The
UN's Role in Nation-Building: From the Congo to Iraq
De James Dobbins, Seth G. Jones, Keith Crane, Andrew Rathmell, Brett
Steele, Richard Teltschik et Anga Timilsina; et
America's
Role in Nation-Building: From Germany to Iraq
De James Dobbins, John G. McGinn, Keith Crane, Seth G. Jones, Rollie
Lal, Andrew Rathmell, Rachel Swanger et Anga Timilsina Santa Monica,
CA: RAND Corporation (2005)
Dans des circonstances idéales, l'État assure la
paix, les droits de l'homme, pourvoit aux besoins humains et établit
la base d'un système international stable. Les problèmes
les plus importants qui touchent l'humanité sont, pour la
plupart, liés à la faiblesse ou à l'échec
de l'État dont le gouvernement est incapable de satisfaire
aux normes de base de la sécurité humaine, ou réticent
à le faire, ou dont les biens publics et les institutions
sont affectés par des conflits violents ou le sous-développement
chronique.
Il est généralement convenu que l'échec d'un
État et les conflits violents peuvent avoir des répercussions
au-delà des frontières et causer des menaces pour
la sécurité, comme les flux de réfugiés,
le trafic illégal des drogues, la traite des êtres
humains, les problèmes environnementaux et la perturbation
des marchés financiers et du libre-échange, ainsi
que le terrorisme, comme en Afghanistan. Avant la chute des talibans,
le gouvernement était corrompu, instable, inefficace et répressif
: l'Afghanistan était l'un des pires pays au monde en matière
de droits de l'homme, de développement et d'éducation,
entre autres domaines. En même temps, ces situations constituaient
un terreau et un refuge pour la violence et le terrorisme dont les
effets ont eu un impact important sur la paix et la sécurité
internationales.
Les implications négatives d'un État défaillant
sont profondes et multiples. Divers mécanismes ont été
mis en place pour résoudre les conflits, promouvoir la démocratie
et aider le développement économique des pays. Lorsque
les acteurs internationaux participent au maintien de la paix, à
l'instauration de la démocratie, à la reconstruction
et au développement économique, les commentateurs
sont nombreux à qualifier ce processus de " construction
d'une nation ". Depuis la fin de la Deuxième guerre
mondiale, après les succès remportés par les
États-Unis en Allemagne et au Japon, ce concept a connu des
hauts et des bas. Après la guerre froide, en particulier,
la " construction d'une nation " a été un
sujet inconsistant et controversé. Au début, on pensait
avec optimisme que la communauté internationale, par le biais
des Nations Unies, serait en mesure de soutenir efficacement les
activités liées à la construction d'une nation,
s'appuyant sur le nouvel ordre mondial basé sur le multilatéralisme,
la démocratie et les droits de l'homme.
Dans son opuscule intitulé Agenda pour la paix : diplomatie
préventive, établissement et maintien de la paix,
l'ancien Secrétaire général de l'ONU, Boutros
Boutros-Ghali, a parlé du " commencement d'une nouvelle
époque dans l'histoire " des Nations Unies. Dans ce
contexte, l'Organisation s'est engagée dans nombre d'opérations
de la paix dans le monde. Mais à la suite d'expérimentations,
d'actions trop ambitieuses et même de crises, le concept de
construction de nation a souffert d'un certain essoufflement en
1993. Les promesses de soutien faites précédemment
par un grand nombre d'États Membres ont été
oubliées, lorsqu'ils ont réalisé le coût
du nouvel ordre mondial en termes humains et matériels. L'idée
de construire les nations a été abandonnée
et un climat de réalisme prudent et de lassitude à
l'égard du multilatéralisme s'est installé
aux Nations Unies. La " construction de nation " est devenu
un terme politique abusif. Au début du XXe siècle,
cependant, le concept a refait surface, en particulier avec le succès
de la promotion de la démocratie dans de nombreux domaines.
Cela constitue la toile de fond de ces deux excellents tomes complémentaires
qui composent " l'histoire de la construction de nation "
publiée par Rand Corporation, présentant une histoire
et une analyse des opérations de paix menées par les
Nations Unies et les États-Unis. Les auteurs tentent également
d'établir une comparaison ambitieuse entre les deux approches
du concept de construction de nation et relèvent les meilleures
pratiques et les meilleures leçons tirées pour les
politiques futures.
Dans l'ouvrage consacré à la construction de nation
par les États-Unis, l'accent est mis sur le recours à
la force militaire après un conflit afin de permettre une
transformation rapide et fondamentale de la société.
