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Extrait du discours prononcé par le Secrétaire général
des Nations Unies, Kofi Annan, à l'Académie de médecine
de New York, le 9 mai 2006, intitulée " La santé
mondiale : défis, capacité
et responsabilité ".
Les Nations Unies et les organismes des Nations unies savent que
la santé se trouve au cur de l'uvre qu'ils mènent
pour le développement et la sécurité dans le
monde.
Depuis l'époque où votre institution a été
créée, l'espérance de vie dans ce pays a littéralement
doublé, grâce surtout à la maîtrise des
maladies infectieuses. Mais, si certaines avancées sont sans
commune mesure avec ce que nous aurions pu imaginer, il y a quelques
dizaines d'années, certains problèmes le sont aussi.
Cette constatation, vous avez pu la faire vous-mêmes dans
le cadre de votre mission, en particulier dans les milieux urbains
défavorisés. Les questions que vous étudiez,
qu'il s'agisse des disparités dans le domaine de la santé,
du VIH/sida ou de l'accès aux soins, sont les mêmes
que celles dont nous nous occupons, à une autre échelle.
À l'heure actuelle, plus de la moitié de l'humanité,
soit plus de 3 milliards d'êtres humains, vivent en ville.
Près d'un milliard d'entre eux, soit une personne sur six,
habitent des taudis où il n'y a ni logements dignes de ce
nom, ni services de base. On pense que ce chiffre passera à
2 milliards au cours des 25 prochaines années. Comme la pauvreté
s'urbanise de plus en plus, ce sont les pays les plus pauvres qui
s'en ressentiront le plus. La pauvreté urbaine crée
à son tour un terrain propice aux maladies et autres problèmes
de santé. Des millions de personnes sont sans abri. Les plus
vulnérables, dont les femmes et les enfants, sont les premières
victimes de la violence, de la criminalité, du surpeuplement,
et de tous les dangers que posent, pour la santé, les conditions
de vie inhumaines caractéristiques des villes en expansion
rapide. C'est dans ce funeste univers urbain que les épidémies
font le plus de ravages, qu'il s'agisse du paludisme, de la tuberculose
ou du sida, les plus meurtrières des maladies de notre temps.
Au moins 300 millions de cas graves de paludisme se déclarent
chaque année, et plus d'un million de personnes en meurent.
Neuf sur dix de ces personnes sont des Africains, et pour la plupart
ce sont de jeunes enfants. Le paludisme est la première cause
de mortalité des moins de 5 ans en Afrique. Il compte pour
40 % des dépenses de santé publique d'un continent
qui a bien besoin de toutes ses ressources.
La tuberculose emporte 5 000 personnes chaque jour. Elle en tue
plus d'un million et demi par an, et plus de 8 millions de cas nouveaux
sont détectés chaque année. L'Afrique est le
seul continent où le nombre de cas continue d'augmenter.
La tuberculose ne sera pas vaincue tant que la lutte contre le
sida, qui met tant de gens à sa merci, ne sera pas plus efficace.
Le sida a tué près de trois millions de personnes
[en 2005]. Il touche de plus en plus de femmes et de jeunes, désormais
majoritaires parmi les victimes. Une fois encore, c'est surtout
en Afrique qu'il frappe, mais il représente probablement
l'épidémie la plus vaste et la plus meurtrière
que le monde ait jamais connue. Comme il tue surtout les adultes,
il aggrave la pauvreté, fait des millions d'orphelins et
entraîne une détérioration continue des services
publics. Il n'est donc pas qu'un puissant frein au développement,
mais aussi une menace pour la stabilité et la sécurité.
Ce qui s'est passé ces dernières années a forcé
les gouvernements du monde entier à reconnaître que
les problèmes de santé sont de dimension mondiale
et ne s'arrêtent pas aux frontières. Aucun pays n'est
à l'abri.
