits de l'homme. C'est maintenant que tous ceux qui se préoccupent véritablement des droits de l'homme doivent redoubler d'efforts pour que voie le jour un Conseil des droits de l'homme respectable et respecté capable de défendre les droits des populations opprimées dans le monde. Je pense en outre à cette merveilleuse volonté affichée par les États d'intervenir " de manière rapide et décisive, par le truchement du Conseil de sécurité " en vue de protéger les populations que leurs propres gouvernements ne protègent pas, volonté qui ne se concrétisera que si le Conseil de sécurité est disposé à agir. Le Conseil est d'ailleurs soumis à un véritable test à l'heure actuelle, l'Union africaine ayant exprimé le souhait de voir sa mission au Darfour transformée en une opération de maintien de la paix de l'ONU. Le Conseil se trouve ainsi placé devant l'incontournable responsabilité d'intervenir, rapidement et d'une manière décisive, pour mettre un terme aux meurtres, aux viols et au nettoyage ethnique dont les populations du Darfour sont encore victimes.

Reste à voir, également, si l'on pourra revoir de fond en comble toutes les règles régissant le personnel et les ressources de l'Organisation, entreprise que le Sommet a appelée de tous ses vœux et indispensable, si l'on entend mettre en place un système de gestion à la mesure des responsabilités opérationnelles qui nous ont été confiées par les États Membres ces 15 dernières années. Pour ce faire, il est impératif que les États Membres décident de donner suite aux recommandations que je leur soumettrai le mois prochain. Par ailleurs, il appartiendra à l'Assemblée générale de s'atteler à la tâche de revoir tous les mandats encore en vigueur, confiés à l'Organisation par les États Membres entre 1946 et 2001. Vous pouvez imaginer l'ampleur de la tâche. Ce réexamen devrait permettre de prévenir la plupart des doubles emplois et gaspillages et de garantir que notre action réponde aux priorités actuelles, pas celles tracées autrefois par les États Membres.

Aucune de ces réformes n'est facile à adopter par les États Membres, en raison des méfiances profondes qui existent entre pays en développement et pays donateurs, entre petits et grands États, et souvent entre la seule superpuissance qui reste et tous les autres. Ces méfiances ont également marqué le Sommet. Il y a eu en effet des domaines où les dirigeants du monde ne sont parvenus à aucun accord. La plus grande déception, pour moi personnellement, a été l'absence de tout progrès sur la question du désarmement et de la non-prolifération.

Car y a-t-il menace plus grave, dans le monde d'aujourd'hui, que celle d'une arme nucléaire ou biologique qui tomberait entre les mains de terroristes, ou qui serait utilisée par un État, à la suite d'un épouvantable malentendu ou erreur de calcul ? Plus il y a d'États qui possèdent une telle arme et plus grave est le risque. Et plus les États dotés de telles armes développent leurs arsenaux, ou insistent que ces armes sont indispensables à leur sécurité nationale, et plus les autres États estimeront devoir en posséder aussi, pour leur sécurité.

Pendant 35 ans le Traité de non-prolifération des armes nucléaires a remarquablement réussi à protéger l'humanité contre un tel danger. Mais à présent il se heurte à un obstacle de taille. L'Iran fait l'actualité - à juste titre, car des obligations et des engagements fondamentaux découlant d'un traité sont remis en question. Pour les signataires du TNP, le droit de produire de l'énergie nucléaire ne va pas sans l'engagement solennel de ne pas fabriquer ou acquérir des armes nucléaires, et de se conformer aux normes définies et vérifiées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Mais au-delà de l'actualité, il est évident que nous ne pouvons plus continuer à naviguer à vue d'une crise à l'autre, jusqu'au jour où ces dispositions seront balayées par la prolifération du nucléaire militaire. Par deux fois l'an dernier, les gouvernements ont eu l'occasion de consolider les bases du régime du TNP, en se mettant d'accord sur la conduite d'inspections plus énergiques de l'AIEA; en adoptant des mesures d'incitation et des garanties propres à encourager les pays à renoncer à l'enrichissement et au retraitement de matières fissiles; et en adoptant des mesures vigoureuses pour honorer les engagements en matière de désarmement. Par deux fois, ils ont échoué. Nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller de telles occasions.

L'autre échec retentissant du Sommet a été, bien entendu, l'absence d'accord sur l'élargissement du Conseil de sécurité. Il ne faudrait toutefois pas sous-estimer la lente érosion de l'autorité et de la légitimité de l'ONU que suscite le sentiment que le fondement de son pouvoir est trop étroit, cinq pays seulement décidant de tout. Dans le passé, j'ai qualifié ce phénomène de déficit démocratique. C'est ce sentiment d'impuissance et d'exclusion qui incite de nombreux États à exercer le seul pouvoir qu'ils détiennent : celui de bloquer les autres réformes, comme celle concernant l'amélioration de la gestion - dans laquelle certains vont jusqu'à imaginer une tentative des plus puissants d'accaparer plus de pouvoirs encore. Il est donc indispensable d'élargir la base. Tôt ou tard, le Conseil de sécurité devra être élargi. Mais en attendant, il y a d'autres moyens de permettre à plus d'États d'avoir plus d'influence dans les décisions de l'ONU. Les membres permanents du Conseil pourraient prêter plus d'attention aux membres élus, et l'Assemblée générale se montrer plus soucieuse d'élire des membres qui seraient à la hauteur de leurs responsabilités.

Le Conseil dans son ensemble devrait se montrer plus disposé à partager le pouvoir avec les autres organes des Nations Unies, y compris le nouveau Conseil des droits de l'homme et la nouvelle Commission de consolidation de la paix, ainsi qu'un Conseil économique et social réorganisé et l'Assemblée générale elle-même. Que ces institutions gagnent en respect et en pouvoirs permettra à plus d'États d'exercer ces pouvoirs, contribuant à renforcer leur engagement renouvelé vis-à-vis de l'Organisation et leur volonté de voir l'Organisation aller de l'avant.

Si nous souhaitons disposer d'une ONU à même d'affronter les crises d'aujourd'hui et de demain, du Doha au Darfour, du terrorisme international au réchauffement planétaire, il faudra faire preuve de sens politique et lui redonner confiance. Je souhaite ardemment être en mesure, à la fin de cette année, de transmettre à mon successeur une organisation mieux à même de relever les défis du XXIe siècle et de servir les peuples au nom desquels elle a été créée.

 
 
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