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Bien que, dans certaines circonstances, les forces du maintien
de la paix de l'ONU, ou une force d'occupation, comme les expériences
en Afghanistan et en Irak l'ont récemment montré,
puissent se charger d'une partie de la reconstruction dans les États
défaillants, quel que soit le niveau de compétence
des soldats, certaines fonctions administratives sont mieux exécutées
par des fonctionnaires civils. Le recrutement peut cependant poser
un problème. Il se peut que nombre de civils soient peu disposés
à travailler dans des régions en proie à l'instabilité
politique et au danger endémique ou que d'autres, moins réticents,
n'aient pas les compétences requises. À cette fin,
je propose l'établissement d'une Académie administrative
des Nations Unies (UNAA). Elle pourrait délivrer chaque année
au moins 1 000 diplômes à des étudiants ayant
suivi une formation supérieure qui feraient ensuite partie
d'une Réserve administrative de l'ONU pour une période
de dix ans durant laquelle ils seraient prêts à servir
dans les États défaillants ou menacés, quand
et où cela serait nécessaire.
L'Académie offrirait des cours en anglais, en espagnol et
en français et aurait trois campus situés de manière
appropriée dans des pays d'accueil stables, comme le Canada,
le Costa Rica et la Suisse. Au Canada, par exemple, elle pourrait
être installée au Centre canadien Lester B. Pearson
pour la formation du maintien de la paix, en Nouvelle-Écosse;
au Costa Rica, à l'Université de la paix des Nations
Unies établie à San José; et en Suisse, à
l'ONU à Genève. Un quatrième campus pourrait
également offrir des cours en arabe. Le personnel enseignant
et administratif serait principalement choisi parmi des personnes
ayant déjà acquis une expérience adéquate
dans les missions de maintien de la paix de l'ONU avec, au besoin,
la participation de spécialistes. Le personnel de soutien
serait recruté localement.
Les étudiants seraient choisis sur la base du mérite
et devraient passer initialement des examens d'entrée difficiles
donnés périodiquement dans l'une des trois langues
de travail. Tandis qu'on s'efforcerait d'attirer des personnels
qualifiés dans le monde entier, l'accent serait mis sur le
recrutement dans les pays en développement. Les candidats
devraient être titulaires d'un baccalauréat ou d'un
diplôme équivalent, êtres âgés de
21 à 35 ans, en bonne santé et de bonne moralité.
Les bureaux nationaux du Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD) seraient responsables des inscriptions et des examens. Si
nécessaire, une aide serait fournie pour se rendre dans les
lieux d'examens.
Le recrutement sur concours entraîne des coûts qui
n'existent pas dans le système de recrutement actuel du personnel
civil des opérations de maintien de la paix de l'ONU, où
les privilèges de classe, les relations personnelles et le
pays d'origine jouent sans doute un rôle trop important. Les
postes supérieurs sont en général alloués
aux personnels issus de pays relativement influents ou à
l'élite sociale de quelques pays en développement.
La question est de savoir si ces personnes sont suffisamment sensibles
aux cultures et aux situations économiques de ceux dont elles
sont destinées à servir les besoins. Bien qu'il n'y
ait aucune garantie que ceux qui viennent de milieux moins privilégiés
soient mieux équipés pour faire leur travail, il est
probable que les diplômés de l'Académie, dûment
formés, feront davantage preuve d'empathie et de compréhension.
Comme dans de nombreuses académies militaires, les étudiants
recevraient chaque mois un revenu modeste, en plus d'indemnités
pour les frais de repas et de logement, dont une partie serait mise
de côté sur un compte personnel bloqué accessible
seulement à l'issue des dix ans de service requis. Si nécessaire,
ces revenus seraient complétés par des indemnités
pour les personnes à charge. Les livres, les fournitures
et autres dépenses connexes seraient prises en charge par
l'Académie; les congés payés et les indemnités
de voyage permettraient aux étudiants de rentrer périodiquement
chez eux.