En 2003, sur une période de trois mois, le SRAS a infecté
plus de 8 000 personnes dans 30 pays, et ne s'est pas moins joué
des systèmes de santé perfectionnés des pays
développés que de ceux des pays en développement.
Au cours de l'année écoulée, à cause
de la grippe aviaire, il a fallu abattre des millions d'animaux
sur trois continents, les experts craignant que le virus ne mute
et ne déclenche une pandémie de grippe humaine. Celle
de 1918 avait tué 50 millions de personnes, et cela bien
avant l'ère des voyages aériens.
La libération accidentelle ou délibérée
d'agents biologiques mortels pourrait avoir des conséquences
aussi graves, voire plus, et le risque ne fera que croître
puisque la biotechnologie continue à évoluer plus
vite que nous ne mettons en place les garde-fous et les règlements
nécessaires. Toutes ces menaces qui pèsent sur notre
sécurité biologique sont liées entre elles.
Nous n'avons d'autre choix que de les prendre toutes en compte.
Nous devons arrêter de faire dans le domaine de la santé
l'équivalent de ce que serait le maintien de la paix sans
la consolidation de la paix : une intervention indispensable dictée
par les meilleurs sentiments, mais probablement sans effets durables.
Ce que nous devons faire, c'est agir en même temps sur plusieurs
fronts prioritaires.
Premièrement, nous devons faire un sort à l'idée
que les problèmes de santé publique ne sont que des
questions de santé publique. Les problèmes graves
tels que le sida, la mortalité infantile et le risque de
déclenchement d'une pandémie de grippe sont aussi
des questions de développement, et parfois de sécurité.
Des mesures doivent donc être prises aux échelons les
plus élevés du gouvernement, de la société
civile, et du monde des affaires et de la finance. Le mode de pensée
bureaucratique selon lequel nous avons toujours fonctionné
doit être abandonné, pour que les divers ministères
et départements puissent, ensemble, adopter une démarche
globale. Une telle démarche a déjà été
adoptée en ce qui concerne le sida. Après un démarrage
d'une lenteur tragique, une action s'est mise en marche au niveau
adéquat : Conseil de sécurité de l'ONU, Assemblée
générale des Nations unies, Organisation mondiale
du commerce, Union africaine et G-8 notamment. De nombreux chefs
d'Etat et de gouvernement ont personnellement pris la tête
du programme de leur pays. Il fallait tout cela pour qu'existe enfin
une chance d'enrayer la pandémie.
Deuxièmement, nous devons consacrer davantage de ressources
aux dispositifs de surveillance et de lutte. L'année dernière,
l'Assemblée mondiale de la santé a adopté deux
nouveaux règlements sanitaires internationaux nécessaires
au renforcement des efforts mondiaux de maîtrise des épidémies.
Il faut que les gouvernements consacrent plus d'attention et plus
de fonds au développement des moyens locaux et nationaux
de détection et d'intervention rapides. Il faut aussi que
les donateurs apportent leur aide et leur coopération aux
pays en développement.
Troisièmement, nous devons partir du principe que la santé
publique ne dépend pas que des techniques et interventions
médicales. Elle dépend tout autant de facteurs tels
que l'autonomisation des femmes, les droits de l'homme, l'éducation,
l'état de l'environnement et la qualité des emplois.
C'est sur ce principe que reposent les Objectifs du Millénaire
pour le développement (OMD).
Quatrièmement - et c'est extrêmement important - nous
devons faire des efforts sérieux pour que des systèmes
de santé auxquels tous les gens aient accès soient
mis en place dans les pays en développement. Pour cela, il
faudra absolument trouver le moyen de remédier à la
grave pénurie de personnel de santé. Dans de nombreuses
parties du monde, la pénurie de personnel de santé
a atteint des proportions catastrophiques. Partout dans le monde
en développement, le personnel de santé doit composer
avec des difficultés économiques, une infrastructure
qui se détériore, et des troubles sociaux. Il se pose
toutes sortes de difficultés complexes touchant aux conditions
de travail, à la rémunération, à la
formation, et à l'exode des spécialistes et du personnel
hautement qualifié vers des pays plus riches. Le sida a frappé
très durement le personnel de santé, à la fois
directement et indirectement.
