Chronique ONU

Hommage à Sir Hans Singer

Par John Shaw

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L'article

Hans Singer, qui est décédé le 26 février 2006 à l'âge de 95 ans, a été l'un des premiers analystes les plus connus et les plus respectés à examiner les défis auxquels font face les pays en développement. Sa carrière a couvert plus de sept décennies, ses travaux ont été reconnus par des doctorats honorifiques et il a reçu le titre de chevalier en 1994 " pour services rendus dans le domaine des questions économiques ".

Dans un livre publié en 1984 par la Banque mondiale, il figurait parmi les dix " pionniers du développement ". Il a reçu en 1994/1995 le prix Alan Feinstein pour la lutte mondiale contre la faim, pour la recherche et l'éducation, le prix Food for Life en 2001 et, en 2004, un prix pour ses réalisations au cours de sa vie décerné par l'Association des études de développement du Royaume-Uni. Six festschriften ont été écrits en son honneur, ce qui montre l'importance et l'étendue de son influence dans les études consacrées au développement ainsi que l'estime et l'affection dont il a été l'objet. Il a produit 450 publications, sous forme de livres, de rapports et d'articles, dont la liste figure dans sa biographie*.

Hans Singer est né en 1910 dans une famille juive allemande de classe moyenne, très assimilée, en grande partie laïque, dans une ville qui s'appelle aujourd'hui Wuppertal, en Rhénanie du Nord. Sa renommée mondiale en tant qu'économiste spécialiste du développement est un " effet du hasard ". Il est entré à l'université de Bonn avec l'intention d'étudier la médecine - son père était médecin -, mais a changé en cours de route, choisissant l'économie après avoir assisté à une conférence de l'économiste renommé de l'école autrichienne, Joseph Schumpeter, vouant à l'auteur et à son chef-d'œuvre The Theory of Economic Development (1912) une admiration sans bornes. Sa carrière prometteuse en Allemagne a été interrompue quand Hitler a pris le pouvoir. Il a dû fuir et s'est réfugié en Angleterre.

Après avoir obtenu un doctorat en économie en 1936 à l'université de Cambridge, son premier emploi fut une étude de deux ans sur le chômage à long terme dans les régions déprimées de l'Angleterre. Faisant partie d'une équipe réduite, il a vécu avec les pauvres et a produit un rapport, Men Without Work (1936). Il a continué d'écrire, notamment une série de douze articles sur l'économie de guerre allemande pour The Economic Journal (1940-1944), à la demande de John Maynard Keynes, qui était co-rédacteur de la revue.

En 1947, sa carrière a pris un nouveau tournant, encore sous l'effet du hasard, mais cette fois avec une dimension internationale. David Owen, avec qui il avait travaillé sur l'étude Pilgrim Trust, ayant été nommé chef du Département des affaires économiques de l'ONU, a fait appel à lui pour renforcer son nouveau département. Pendant les années passées à l'ONU, Hans Singer a participé à de nombreuses études et à de nombreux projets et a fait de nombreux voyages dans les pays en développement. Il s'est rapidement imposé avec une étude historique sur les termes de l'échange des pays en développement, ce pour quoi il est probablement le plus connu. Contrairement au point de vue des économistes conventionnels de l'époque, il a montré que les termes de l'échange des pays exportateurs de matières premières se détérioraient depuis de nombreuses années. Il voulait que ses travaux soient plus qu'une projection, plutôt un guide de politiques où il conseillait aux pays en développement de diversifier leurs exportations. Sa thèse demeure l'une des rares thèses en économie qui a résisté à l'épreuve du temps.

Il a joué un rôle actif, souvent essentiel, dans l'établissement du Fonds des Nations Unies pour le développement économique, un long feuilleton de dix ans (1949-1959) qui a conduit à la création de l'Association internationale de développement, filiale de la Banque mondiale qui octroie des prêts à des conditions de faveur aux pays pauvres; l'établissement d'un Fonds spécial de l'ONU et d'un programme d'assistance technique de l'ONU, qui ont été regroupés pour former le Fonds des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 1965; le changement d'orientation du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), qui était initialement un fonds d'urgence et qui est devenu une institution de développement pour les enfants; la naissance du Programme alimentaire mondial (PAM); la création de l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI); la création de l'Institut de recherche de l'ONU pour le développement social (UNRISD); les travaux initiaux de la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique (CEA); et la fondation de la Banque africaine de développement. Après plus de deux décennies aux Nations Unies, David Owen parle de Hans Singer en ces termes : " Hans est un être remarquable, un économiste de réputation mondiale, un concepteur d'une productivité prodigieuse, une source inépuisable d'idées stimulantes pour presque toutes les occasions […] et la preuve qu'un fonctionnaire civil international peut jouer un rôle créatif dans la tâche immense qui consiste à changer les politiques des nations. "