La période d'instruction serait de trois ans, certaines
spécialités pouvant nécessiter une quatrième
année d'études. Au début de la troisième
année, les étudiants feraient un stage de quatre à
six mois dans une mission de maintien de la paix en cours, là
où cela serait possible, ou dans certaines régions
en proie à des troubles. Les stages dans les organisations
gouvernementales et non gouvernementales feraient l'objet de négociations.
Les sujets d'instruction et la nature du cursus seraient en fonction
de l'expérience. Mais l'expérience déjà
acquise dans le cadre de programmes de formation administrative
maintenus par certains États, comme l'Inde en ce qui concerne
son propre Service administratif indien, serait aussi exploitée
dans la conception du programme de l'ONU.
L'UNAA développerait un cursus de base, comprenant des cours
sur l'histoire, la structure et le fonctionnement du système
des Nations Unies ainsi que sur les aspects militaires du maintien
de la paix, que tous les étudiants devraient maîtriser.
D'autres activités essentielles incluraient : l'étude
des techniques de gestion générale; des ateliers de
techniques de communication écrite; l'acquisition de compétences
dans les domaines de l'histoire et de la propagande politique; et
la formation sur les particularités des différentes
cultures, la résolution des conflits et la gestion du personnel.
Celui-ci étant amené à former le personnel
local afin qu'il reprenne le contrôle, certains cours de pédagogie
seraient requis. Enfin, des cours d'entraînement physique
seraient obligatoires.
Certains cours plus spécialisés comprendraient, entre
autres : la supervision de la police; la gestion fiscale; le développement
de la communauté; l'éducation de base et la réforme
de l'éducation; la santé publique et l'assainissement;
les secours lors de catastrophes, etc. L'étude multidisciplinaire
intensive d'au moins une région mondiale serait obligatoire,
et l'étude de langues spécialisées, en particulier
l'arabe, le persan, le swahili, l'hausa, l'hindi/ourdou et le bahasa
indonésien/malais, serait également encouragée.
Divers moyens seraient employés pour tester le niveau des
connaissances sur les sujets étudiés. Les étudiants
dont le niveau serait insuffisant seraient exclus du programme.
En plus, l'académie s'attacherait à instiller dans
les étudiants une éthique mondiale où le respect
des droits de l'homme universels et la loyauté envers l'humanité
dans son ensemble s'ajouteraient à l'allégeance à
leur propre nation et les inspireraient à accomplir un travail
de service planétaire. À cet égard, l'académie
encouragerait considérablement la citoyenneté mondiale.
À la fin de leurs études, tous les étudiants
diplômés seraient tenus de remplir une obligation contractuelle
de dix ans en tant que membres d'une Réserve administrative
de l'ONU et souscriraient un engagement à servir dans la
réserve. Une partie des réservistes serait probablement
immédiatement dépêchée dans les missions
de maintien et d'établissement de la paix de l'ONU manquant
de personnels civils. Les autres rentreraient chez eux, la plupart
d'entre eux intégrant ou réintégrant leurs
services administratifs respectifs ou acceptant un autre emploi,
peut-être dans le bureau local du PNUD, et occuperaient ces
postes jusqu'à ce que l'ONU ait besoin d'eux. Il serait nécessaire
pour les Nations Unies de passer des accords avec les pays d'origine
des étudiants afin qu'ils puissent se libérer de leurs
fonctions lorsque cela serait nécessaire et qu'une fois leurs
missions de l'ONU remplies, ils puissent retrouver leur emploi dans
leur pays, sans perte d'ancienneté. Il serait possible pour
ceux qui le souhaiteraient d'étendre leur statut de réserviste
au-delà de la période de dix ans; toutefois, c'est
à l'ONU que reviendrait la décision finale.
