Il y a dix ans, quand Prudence Mabele a appris qu'elle était
séropositive, on lui a dit d'abandonner ses études.
Elle préparait un diplôme de chimie analytique à
une époque où le VIH n'était ni compris ni
accepté en Afrique du Sud. " Il y avait beaucoup de
problèmes alors ", a-t-elle indiqué. " On
savait très peu de choses sur le sida, on m'a donc dit d'arrêter
mes activités parce que j'allais infecter les enseignants
et les étudiants. On pensait que si j'étais au laboratoire,
j'infecterais les autres. "
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Prudence Mabele
(à droite), responsable du Positive Women's Network,
donne à Pfizer des badges VIH à Johannesburg,
en Afrique du Sud PHOTO/POSITIVE WOMAN'S NETWORK |
Dans une décennie où peu d'informations étaient
disponibles sur la transmission du VIH, de nombreuses opportunités
se présentaient pour exercer un leadership proactif. Avec
59 autres femmes séropositives, elle a créé
le Positif Women's Network (PWN), qui compte actuellement 2 000
membres en Afrique du Sud. Dans ce forum, les femmes ont commencé
à aborder des questions qui les touchaient directement, par
exemple, comment discuter de leur séropositivité avec
leur époux ou comment faire face à la stigmatisation.
Elles se sont formées à des activités, comme
le tissage, qui peuvent les aider à générer
des revenus. En d'autres termes, devant le refus ou l'incapacité
de leur famille ou de leur communauté à leur fournir
un soutien, les Sud-Africaines ont appris à se prendre en
charge et à s'entraider. En Afrique du Sud, le sida a infecté
et touché de manière disproportionnée les femmes,
qui sont la majorité des participantes dans les organisations
communautaires et les activités de soins pour les malades
ainsi que la majorité des personnes infectées par
le VIH/sida dans le pays. En mai 2006, le Programme commun des Nations
Unies pour le VIH/sida a publié le Rapport 2006 sur l'épidémie
de sida dans le monde, indiquant que les femmes paient le plus lourd
tribut à l'épidémie : 58 % des séropositifs
sont des femmes, 3,1 millions sur les 5,5 millions de personnes
infectées sont des adultes âgées de 15 ans et
plus. Une étude réalisée par le ministère
de la Santé sud-africain a révélé que
près d'une femme enceinte sur trois qui avait fréquenté
des services de soins prénatals était séropositive.
Selon ONUSIDA, l'Afrique du Sud est le pays qui compte le plus grand
nombre de femmes infectées dans le monde, presque deux fois
plus qu'en Inde et trois fois plus qu'au Zimbabwe, un pays voisin.
Les taux d'infection chez les femmes sont en hausse dans le monde
entier. Alors qu'en 1985 il était, d'après les estimations
d'ONUSIDA, pratiquement égal chez les hommes et chez les
femmes en Afrique subsaharienne, 59 % des adultes vivant avec le
VIH sont des femmes1, tandis que parmi les jeunes l'écart
entre les sexes est encore plus marqué. Les jeunes femmes
âgées de 18 à 24 ans ont trois fois plus de
chances d'être infectées que les hommes du même
groupe d'âge. Devant les changements démographiques,
ou la féminisation du sida, le Secrétaire général
de l'ONU, Kofi Annan, a déclaré que le sida avait
" le visage d'une femme " et l'Envoyé spécial
de l'ONU pour le VIH/sida en Afrique, Stephen Lewis, a qualifié
la perte des jeunes femmes en Afrique subsaharienne de " pandémie
dans une pandémie ".
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Des femmes africaines
assistent à un cours de sensibilisation sur le VIH ONUSIDA/AVECC/H.
Vincent |
Alors qu'un grand nombre de femmes s'entraident et agissent pour
empêcher la propagation de la maladie, elles doivent se battre
sur deux fronts : les facteurs biologiques et les normes sociales
ancrées. Pendant les rapports sexuels, les femmes ont plus
de chances d'être infectées que les hommes, ces derniers
ayant une charge virale plus élevée ou une concentration
du VIH plus élevée dans le sperme par rapport à
la quantité renfermée dans le fluide vaginal2. Mais
la biologie n'explique pas tout, car la proportion de femmes infectées
par le VIH varie beaucoup selon les pays et les cultures.
Dans les pays où l'inégalité entre les sexes
est marquée, les femmes sont particulièrement exposées.
L'un des échecs de la prévention vient du fait qu'on
ne leur a pas donné les moyens de se protéger. Le
préservatif masculin n'est pas une option réaliste
pour celles qui vivent dans des pays où les familles et les
communautés sont patriarcales, comme en Afrique du Sud. C'est
également une question particulièrement litigieuse,
surtout pour les couples mariés, les femmes ayant un pouvoir
limité et n'étant pas en position de force pour négocier.
Malgré ses limites évidentes, il n'existe aucune alternative
pour elles. Les microbicides, un gel transparent qu'une femme peut
utiliser avant d'avoir des rapports sexuels, sont actuellement en
cours d'essais cliniques et n'ont pas été distribués,
et les préservatifs féminins ne sont pas disponibles
dans les dispensaires.
La transmission du VIH est également liée à
l'éducation et au statut économique. En Afrique du
Sud, la situation est différente des autres pays de la région
car le taux de scolarisation des filles est supérieur à
celui des garçons dans le primaire, dans le secondaire ainsi
que dans l'enseignement supérieur. Malgré ces statistiques,
les filles font face à un environnement scolaire défavorable.
On a signalé à plusieurs reprises le cas de filles
forcées d'avoir des rapports sexuels avec leur professeur
parce qu'elles étaient en retard ou en échange de
nourriture pour le déjeuner. Cet environnement augmente non
seulement les taux d'infection parmi les jeunes mais diminue aussi
le sentiment d'autonomisation des filles.