Les auteurs affirment que la construction de nation " est la
responsabilité inévitable de la seule superpuissance
du monde " et examine sept études de cas très
différents - Allemagne, Japon, Somalie, Haïti, Bosnie-Herzégovine,
Kosovo et Afghanistan - où les États-Unis ont assumé
un rôle de premier plan dans le soutien de la paix, le développement
économique et la démocratie. Les auteurs tirent des
conclusions globales et les leçons apprises. En comparant
ces différents cas, ils mettent l'accent sur les " apports
" quantitatifs, telles que la présence de la police,
l'aide extérieure totale et par habitant en termes financiers
et l'aide extérieure en tant que pourcentage du produit intérieur
brut. L'évaluation des " résultats " est
fondée sur le succès à promouvoir la paix,
le développement économique et la démocratie.
Considérant les sept cas, certaines leçons sont frappantes
et d'actualité : la démocratie peut être transférée
et exportée vers des pays non occidentaux; le recours à
la force militaire peut aider à instaurer la démocratie;
la construction de nation menée unilatéralement peut
être plus simple mais plus coûteuse que les efforts
multilatéraux; en matière de construction de nation,
les objectifs doivent être proportionnels aux ressources disponibles;
un calendrier de retrait des forces armées peut être
contre-productif; la mise en place des administrations et des institutions
démocratiques compétentes peut être un processus
long; le lien entre crime organisé et extrémisme politique
peut constituer un sérieux défi aux réformes
démocratiques durables; une large participation et un partage
des tâches difficiles peut être compatible avec l'unité
de commandement et le leadership des États-Unis; et l'insuffisance
initiale du financement et des effectifs militaires donne lieu à
des résultats mitigés en termes de sécurité,
de démocratisation et de croissance économique.
La première question est de savoir pourquoi certains cas
ont été couronnés de succès, comme l'Allemagne
et le Japon, alors que d'autres, comme la Somalie et Haïti,
ont connu un échec cuisant, ou mitigé comme la Bosnie.
Les auteurs suggèrent que les chances de succès sont
plus probables dans les pays qui ont connu un développement
et une économie avancés et qui sont homogènes
plutôt que ceux marqués par des divisions ethniques,
sociales ou tribales ont plus de chances. La coopération
des structures de pouvoir existantes, le commandement clair et indépendant
des États-Unis et une conclusion du conflit sont plus favorables
à une intervention externe réussie pour la reconstruction.
Quand les États-Unis collaborent avec les acteurs internationaux,
une vision commune et une division claire du travail sont essentielles
- ce que les auteurs appellent " un amalgame fiable du partage
des responsabilités et de l'unité du commandement
". Cependant, les auteurs font valoir qu'au bout du compte,
le niveau des effectifs et des ressources que les États-Unis
et la communauté internationale consacrent à la construction
de la nation est le plus déterminant pour le succès.
Il faut rappeler qu'il y avait 1,6 million de soldats américains
en Allemagne durant la reconstruction et 350 000 au Japon lorsque
leur présence était à son maximum. En outre,
" alors qu'une présence à long terme n'est pas
une garantie de succès, un retrait précoce assure
l'échec ". Les auteurs suggèrent que la démocratisation
pourrait prendre cinq ans.
Le deuxième tome intitulé The UN's Role in Nation-Building,
rédigé peu après, met automatiquement davantage
l'accent sur les comparaisons entre les États-Unis et les
opérations menées par l'ONU. Il analyse les leçons
tirées des expériences au Congo et au Cambodge (toutes
deux partiellement réussies), en Namibie, au Salvador, en
Slovaquie orientale et au Timor Leste (toutes réussies),
au Mozambique (en partie réussie) et en Sierra Leone (un
échec au début puis une amélioration notable).
Les auteurs tirent un certain nombre de leçons des efforts
de l'ONU : les demandes de fonds et d'effectifs sont presque toujours
supérieures à leur fourniture; les missions controversées
installent les conditions d'une " aversion au risque ";
des pays voisins conciliants, un gouvernement compétent et
un État ayant des objectifs précis peuvent contribuer
au succès; la participation de l'ONU aux négociations
en vue d'un règlement d'un conflit peut faciliter la transition;
la démocratisation nécessite un engagement à
long terme; l'intégration des groupes d'insurgés dans
le processus politique est essentiel à la transition démocratique;
et tandis que les Nations Unies peuvent mener des missions de renforcement
de la paix avec le soutien des grandes puissances, le manque d'un
tel soutien peut saper les opérations de celles-là.
Les auteurs notent que des différences existent entre l'approche
des Nations Unies et celle des États-Unis en matière
de construction de nation. En ce qui concerne la faiblesse de l'ONU,
ils font valoir que les missions de celle-ci manquent d'effectifs
et de fonds; elles sont souvent formées et déployées
en fonction du meilleur scénario qui est irréaliste;
la compétence des soldats, de la police et du personnel civil
est inégale; et toutes les composantes de la mission arrivent
tard. Pourtant, les deux tomes présentent des conclusions
plutôt positives concernant les réussites importantes
de l'Organisation, faisant observer qu'elle a su tirer les leçons
de ses erreurs et montrer qu'elle était capable d'appliquer
le " pouvoir souple " que lui confèrent sa légitimité
et son impartialité. Dans l'ensemble, ils approuvent tous
deux la théorie et la pratique de la " construction
des nations " et font valoir que la réduction du nombre
de morts dans les conflits armés au cours des dernières
années est une indication de l'efficacité de cette
méthode.
