Chronique ONU
LES FEMMES ET LE SIDA EN AFRIQUE DU SUD
D'un passé conflictuel à un présent difficile

Par Alexandra Suich
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L'article

Il y a dix ans, quand Prudence Mabele a appris qu'elle était séropositive, on lui a dit d'abandonner ses études. Elle préparait un diplôme de chimie analytique à une époque où le VIH n'était ni compris ni accepté en Afrique du Sud. " Il y avait beaucoup de problèmes alors ", a-t-elle indiqué. " On savait très peu de choses sur le sida, on m'a donc dit d'arrêter mes activités parce que j'allais infecter les enseignants et les étudiants. On pensait que si j'étais au laboratoire, j'infecterais les autres. "
Prudence Mabele (à droite), responsable du Positive Women's Network, donne à Pfizer des badges VIH à Johannesburg, en Afrique du Sud PHOTO/POSITIVE WOMAN'S NETWORK

Dans une décennie où peu d'informations étaient disponibles sur la transmission du VIH, de nombreuses opportunités se présentaient pour exercer un leadership proactif. Avec 59 autres femmes séropositives, elle a créé le Positif Women's Network (PWN), qui compte actuellement 2 000 membres en Afrique du Sud. Dans ce forum, les femmes ont commencé à aborder des questions qui les touchaient directement, par exemple, comment discuter de leur séropositivité avec leur époux ou comment faire face à la stigmatisation. Elles se sont formées à des activités, comme le tissage, qui peuvent les aider à générer des revenus. En d'autres termes, devant le refus ou l'incapacité de leur famille ou de leur communauté à leur fournir un soutien, les Sud-Africaines ont appris à se prendre en charge et à s'entraider. En Afrique du Sud, le sida a infecté et touché de manière disproportionnée les femmes, qui sont la majorité des participantes dans les organisations communautaires et les activités de soins pour les malades ainsi que la majorité des personnes infectées par le VIH/sida dans le pays. En mai 2006, le Programme commun des Nations Unies pour le VIH/sida a publié le Rapport 2006 sur l'épidémie de sida dans le monde, indiquant que les femmes paient le plus lourd tribut à l'épidémie : 58 % des séropositifs sont des femmes, 3,1 millions sur les 5,5 millions de personnes infectées sont des adultes âgées de 15 ans et plus. Une étude réalisée par le ministère de la Santé sud-africain a révélé que près d'une femme enceinte sur trois qui avait fréquenté des services de soins prénatals était séropositive. Selon ONUSIDA, l'Afrique du Sud est le pays qui compte le plus grand nombre de femmes infectées dans le monde, presque deux fois plus qu'en Inde et trois fois plus qu'au Zimbabwe, un pays voisin.

Les taux d'infection chez les femmes sont en hausse dans le monde entier. Alors qu'en 1985 il était, d'après les estimations d'ONUSIDA, pratiquement égal chez les hommes et chez les femmes en Afrique subsaharienne, 59 % des adultes vivant avec le VIH sont des femmes1, tandis que parmi les jeunes l'écart entre les sexes est encore plus marqué. Les jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans ont trois fois plus de chances d'être infectées que les hommes du même groupe d'âge. Devant les changements démographiques, ou la féminisation du sida, le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a déclaré que le sida avait " le visage d'une femme " et l'Envoyé spécial de l'ONU pour le VIH/sida en Afrique, Stephen Lewis, a qualifié la perte des jeunes femmes en Afrique subsaharienne de " pandémie dans une pandémie ".

Des femmes africaines assistent à un cours de sensibilisation sur le VIH ONUSIDA/AVECC/H. Vincent

Alors qu'un grand nombre de femmes s'entraident et agissent pour empêcher la propagation de la maladie, elles doivent se battre sur deux fronts : les facteurs biologiques et les normes sociales ancrées. Pendant les rapports sexuels, les femmes ont plus de chances d'être infectées que les hommes, ces derniers ayant une charge virale plus élevée ou une concentration du VIH plus élevée dans le sperme par rapport à la quantité renfermée dans le fluide vaginal2. Mais la biologie n'explique pas tout, car la proportion de femmes infectées par le VIH varie beaucoup selon les pays et les cultures.

Dans les pays où l'inégalité entre les sexes est marquée, les femmes sont particulièrement exposées. L'un des échecs de la prévention vient du fait qu'on ne leur a pas donné les moyens de se protéger. Le préservatif masculin n'est pas une option réaliste pour celles qui vivent dans des pays où les familles et les communautés sont patriarcales, comme en Afrique du Sud. C'est également une question particulièrement litigieuse, surtout pour les couples mariés, les femmes ayant un pouvoir limité et n'étant pas en position de force pour négocier. Malgré ses limites évidentes, il n'existe aucune alternative pour elles. Les microbicides, un gel transparent qu'une femme peut utiliser avant d'avoir des rapports sexuels, sont actuellement en cours d'essais cliniques et n'ont pas été distribués, et les préservatifs féminins ne sont pas disponibles dans les dispensaires.

La transmission du VIH est également liée à l'éducation et au statut économique. En Afrique du Sud, la situation est différente des autres pays de la région car le taux de scolarisation des filles est supérieur à celui des garçons dans le primaire, dans le secondaire ainsi que dans l'enseignement supérieur. Malgré ces statistiques, les filles font face à un environnement scolaire défavorable. On a signalé à plusieurs reprises le cas de filles forcées d'avoir des rapports sexuels avec leur professeur parce qu'elles étaient en retard ou en échange de nourriture pour le déjeuner. Cet environnement augmente non seulement les taux d'infection parmi les jeunes mais diminue aussi le sentiment d'autonomisation des filles.