La pauvreté augmente également le taux d'incidence
du VIH. En Afrique du Sud, les salaires des femmes sont inférieurs
de 70 % à ceux des hommes, ce qui les empêche d'atteindre
une autonomie financière. Avec 60 % des foyers dirigés
par une femme contre 31 % par un homme au-dessous du seuil de pauvreté,
les taux de pauvreté sont beaucoup plus élevés
parmi les femmes. Vulnérables, celles-ci sont souvent contraintes
à avoir des rapports sexuels qu'elles n'auraient pas eus
autrement, ce qui renforce le droit des hommes à être
polygames. De plus, la migration des hommes vers les villes pour
travailler dans des mines ou dans d'autres emplois a exacerbé
la situation du VIH/sida en Afrique du Sud. Séparés
de leurs épouses, les hommes fréquentent d'autres
femmes qui ne savent rien de leur style de vie, faisant courir des
risques à leurs propres femmes.
Alors que l'accès de tous aux médicaments s'est étendu
aux régions et aux patients les plus pauvres, l'augmentation
du nombre de dispensaires n'a pas réussi à venir à
bout de l'une des caractéristiques du sida les plus destructrices
: la stigmatisation. Nous savons que des femmes ayant reçu
un traitement antirétroviral ont écrasé les
médicaments et les ont cachés sous leur lit pour ne
pas être identifiées. Une étude réalisée
en 2002 a montré qu'en divulguant son état, une personne
sur dix a rencontré une attitude hostile. " Par exemple,
cette femme qui a dit à son mari qu'elle était séropositive.
Celui-ci lui a versé de l'eau bouillante sur le visage, et
même sur l'enfant ", a commenté Elizabeth Gordon
du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)
en Afrique du Sud.
Si la stigmatisation liée au sida est une réalité
dans de nombreux pays africains, elle est particulièrement
virulente en Afrique du Sud en raison du silence qui entoure la
maladie. Tandis que des pays africains, comme la République
unie de Tanzanie, ont pris immédiatement des mesures quand
ils ont été frappés par l'épidémie,
le gouvernement sud-africain semble encore hésiter à
en reconnaître les dégâts. Le Président
Thabo Mbeki a remis en question le lien de causalité VIH
et sida. " Est-ce que le VIH cause le sida ? Comment ? Certes,
le VIH y contribue, mais pas seulement ", a-t-il dit au Parlement
en 2000, indiquant la pauvreté et la malnutrition. Le Ministre
de la santé a suivi l'exemple du Président, préconisant
publiquement le recours aux vitamines plutôt qu'au traitement
antirétroviral.
Le récent procès de l'ancien Vice-Président
Jacob Zuma, poursuivi pour viol au début 2006, a porté
préjudice à la prévention du VIH et aux droits
des femmes. Lors de son témoignage, il a admis avoir eu des
rapports sexuels non protégés avec une femme séropositive,
mais a maintenu qu'il avait ensuite pris une douche éliminant,
selon lui, le risque de transmission. Son acquittement souligne
l'inégalité des sexes dans un pays où on estime
qu'une femme est violée toutes les 17 secondes. La violence
envers les femmes est l'une des raisons pour lesquelles le taux
d'incidence parmi ce groupe vulnérable a atteint son point
culminant en Afrique du Sud.
Les femmes qui ne sont pas nécessairement infectées
paient aussi un lourd tribut à la maladie. En raison des
rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes,
ce sont elles qui soignent les malades - une tâche très
prenante et très éprouvante. Alors que le sida progresse,
les membres de la famille sont généralement cloués
au lit, nécessitant une supervision et des soins constants
pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires.
À la mort de leurs parents, les enfants sont livrés
à eux-mêmes - un phénomène qui est devenu
une pandémie en soi. Rien qu'en Afrique du Sud, il y a 1,1
million d'orphelins du sida et d'ici à 2010 leur nombre devrait
atteindre environ 3 millions. Une fois de plus, ce sont les femmes
qui paient le tribut : plus de 60 % de ces orphelins sont pris en
charge par leur grand-mère3. Des efforts ont été
menés pour aider celles-ci à élever les orphelins
qu'elles ont recueillis. Par exemple, le programme " Gogo Grannies
", à Alexandra, une township à la périphérie
de Johannesburg, leur donne un bout de terrain et des semences pour
cultiver et vendre leurs produits.
Nombre d'organisations d'Afrique du Sud ont reconnu la vulnérabilité
des femmes au VIH/sida et ont cherché à intégrer
les intérêts des femmes et les moyens de subsistance
dans leurs programmes. L'ONU a joué un rôle particulièrement
actif dans l'intégration des questions relatives aux femmes
dans ses programmes pour le VIH/sida en Afrique du Sud. Il faut
toutefois veiller à ne pas développer des projets
sexospécifiques au détriment des autres. Love Life,
une des campagnes les plus actives dans le pays visant à
promouvoir des messages positifs aux jeunes concernant la sexualité,
ne cible pas seulement les populations les plus vulnérables.
" Nous ciblons tant les hommes que les femmes ", a déclaré
la Vice-présidente adjointe, Grace Mathlhape.
" Même quand vous abordez la question de la vulnérabilité
des femmes [au VIH], il faut inclure les hommes sinon, vous aurez
des résultats limités. "
Notes
1 www.unifem.org/gender_issues/hiv_aids/ et
www.unaids.org/en/HIV_data/2006/GlobalReport/
2 www.genderlinks.org.za/
3 Steinberg M. Johnson S et al (2002), " Hitting home: how
households cope with the HIV/AIDS epidemic " Henry J. Kaiser
Foundation and Health Systems Trust, www.avert.org/aidssouthafrica.htm
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