Vingt-cinq ans après son apparition, le sida continue de
se propager plus vite que la riposte mondiale. Selon le Rapport
2006 sur l'épidémie mondiale du sida, publié
par le Programme des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), on
estime que 38,6 millions de personnes vivent actuellement avec le
sida. L'épidémie touche particulièrement les
femmes et les jeunes : en 2005, 59 % des personnes infectées
en Afrique subsaharienne étaient des femmes; le nombre de
jeunes femmes infectées, âgées de 15 à
24 ans, est trois fois plus élevé que celui des hommes.
Chaque jour, environ 6 000 à 7 000 personnes de ce groupe
contractent le virus.
Ce phénomène, qu'on désigne généralement
comme la féminisation du VIH/sida, peut être observé
partout dans le monde. Les jeunes sont également touchés
de manière disproportionnée et, malgré les
objectifs fixés à l'échelle mondiale pour renforcer
les efforts de prévention, les moyens mis en uvre pour
les protéger demeurent insuffisants. Il y a cependant des
signes d'espoir. Les taux d'infection ont été stables
dans plusieurs pays d'Afrique, mais avec 4,1 millions de nouveaux
cas par an, la partie est loin d'être gagnée. Le VIH/sida
a des répercussions particulièrement graves dans les
pays en développement où l'on enregistre 95 % des
nouveaux cas d'infection. Il faut de toute évidence mettre
au point un vaccin préventif, une substance qui permet au
système immunitaire de reconnaître et de se protéger
contre une maladie ou un autre agent infectieux.
Historiquement, les vaccins ont été particulièrement
efficaces et peu coûteux. L'introduction de celui contre la
variole, par exemple, a permis l'éradication totale de la
maladie. Ce sont également des outils de lutte contre la
pauvreté, car ils tendent à mieux toucher les populations
pauvres et défavorisées que les autres services de
santé.
Beaucoup se demandent s'il est possible de développer un
vaccin contre le sida. La réponse est oui. La plupart des
chercheurs pensent que la mise au point d'un vaccin préventif
est une entreprise difficile mais réalisable. Pratiquement,
le système immunitaire peut maîtriser le virus pendant
des années. Certaines personnes résistent cependant
à l'infection, comme ce groupe de travailleuses du sexe kenyanes
qui, malgré des expositions répétées
au virus, n'ont jamais été infectées. Pour
une raison ou pour une autre, leur système immunitaire est
capable de maîtriser l'infection. On a également découvert
que les vaccins contre le sida pouvaient protéger les singes
contre l'équivalent simien du VIH. Tous ces éléments
sont importants, même s'ils ne sont pas entièrement
compris. En conséquence, plus de 30 candidats vaccins font
actuellement l'objet d'essais cliniques sur quatre continents.
D'un autre côté, la mise au point d'un vaccin contre
le sida présente des défis immenses. Scientifiquement,
le virus de l'immunodéficience humaine a été
difficile à cerner. En fait, le VIH est l'un des virus les
plus compliqués jamais identifiés. Il attaque et détruit
le système immunitaire dont les réactions sont généralement
déclenchées par un vaccin. Il présente une
extrême variabilité génétique : des millions
de virus sont produits constamment et leur taux de mutation est
très élevé. Le système immunitaire fait
face à de nouvelles formes du virus qu'il est incapable de
reconnaître et de maîtriser.
En outre, les essais cliniques pour tester l'efficacité
d'un candidat vaccin contre le sida sont longs et coûteux.
Un vaccin est mis au point dans des laboratoires. Il est testé
initialement sur des animaux puis sur des êtres humains durant
trois phases avant d'être breveté (voir encadré
ci-dessous). En 2005, 13 nouveaux candidats vaccins ont été
testés dans neuf pays, notamment dans les pays en développement,
dont deux sont dans la phase II des essais. L'Inde, la Chine et
le Rwanda ont débuté leurs premiers essais en 2005
et l'Afrique du Sud est actuellement dans la phase II.
