Chronique ONU

Première personne
DES LIVRES ET DES AMIS Construire une bibliothèque avec des dons de livres

Par Denise C. Hogan

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L'article
Photos/Denise Hogan

C'est l'histoire d'une amitié qui unit une Américaine et un Kényan et leur amour pour les livres, qui sont les frégates qui voguent de l'un à l'autre. Et comme l'a observé Emily Dickinson, " il n'y a aucune frégate comme un livre/pour nous emmener dans des pays lointains ".

Alors que nous entreprenons séparément notre voyage, Harrison et moi-même retournons toujours aux ports de notre pays natal respectif. Unis par l'esprit, nous parcourons avec bonheur les hautes mers de l'écrit depuis les onze dernières années.

Tout a commencé lors de ma première visite au Kenya, en 1995, où j'ai revu un jeune homme qui avait été étudiant à l'université de Maine à Presque Isle durant les années où j'y étais avec mon mari. Il s'appelle Kilonzo, de son nom africain, mais je le connais sous le nom de Harrison. Il a terminé ses études avec mention en 1991 et est rentré au Kenya avec un diplôme de commerce en poche. Quand nous nous sommes revus quatre ans plus tard, il était employé à Nairobi, marié et père de deux garçons.
Nous étions heureux de nous revoir. Nous avons été invités dans son village, où nous avons été reçus avec chaleur par sa famille élargie et, pour moi, c'était comme si le village entier venait nous accueillir. Toute la journée, du matin jusqu'à notre départ en fin d'après-midi, les gens sont venus nous saluer. Une chèvre a été sacrifiée en notre honneur. Ce fut une fête somptueuse, une expression de l'hospitalité africaine.

Harrison nous a amenés dans un petit bâtiment dont il louait la moitié pour l'utiliser comme librairie. On y trouvait des fournitures scolaires en quantités limitées, telles que crayons, stylos, cahiers, et quelques manuels scolaires destinés aux élèves des écoles rurales. Dans la plupart des salles de classe africaines, seul l'enseignant a le texte du cours du jour. Conscient de ce handicap, Harrison m'a demandé si je pourrais trouver des manuels scolaires et les faire envoyer au Kenya lors de mon retour aux États-Unis.
Je me suis donc procuré treize grands sacs en toile utilisés pour les envois internationaux et les ai remplis de livres de tout genre, dons des écoles de Danbury, au Connecticut, où j'habitais à l'époque. Les villes voisines ayant eu rapidement vent de mon projet, nous avons été ensevelis sous une avalanche d'ouvrages de toutes sortes : des livres de géographie décrivant les fleuves, les mers et les montagnes, des livres sur les espaces célestes, des livres pour enfants ainsi qu'un exemplaire usagé de l'Encyclopédie américaine. Devant les problèmes d'entreposage qui se sont rapidement posés sur le campus de la Western Connecticut State University, des piles de livres ont été réparties entre plusieurs bâtiments afin de libérer de l'espace. Je suppose que ma position privilégiée d'" épouse du président " m'a évitée les critiques que se font généralement les professeurs entre eux et avec l'administration.

Mon projet a pu se développer. Chaque année, pendant dix ans, avec l'aide du responsable des envois postaux du campus et de son équipe, et grâce à la générosité de la fraternité Tau Kappa Epsilon, j'ai supervisé l'expédition de livres à destination du Kenya, arrivant parfois à temps pour Noël. Au grand bonheur de tous, l'envoi de 2003 est arrivé au début de février 2004, lors de ma deuxième brève visite dans le pays pour voir la bibliothèque pour la première fois. Elle avait alors changé d'adresse et se trouvait dans de nouveaux locaux plus spacieux - deux salles louées au dernier étage d'un immeuble dans le district Kasarani de Nairobi. Le dernier envoi, à la fin de l'été 2004, a fait plusieurs fois fausse route mais a fini par arriver à bon port. Après ma dernière visite, le conseil d'administration a voté à l'unanimité d'appeler la bibliothèque en mon honneur, " The Denise C. Hogan Reading and Conference Room ". Je n'en reviens toujours pas.