En plus d'être engagés à servir, les réservistes
devraient être disponibles tous les trois ans après
la fin de leurs études pendant plusieurs semaines afin de
participer à des camps régionaux, où ils examineraient
les succès et les échecs des missions de maintien
de la paix de l'ONU antérieures ou en cours et seraient informés
de nouvelles situations et des nouveaux développements technologiques.
Durant ces périodes ils recevraient un salaire modeste en
plus des dépenses engagées pour leur participation.
Périodiquement, ils devraient examiner les documents du Département
des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Au début,
la plupart des diplômés occuperaient des postes simples
sous la houlette du personnel de l'ONU, plus expérimenté.
Ceux qui auraient donné de bons résultats se verraient
confier de plus grandes responsabilités dans les missions
suivantes et pourraient même accéder à des emplois
permanents dans le système de l'ONU.
En janvier 2006, l'ONU comptait au total 71 811 effectifs dans
ses cinquante missions de maintien de la paix dans le monde, y compris
61 748 personnels militaires, 7 371 policiers civils non locaux
et 2 692 observateurs. L'année précédente,
ils avaient été recrutés dans plus d'une centaine
de pays et épaulés par environ 4 000 personnels civils
qui ont rempli un éventail de fonctions auxiliaires. Le personnel
était souvent trop hétérogène, même
dans un seul pays. Par exemple, en 1992 en Bosnie-Herzégovine
seulement, pas moins de 43 pays ont fourni des contingents de policiers;
de même, la diversité dans la composition du personnel
militaire et/ou civil a caractérisé d'autres grandes
missions, telles qu'en République démocratique du
Congo, en Sierra Leone, au Cameroun, au Timor Leste et au Cambodge.
Étant donné la différence de formation et de
conditions de travail de ces unités dans leur pays respectif,
la coordination dans les missions de l'ONU n'a pas été
une tâche aisée. On sait que, de temps à autre,
de graves malentendus ont eu lieu.
Le recours aux étudiants diplômés de l'UNAA
permettrait d'éviter ce genre de problèmes. Ceux-ci
prendraient en main l'exécution de nombreuses tâches
pour lesquelles le personnel militaire est insuffisamment équipé,
ce qui permettrait non seulement d'assurer une meilleure performance
mais aussi de réduire la présence militaire pouvant
être impopulaire dans les régions déchirées
par des conflits.
Le taux relativement bas du personnel civil par rapport au personnel
militaire (moins de 1 pour 6) dans les opérations de maintien
de la paix ne signifie pas que ce personnel n'est pas nécessaire.
Le recrutement est un problème sérieux, les coûts
aussi. Le personnel civil coûte beaucoup plus cher par personne
que les soldats et, étant donné les contraintes budgétaires
strictes auxquelles les Nations Unies sont soumises, leur nombre
est inférieur à ce qu'il devrait être. L'Afghanistan,
par exemple, est un cas où les Nations Unies commencent à
peine à répondre aux besoins. Si une académie
existait, elle pourrait permettre de combler cette lacune. Même
chose en Irak si le travail diplomatique de base nécessaire
et la planification du suivi avaient été menés
à bien. Puisque chaque étudiant aurait une obligation
contractuelle envers les Nations Unies, en fait une dette pour rembourser
une éducation de qualité dispensée gratuitement,
lorsqu'ils seraient sur le terrain, leur salaire pourrait être
légitimement inférieur à celui des autres personnels
civils de l'ONU. Les indemnités de logement et d'autres besoins
sur le terrain pourraient également être plus modestes,
tout en étant suffisants.