Il y a beaucoup à apprendre de ces deux ouvrages. Leur structure
méthodologique, l'analyse rigoureuse, la présentation
des données et les conclusions sont irréfutables et
faciles à lire. Certains points cependant sont discutables.
L'hypothèse conceptuelle de la " construction de nation
" et la manière dont ces cas très différents
sont réunis et comparés sous l'étiquette "
construction de nation " seront contestées par nombre
de spécialistes dans le domaine. Dans le tome consacré
aux États-Unis, les auteurs notent cependant que " l'occupation,
le maintien de la paix, la paix, l'application de la loi, la stabilisation
et la reconstruction ne reflètent pas entièrement
l'étendue de ces opérations. Le terme de construction
de nation non plus mais nous pensons qu'il reflète mieux
l'éventail des activités et des objectifs en jeu ".
Cette remarque est pertinente. Mais considérer alors comme
question essentielle les circonstances " dans lesquelles la
puissance militaire américaine a été employée
pour soutenir la démocratie " semble aller au-delà
du concept de construction de nation. Également, la base
sur laquelle sont établies les comparaisons, comme l'Allemagne
et le Kosovo de l'après-guerre, est discutable, et les conclusions
générales proposées semblent exagérées.
De même, l'analyse quantitative a ses limites : les questions
qualitatives, les normes, les cultures et les valeurs sont aussi
d'une importance fondamentale.
En outre, certains lecteurs pourraient regretter que ces études
ne soient pas plus " critiques " vis-à-vis du concept
de la promotion de la démocratie, en particulier de sa mise
en application. Il est vrai que ces deux ouvrages semblent être
fondés sur le concept de " paix libérale "
: démocratie (libérale), droits de l'homme, valeurs
de marché et intégration des sociétés
dans la mondialisation, autodétermination et l'idée
de l'État et de la citoyenneté. Cela reflète
la tendance de certains États à mettre l'accent sur
la promotion de la démocratie comme moyen de propager la
paix dans les sociétés et dans le monde. Alors que
la " thèse de la paix démocratique " a acquis
une validité empirique en termes de relations pacifiques
entre les États, " la paix libérale " est
préconisée en tant que concept et dans les cercles
politiques comme la panacée à la paix et au développement
dans les États.
Toutefois, selon de nombreux observateurs contemporains, la paix
libérale est problématique. Elle ne convient pas forcément
aux sociétés sortant d'un conflit ou divisées.
La démocratie en termes de démocratie libérale,
droits de l'homme, droits civils et politiques, valeurs de marché,
intégration des sociétés dans la mondialisation,
autodétermination, ainsi que l'idée de l'État
et de la citoyenneté ne sont pas nécessairement des
valeurs universelles. On peut argumenter que la démocratie
et le marché sont des forces opposées, voire même
conflictuelles, qu'elles fonctionnent dans les sociétés
occidentales libérales, mais qu'elles ne sont pas universelles.
Des élections mal conçues ou organisées à
un moment inopportun dans des situations politiques critiques peuvent
être source de problèmes, comme en Angola ou au Burundi.
Elles peuvent exacerber les tensions existantes, faire le jeu des
extrémistes ou encourager les modèles de vote qui
reflètent les allégeances durant la guerre, comme
en Bosnie. Ce qu'on appelle l'établissement de la paix n'est
donc pas un concept neutre. Dans certaines circonstances, certaines
valeurs de la paix libérale peuvent être en porte-à-faux
avec la réalisation de la paix durable quand elles préconisent,
par exemple, un ordre du jour pouvant exacerber les tensions sociales/économiques.
De plus, certains observateurs ont suggéré que la
promotion de la paix libérale était plus favorable
au marché qu'à la justice sociale, et à la
stabilité plutôt qu'aux droits de l'homme et à
la responsabilité.
Certains aspects du modèle de la paix libérale sont
en tension. Il est possible que la démocratie engendre des
situations qui pourraient être en porte-à-faux avec
les souhaits des donateurs internationaux, comme en Afghanistan,
au Kosovo et en Irak. Certains aspects de la gestion des conflits
actuels liés à la paix libérale, notamment
le rôle des institutions financières internationales,
les activités des ONG et d'autres aspects de l'humanitaire,
peuvent aussi contribuer à certains types de conflits, en
particulier ceux alimentés par une " économie
de guerre ". Mais c'est peut-être trop demander à
ces deux tomes RAND que d'engager un débat sur ce sujet,
puisque qu'ils tentent d'adopter une approche empirique de la reconstruction
après les conflits. Ceci dit, ils sont une ressource très
utile. Il est toutefois toujours bon de garder à l'esprit
les perspectives plus critiques de la " construction de nation
".
|