Depuis la première traversée, les livres-voyageurs à destination du Kenya ont changé de caractère et de personnalité. Rapidement, des ouvrages pour adultes se sont joints à eux : manuels destinés aux établissements du secondaire, ouvrages de référence, ressources sur une grande variété de sujets et quelques livres de fiction. Sur les étagères en bois, les professionnels de la santé découvrent des programmes de formation destinés au personnel infirmier, des guides de traitements et de médicaments ainsi que des instructions pour soigner les personnes séropositives et atteintes du sida. Enseignants et éducateurs viennent s'informer des méthodes d'enseignement et d'administration scolaire. Les manuels de comptabilité, de finance et de gestion sont très populaires. Même les livres d'histoire américaine sont utiles pour comparer les institutions démocratiques. Je me suis vite aperçue que les étudiants des trois universités de Nairobi venaient dans notre petite bibliothèque pour trouver ce qu'ils ne trouvaient pas ailleurs.

La bibliothèque se développe rapidement. C'est aujourd'hui une organisation non gouvernementale (ONG) officielle et un dépositaire des documents de l'ONU. Aussi, grâce aux ordinateurs dont a fait don le gouvernement néerlandais, des cours d'informatique y sont offerts. Il est intéressant de noter que plus de 50 % des personnes en formation sont des réfugiés soudanais. En 2001, la bibliothèque a proposé les services de consultation d'une bibliothécaire néerlandaise. Un programme de prêt de livres offre aux étudiants l'occasion d'élargir leurs horizons et d'améliorer leurs connaissances. La bibliothèque abrite une école primaire et secondaire, ce qui permet aux élèves de poursuivre leurs études sans avoir à parcourir de longues distances.

En 2005, le Kenya Textbook Center, l'un des plus grands fournisseurs de matériel scolaire, a fait don d'environ 550 livres à la bibliothèque. Une salle peut être louée par des groupes locaux ou servir de lieu de conférences. Une demande de subvention de base est en cours pour permettre à la bibliothèque de parrainer une série de " conférences itinérantes " sur les questions liées à la femme, telles que le mariage forcé et le statut des femmes qui travaillent. Le fonds de la bibliothèque est actuellement constitué d'environ 12 000 ouvrages. J'ai constaté avec plaisir que, d'après les statistiques, un nombre égal de filles et de garçons la fréquentent. Le conseil d'administration vient de lancer un nouveau projet : l'achat d'un terrain pour la construction d'une bibliothèque adéquate. Un appel de fonds a été lancé et la plus grande partie a été assurée par les Kényans eux-mêmes. Un architecte américain s'est porté volontaire comme conseiller pour la conception.

Cependant, malgré l'importance de ces succès et de ces possibilités, il reste encore beaucoup à faire. La bibliothèque ne reçoit aucun soutien du gouvernement, elle fonctionne de manière autonome grâce aux inscriptions modiques qui peuvent être réglées à la journée, à la semaine, au mois, pour six mois ou à l'année. Il n'y pas d'accès à Internet, ce qui est indispensable pour poursuivre des études universitaires et participer à la citoyenneté mondiale. Les frais de lancement sont le premier obstacle. Il faut aussi s'occuper de la préservation des livres et de leur entreposage, et l'espace réservé au service administratif, l'aménagement de salles pour lire au calme, un éclairage et un matériel de bureau adéquats, dont des meubles et des étagères, sont aussi essentiels. Le matériel pour la mise à jour des fichiers ainsi que la technologie de télécommunications sont nécessaires même à un niveau minimum afin de répondre de manière optimale aux besoins des communautés locales et des autres. Une déclaration publique de soutien et de demande d'assistance par le directeur exécutif du Comité de coordination kényan pour les ONG à l'école secondaire Zimmerman, qui est située dans la bibliothèque, témoigne de son importance en tant que communauté et ressource nationale.

Je ne supervise plus l'emballage ni l'envoi de livres, mais j'espère de tout mon cœur que le projet continuera tel qu'il a été mis sur pied avant mon départ. Le premier voyage de deux amis a été un succès. D'autres expéditions, organisées sous nos auspices, ont acheminé de plus grandes cargaisons et des articles de meilleure qualité. Une fois, cependant, les livres-voyageurs ont été involontairement déviés de leur course. Ils ont passé des semaines à quai, dans des ports étrangers, et ont finalement repris leur route pour arriver à Mombasa avant d'entreprendre leur dernier voyage à destination de Nairobi. Leur arrivée est toujours attendue avec impatience. Ces amis de longue date continuent leur travail sans relâche, camarades au service d'une cause commune. Grâce aux livres, ils sont devenus les meilleurs amis.

 
Titulaire d'un doctorat en théologie à la Boston University Graduate School, Denise Hogan a été enseignante dans le supérieur, avant de se lancer dans le projet de bibliothèque au Kenya. En plus de ces activités, elle poursuit actuellement une carrière artistique.
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