La Réserve administrative de l'ONU ne verrait pas le jour
avant que la première promotion n'obtienne un diplôme,
trois ans après l'inauguration de l'Académie. Sa taille
varierait au cours des ans et augmenterait par la suite au rythme
annuel d'au moins 1 000 personnes selon les besoins en personnel
et la capacité de l'académie à se développer
pour y répondre. Beaucoup dépendrait aussi de la volonté
des diplômés de se s'engager au-delà des dix
ans requis. Je ferais remarquer qu'il est facile de maintenir un
corps de réserve composé de 15 000 membres. Il est
tout à fait possible qu'un grand nombre de diplômés
ne soient jamais appelés à servir. Étant donné
la nature incertaine du contexte politique mondial, il n'y a aucun
moyen fiable de prédire qui pourrait être appelé
et où. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la formation
des étudiants serait une perte d'argent. Au contraire, le
développement du capital humain, l'une des missions de l'académie,
est pertinent dans un vaste éventail de cas. Le personnel
dûment formé à l'administration de son pays
d'origine respectif pourrait contribuer considérablement
au développement économique, social et politique de
celui-ci. Nombre de diplômés, avec ou sans expérience
dans le domaine du maintien de la paix à l'étranger,
ont de fortes chances de gravir rapidement les échelons au
sein de la bureaucratie de leur pays, en particulier dans le cas
des pays en développement, où les administrateurs
très qualifiés sont probablement en nombre limité.
Le coût que représenterait la création d'une
Académie administrative de l'ONU serait modeste par rapport
aux avantages dérivés, dont le plus important serait
l'établissement d'une stabilité politique et le démantèlement
des réseaux terroristes nationaux et internationaux, qui
vont de pair, comme ce fut le cas avec Al-Quaida et les talibans
en Afghanistan. Si un seul acte de terrorisme pouvait être
évité, les avantages seraient incommensurables. En
termes financiers, après les dépenses initiales de
mise en route, l'UNAA pourrait, selon mes estimations, fonctionner
avec environ 200 millions de dollars par an. Cela représente
en gros le budget annuel actuel du College of Liberal Arts de l'université
du Minnesota, où j'ai enseigné pendant 34 ans, et
seulement un dixième du budget de l'ensemble de l'université.
Ces estimations incluent trois campus de l'UNAA, 3 300 étudiants
(1 200 la première année d'études, respectivement
1 100 et 1 000 les deuxième et troisième années
en tenant compte du nombre d'abandons en cours de route), un corps
enseignant et un personnel administratif de 300 membres et quelque
300 employés chargés des services techniques, de secrétariat
et de maintenance. Elles prennent aussi en compte les coûts
de maintenance et les frais généraux, les congés,
les frais supplémentaires pour les personnes à charge
et la sélection des candidats. Vu les immenses avantages
potentiels, peut-on sérieusement soutenir que la communauté
internationale - qui peut être aidée par des fondations
privées, en particulier dans les premières années
- ne peut dépenser la somme relativement modique nécessaire
pour donner suite à ce projet ?
Les coûts engagés pour maintenir les membres de la
Réserve administrative de l'ONU dans les opérations
en cours seraient entièrement séparés de ceux
de l'UNAA. Mais considérant l'excellent niveau de préparation
et d'efficacité des diplômés ainsi que le coût
plus élevé des effectifs de personnel civil en poste
jusqu'ici dans les opérations de l'ONU, la création
de l'UNAA permettrait probablement de faire des économies
considérables pouvant servir à d'autres missions.
De toute façon, le recours aux réservistes ne représenterait
qu'une petite fraction des coûts généraux du
maintien de la paix, qui s'élevaient récemment à
5 à 6 milliards de dollars par an. À titre de comparaison,
on peut noter que pour l'exercice financier 2007, le gouvernement
américain a, à lui seul, proposé un budget
de 439,3 milliards de dollars pour le Département de la Défense
(sans compter les demandes " de rallonge " pour poursuivre
les actions militaires en Irak et en Afghanistan) et 35,6 milliards
pour le Department of Homeland Security (Département de la
sécurité intérieure). Justifier cette poursuite
unilatérale extravagante à la recherche d'une sécurité
illusoire tout en déniant aux Nations Unies les moyens de
maintenir une capacité de maintien de la paix adéquate,
a peu de sens.
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