Rien qu'en Afrique, il faudrait 1 million d'agents sanitaires supplémentaires
pour atteindre le minimum nécessaire à la réalisation
des objectifs du Millénaire. À défaut, les
enfants ne seront pas vaccinés, les maladies contagieuses
se répandront comme des traînées de poudre,
les maladies curables ne seront pas soignées, les femmes
continueront de mourir en couches. Et nous n'aurons pas le dessus
sur le sida, la tuberculose et le paludisme. Pour que ce problème
de capacités puisse être réglé, il va
falloir créer des partenariats et mettre en place des mécanismes
de coopération dans tous les secteurs. Il va falloir aussi
créer des coalitions nationales et internationales pour l'adoption
et la mise en uvre de plans nationaux d'intervention d'urgence
dans le domaine de la santé, afin de mobiliser les compétences
techniques, la créativité et l'appui politique indispensables.
Il va falloir s'attaquer plus directement à la pénurie
de main d'uvre en envisageant de nouvelles politiques de gestion
des ressources humaines qui incitent les agents sanitaires à
rester sur place et répondent à leurs besoins tout
au long de leur carrière. Il va falloir enfin trouver des
moyens financiers importants pour former et rémunérer
de nouveaux agents. Nous devons tirer parti du potentiel immense
que possèdent les pays en développement pour créer
une main-d'uvre capable de répondre aux besoins courants
des populations, ainsi que de faire face aux maladies les plus meurtrières
de notre temps. Il faut donc que s'opère dans le monde en
développement la transformation qui s'est opérée
ici au début du siècle dernier, grâce à
laquelle d'un assortiment de praticiens non professionnels est né
un corps de spécialistes de la médecine scientifique.
Beaucoup de pays développés commencent à comprendre
qu'en matière de santé, tous les pays sont interdépendants.
Sachant cela, ils pourraient, dans l'intérêt de tous,
investir beaucoup plus dans la mise en valeur des ressources humaines
des pays en développement. Ils pourraient aussi alimenter
plus généreusement le Fonds mondial de lutte contre
le sida, la tuberculose et le paludisme qui en quelques années
seulement est devenu une des principales sources de financement
des programmes de lutte contre ces maladies. Ils pourraient soutenir
plus énergiquement le travail d'ONUSIDA, programme au sein
duquel 10 entités du système des Nations unies conjuguent
leurs efforts et leurs moyens pour vaincre le sida. Ils pourraient
investir dans le Programme de lutte contre le paludisme de l'Organisation
mondiale de la santé, ainsi que dans des programmes nationaux.
Ils pourraient contribuer à l'application des recommandations
figurant dans le plan mondial "Halte à la tuberculose",
lancé cette année par l'OMS. Si ce plan est intégralement
mis en uvre, 14 millions de vies pourraient être sauvées
au cours des 10 prochaines années. Mais il faut pour cela
que chacun y mette du sien. Ils pourraient enfin s'acquitter de
leur part la responsabilité collective que nous avons de
veiller à ce que tous les pays, riches et pauvres, soient
protégés et prêts à réagir en
cas de pandémie de grippe. Votre pays est un partenaire important
et un donateur généreux dans tous ces domaines. Nous
ne gagnerons pas le combat pour la santé sans son apport.
Les organisations telles que la vôtre peuvent jouer un rôle
déterminant en faisant le travail de sensibilisation et de
surveillance nécessaire pour que cet apport continue d'être
fourni. Je vous remercie de votre attachement à la santé
des hommes du monde entier. Puissent beaucoup d'autres suivre votre
exemple.
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