La pauvreté augmente également le taux d'incidence du VIH. En Afrique du Sud, les salaires des femmes sont inférieurs de 70 % à ceux des hommes, ce qui les empêche d'atteindre une autonomie financière. Avec 60 % des foyers dirigés par une femme contre 31 % par un homme au-dessous du seuil de pauvreté, les taux de pauvreté sont beaucoup plus élevés parmi les femmes. Vulnérables, celles-ci sont souvent contraintes à avoir des rapports sexuels qu'elles n'auraient pas eus autrement, ce qui renforce le droit des hommes à être polygames. De plus, la migration des hommes vers les villes pour travailler dans des mines ou dans d'autres emplois a exacerbé la situation du VIH/sida en Afrique du Sud. Séparés de leurs épouses, les hommes fréquentent d'autres femmes qui ne savent rien de leur style de vie, faisant courir des risques à leurs propres femmes.

Alors que l'accès de tous aux médicaments s'est étendu aux régions et aux patients les plus pauvres, l'augmentation du nombre de dispensaires n'a pas réussi à venir à bout de l'une des caractéristiques du sida les plus destructrices : la stigmatisation. Nous savons que des femmes ayant reçu un traitement antirétroviral ont écrasé les médicaments et les ont cachés sous leur lit pour ne pas être identifiées. Une étude réalisée en 2002 a montré qu'en divulguant son état, une personne sur dix a rencontré une attitude hostile. " Par exemple, cette femme qui a dit à son mari qu'elle était séropositive. Celui-ci lui a versé de l'eau bouillante sur le visage, et même sur l'enfant ", a commenté Elizabeth Gordon du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en Afrique du Sud.

Si la stigmatisation liée au sida est une réalité dans de nombreux pays africains, elle est particulièrement virulente en Afrique du Sud en raison du silence qui entoure la maladie. Tandis que des pays africains, comme la République unie de Tanzanie, ont pris immédiatement des mesures quand ils ont été frappés par l'épidémie, le gouvernement sud-africain semble encore hésiter à en reconnaître les dégâts. Le Président Thabo Mbeki a remis en question le lien de causalité VIH et sida. " Est-ce que le VIH cause le sida ? Comment ? Certes, le VIH y contribue, mais pas seulement ", a-t-il dit au Parlement en 2000, indiquant la pauvreté et la malnutrition. Le Ministre de la santé a suivi l'exemple du Président, préconisant publiquement le recours aux vitamines plutôt qu'au traitement antirétroviral.

Le récent procès de l'ancien Vice-Président Jacob Zuma, poursuivi pour viol au début 2006, a porté préjudice à la prévention du VIH et aux droits des femmes. Lors de son témoignage, il a admis avoir eu des rapports sexuels non protégés avec une femme séropositive, mais a maintenu qu'il avait ensuite pris une douche éliminant, selon lui, le risque de transmission. Son acquittement souligne l'inégalité des sexes dans un pays où on estime qu'une femme est violée toutes les 17 secondes. La violence envers les femmes est l'une des raisons pour lesquelles le taux d'incidence parmi ce groupe vulnérable a atteint son point culminant en Afrique du Sud.

Les femmes qui ne sont pas nécessairement infectées paient aussi un lourd tribut à la maladie. En raison des rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes, ce sont elles qui soignent les malades - une tâche très prenante et très éprouvante. Alors que le sida progresse, les membres de la famille sont généralement cloués au lit, nécessitant une supervision et des soins constants pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires. À la mort de leurs parents, les enfants sont livrés à eux-mêmes - un phénomène qui est devenu une pandémie en soi. Rien qu'en Afrique du Sud, il y a 1,1 million d'orphelins du sida et d'ici à 2010 leur nombre devrait atteindre environ 3 millions. Une fois de plus, ce sont les femmes qui paient le tribut : plus de 60 % de ces orphelins sont pris en charge par leur grand-mère3. Des efforts ont été menés pour aider celles-ci à élever les orphelins qu'elles ont recueillis. Par exemple, le programme " Gogo Grannies ", à Alexandra, une township à la périphérie de Johannesburg, leur donne un bout de terrain et des semences pour cultiver et vendre leurs produits.

Nombre d'organisations d'Afrique du Sud ont reconnu la vulnérabilité des femmes au VIH/sida et ont cherché à intégrer les intérêts des femmes et les moyens de subsistance dans leurs programmes. L'ONU a joué un rôle particulièrement actif dans l'intégration des questions relatives aux femmes dans ses programmes pour le VIH/sida en Afrique du Sud. Il faut toutefois veiller à ne pas développer des projets sexospécifiques au détriment des autres. Love Life, une des campagnes les plus actives dans le pays visant à promouvoir des messages positifs aux jeunes concernant la sexualité, ne cible pas seulement les populations les plus vulnérables. " Nous ciblons tant les hommes que les femmes ", a déclaré la Vice-présidente adjointe, Grace Mathlhape.

" Même quand vous abordez la question de la vulnérabilité des femmes [au VIH], il faut inclure les hommes sinon, vous aurez des résultats limités. "


Notes

1 www.unifem.org/gender_issues/hiv_aids/ et
www.unaids.org/en/HIV_data/2006/GlobalReport/

2 www.genderlinks.org.za/

3 Steinberg M. Johnson S et al (2002), " Hitting home: how households cope with the HIV/AIDS epidemic " Henry J. Kaiser Foundation and Health Systems Trust, www.avert.org/aidssouthafrica.htm

 

Biographie
Alexandra Suich a travaillé avec plusieurs organisations, dont le PNUD en Afrique du Sud, Pathfinder International au Kenya, le Fonds de développement de l'ONU pour les femmes à New York, le Global Exchange à San Francisco et l'Organisation nationale pour les femmes à Washington. Elle fait des études d'histoire et d'études africaines à l'université de Yale.
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