Les politiques macroéconomiques, la mondialisation financière
et l'évolution des institutions du marché du travail
ont exacerbé les inégalités ces dernières
années, non seulement au niveau des revenus et des richesses,
mais aussi au niveau de l'accès à l'éducation,
à la santé, à la protection sociale, aussi
bien qu'en matière de participation politique et d'influence.
Même dans les pays qui connaissent une croissance économique
rapide, tout un ensemble de facteurs, exacerbés par des évolutions
démographiques extraordinaires, a abouti à la transmission
des inégalités de savoirs, de responsabilités
sociales et d'opportunités d'une génération
à une autre.
Comme le montre le Rapport sur la situation sociale dans le monde,
2005: la crise de l'inégalité, publié par le
Département des affaires économiques et sociales des
Nations Unies, peu de pays, riches ou pauvres, se sont révélés
à l'abri de la tendance mondiale de la monté des inégalités
ou de ses conséquences sur l'éducation, la santé
et le bien-être social. Il n'y a bien sûr aucune relation
de simple cause à effet qui lie la pauvreté et l'inégalité
à la violence. Mais les inégalités et un certain
sens de la privation contribuent au ressentiment et à l'instabilité
sociale, et menacent la sécurité. Exclus et n'ayant
que des perspectives d'avenir sombres, les jeunes, en particulier,
font souvent l'expérience d'une certaine anomie et se réfugient
dans des comportements antisociaux, et même violents. Pas
plus qu'il n'existe d'explication simple sur les causes de la pauvreté.
Il est clair, cependant, que la pauvreté vient de conditions
diverses et complexes, et que son amélioration requiert une
approche multidimensionnelle. Il est difficile d'imaginer, par exemple,
comment " renvoyer la pauvreté dans les oubliettes de
l'histoire " sans générer également suffisamment
de travail, d'opportunités éducatives et de santé
pour tous.
Il est certain que le monde a été le témoin
de quelques progrès dans plusieurs domaines. L'accès
à l'éducation pour les filles s'est amélioré
et certaines différences dues au fossé entre les sexes
ont été réduites. Malgré le sida et
la résurgence du paludisme et de la tuberculose, l'espérance
de vie a augmenté presque partout dans le monde grâce
à l'amélioration des systèmes de santé
publique. Dans l'ensemble, cependant, le fossé des inégalités
reste profond et dans certains cas il est même en expansion.
Le déterminant le plus important en matière d'inégalité
des revenus aujourd'hui reste l'inégalité des richesses,
avec la concentration accrue de la propriété des biens
ces dernières années comme principal responsable d'une
plus grande inégalité de revenus dans la plupart des
pays. Entre temps, le chômage galopant, le fossé des
qualifications et de la productivité se creusant, ainsi que
la " dé-formalisation " et la " dé-méthodologie
" qui frappent les marchés de l'emploi ont exacerbé
les inégalités de revenus dans le monde entier, le
nombre de " travailleurs pauvres " et l'incidence de la
" croissance du nombre des sans travail " se sont accrus.
Les programmes de stabilisation et d'ajustement structurel, imposés
depuis les années 1980, n'ont pas rempli leurs promesses
de croissance économique plus élevée., mais
la croissance presque partout dans le monde au cours de ces vingt-cinq
dernières années s'est montrée plus faible
qu'au cours des vingt-cinq années précédentes,
malgré la croissance fulgurante de l'Asie de l'Est, de l'Inde
et de quelques autres pays. De telles différences de croissance
suggèrent que les inégalités mondiales dans
l'ensemble n'ont peut-être pas augmenté de manière
non équivoque. Mais les inégalités au plan
national se sont aggravées dans la plupart des pays ces dernières
années, en grande partie à cause de la libéralisation
économique aussi bien au niveau national qu'au niveau international.
En effet, dans de nombreuses régions du monde, ce genre
de réformes économiques a en fait sapé les
taux de croissance ainsi que le rôle initiateur des gouvernements,
tout en augmentant par ailleurs les inégalités générales.
Les rares exceptions sont généralement dues aux interventions
mesurées ou persévérantes de certains gouvernements.
L'impact cumulatif de ces réformes au cours des 25 dernières
années a produit une plus grande inégalité
dans la plupart des pays développés et en développement,
avec l'augmentation du chômage, de plus grandes disparités
de revenus, la réduction des protections sociales et la dégradation
de l'environnement.
La libéralisation du secteur financier international, par
exemple, a sapé l'utilisation de subventions de développement
plus inclusives et mieux ciblées pour promouvoir les activités
économiques. En outre, la libéralisation financière
a en fait résulté en des mouvements de capital net
allant de ceux qui en disposaient le moins vers ceux qui en disposaient
le plus à long terme, tout en augmentant la volatilité
financière et en affaiblissant les activités économiques.
Entre temps, les négociations sur la libéralisation
des échanges ont semblé ignorer les tendances historiques.
Comme l'avait démontré sir Hans Singer (voir page
52) quand il travaillait pour les Nations Unies, les conditions
des échanges commerciaux internationaux des pays en développement
se sont dégradées : le prix des produits de base ont
décliné par rapport aux produits manufacturés,
tout comme les prix des produits agricoles tropicaux par rapport
aux prix des produits agricoles issus de pays tempérés,
et les prix des produits génériques sont tombés
en conséquence de la production protégée par
les lois sur la propriété intellectuelle.
De ce fait, la libéralisation du commerce des produits manufacturés
a entraîné une désindustrialisation et une forte
augmentation du chômage dans la plupart des régions
du monde, comme le montre le cas des textiles cette année.
Et, tandis que la libéralisation du commerce agricole pourrait
améliorer les revenus à l'exportation de certains
pays pauvres, les principaux bénéficiaires ne seront
autre que les exportateurs agricoles les plus riches. Les pays qui
importent les produits actuellement subventionnés souffriront.
Le " désengagement de l'État " auquel assiste
une grande partie des pays développés dernièrement
a généralement impliqué la réduction
du rôle de l'État, notamment dans sa capacité
à diriger et à soutenir le développement, ainsi
que de ses interventions sociales dans les domaines de l'éducation
publique, la santé, le logement et les services publics.
Si le monde ne se concentre pas sur des politiques économiques
à même de traiter l'impact négatif des inégalités
économiques sur la réduction de la croissance et de
la pauvreté, les pauvres et les privilégiés
continueront de vivre dans des mondes séparés.
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