Hans Singer a travaillé aux Nations Unies pendant 22 ans et, à sa retraite, à l'âge de 59 ans, il a été nommé professeur associé à l'Institut d'études du développement et professeur d'économie à l'université de Sussex. Il débutait alors sa troisième carrière en tant que chercheur, enseignant, consultant auprès de gouvernements, d'organisations d'aide et d'ONG, conférencier, relecteur et correspondant pour des journaux, des revues et des universités partout dans le monde. Il a été le coauteur et le corédacteur d'au moins 30 ouvrages et de près de 300 publications portant sur un large éventail de sujets liés au développement économique et aux problèmes des pays en développement. En même temps, il a continué de se montrer très critique envers les institutions de Bretton Woods, a écrit avec passion sur la réforme et la revitalisation de l'ONU et a préconisé une utilisation efficace de l'aide ainsi que la résolution du problème et du service de la dette. La diversité des travaux qui lui ont été confiés lui a permis de voir, de première main, les réalités de pays en développement et de discuter avec leurs dirigeants et leurs planificateurs de leurs problèmes de développement et de leurs aspirations. Cette expérience pratique lui a permis de définir son propre cadre intellectuel conceptuel et théorique pour l'opposer à l'expérience de la réalité concrète. Il a également été capable de voir les dimensions politiques nationales et internationales ainsi que l'environnement au sein desquels les questions de développement étaient discutées et résolues.

Ce milieu a révélé chez lui le théoricien et le pragmatiste. Activiste économique, il cherchait des solutions aux problèmes du tiers-monde. Il n'avait pas peur de délaisser les hautes sphères de la théorie économique du développement et d'utiliser des métaphores, de retrousser ses manches et de se lancer dans l'arène de la politique et de l'action publiques. Ce qu'il recherchait, c'était d'appliquer la théorie adéquate pour élaborer des politiques et des instruments sûrs et efficaces. Il a dit : " On a essayé de regarder le monde du point de vue des opprimés - du récipiendaire, de la victime. Cela donne un aperçu de ce monde que ne peuvent voir ceux qui le regardent d'en haut. "

Un certain nombre de thèmes communs sont omniprésents dans son immense production, qui reflètent ses points de vue sur le développement. Pour lui, le développement n'est pas simplement une question de croissance économique, c'est la croissance accompagnée de changements structurels, sociaux et économiques, en termes quantitatifs et quantitatifs. Les personnes, pas l'argent ni la richesse, devraient être le point de départ. Pour lui, le développement durable et équitable ne dépend pas de la création de la richesse mais de la capacité des personnes à créer de la richesse. D'où son insistance sur l'importance du facteur humain dans le développement économique, puis de l'éducation et de la formation, de la science et de la technologie, de l'emploi, de la distribution des revenus et de la conquête de la pauvreté, du bien-être des enfants, de la planification et des institutions saines - tous ces domaines considérés dans un contexte international dans lequel le commerce et l'aide sont effectuées équitablement et efficacement pour que tous les pays, en développement et développés, puissent prospérer et converger.

Son engagement à la cause d'un ordre international plus équitable est resté inassouvi, et sa volonté de nourrir son idéal par la force de l'argument et par l'exemple personnel continue de nous inspirer le respect, l'admiration et la gratitude. Les économistes du développement présents et futurs feraient bien de suivre son exemple.


Note
* Shaw, D. John. Sir Hans Singer. The Life and Work of a Development Economist. Basingstoke and New York: Palgrave Macmillan, 2002; New Delhi: BRPC (Inde) Ltd, 2004.


Biographie
John Shaw a travaillé au Programme alimentaire mondial pendant plus de trente ans. Au cours des dernières années, il a été conseiller économique et chef du Service des affaires politiques et a écrit The UN World Food Programme and the Development of Food Aid. Il a également été consultant auprès de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, de la Banque mondiale et du Secrétariat du Commonwealth. Il a travaillé avec Hans Singer pendant plus de quarante ans et a écrit sa biographie.
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