Contrairement à un mythe répandu, on ne peut pas
être infecté en étant vacciné contre
le VIH ou le sida. C'est tout simplement impossible car ces vaccins
ne contiennent pas le virus mais seulement des copies de petites
parties non infectieuses qui ne peuvent donc pas transmettre le
VIH. Par nature, les progrès scientifiques sont imprévisibles.
Vu la complexité de la tâche, il est actuellement impossible
de savoir quand un vaccin sera disponible. Une action rigoureuse
et efficace pourrait cependant accélérer son développement.
Un vaccin contre le sida pourrait cependant avoir un immense impact,
en particulier dans les pays en développement. Des études
de simulation ont été réalisées pour
mesurer l'impact potentiel des vaccins dans différents pays.
Plus de 30 études ont été publiées au
cours des dix dernières années, fondées sur
des données provenant d'Afrique de l'Est, d'Afrique australe
et d'Inde. Tandis que les résultats sont centrés sur
chaque pays et basés sur des suppositions spécifiques,
ces études ont montré que même avec une efficacité
partielle (30 à 50 %), les vaccins pourraient considérablement
réduire le nombre des nouvelles infections. Un vaccin pourrait
être partiellement efficace en protégeant complètement
une partie de la population, ou son ensemble, c'est-à-dire
en diminuant les risques d'infection par rapport à la situation
actuelle où aucun vaccin n'existe. En d'autres termes, avec
une efficacité à 50 %, un vaccin pourrait protéger
entièrement la moitié de la population ou réduire
de 50 % les risques d'infection de l'ensemble de la population.
À partir des tendances observées au cours de ces
études, l'Initiative internationale du vaccin contre le sida
(IAVI) a publié des estimations préliminaires sur
l'impact global d'un vaccin. Les résultats reposent sur trois
scénarios reflétant les différents niveaux
d'efficacité du vaccin et de couverture de la population.
Ces scénarios ont également inclus les projections
à long terme d'ONUSIDA sur la courbe de l'épidémie
au cours des 25 prochaines années, en supposant que les programmes
de prévention et de traitement actuels continueront de se
développer jusqu'en 2012, puis se stabiliseront avec une
couverture de 80 %.
À des fins d'illustration, la simulation suppose qu'un vaccin
a été introduit en 2015 (voir le graphique). Ces données
montrent qu'un vaccin partiellement efficace permettrait de réduire
de plus de la moitié le nombre de personnes infectées
par an. Selon le modèle d'IAVI, avec un vaccin efficace à
60 %, introduit en 2015 et administré à un tiers de
la population des pays en développement, 4,7 millions de
personnes infectées par an seraient infectées d'ici
à 2030, au lieu de 10 millions, et plus de 45 millions de
personnes, qui auraient été infectées par le
VIH de 2015 à 2030, seraient protégées. Dans
un scénario plus optimiste, un vaccin de grande efficacité
touchant un large secteur de la population pourrait inverser considérablement
la propagation de l'épidémie. Toujours selon le modèle,
un vaccin d'une efficacité de 95 %, distribué à
40 % de la population, pourrait réduire de 82 % le nombre
de personnes infectées par an et protéger plus de
70 millions de personnes. Même un vaccin moins efficace, administré
à un nombre moins important de personnes, pourrait permettre
d'arrêter l'épidémie. Un vaccin efficace à
40 %, distribué à un cinquième de la population
pourrait réduire d'un tiers le nombre de nouvelles infections
par an, et éviter près de 30 millions de nouvelles
infections sur les 150 millions qui auraient été escomptées
sur une période de 15 ans.
Pour réaliser le potentiel que représente un vaccin,
il faut relever les défis qui se présentent, entre
autres les questions de financement et la mise en place d'incitations
pour accélérer la recherche du secteur privé
et la mise au point de vaccins. L'engagement des entreprises du
secteur privé est crucial car elles jouent un rôle
essentiel dans la recherche et le développement de vaccins
à des fins commerciales. Le secteur privé est, cependant,
peu enclin à investir dans la recherche et le développement
de vaccins contre le sida car la demande viendra essentiellement
des pays en développement, qui ont moins de ressources financières.
Selon un rapport sur le Suivi du financement de la recherche et
du développement d'un vaccin préventif contre le VIH,
publié en juin 2005 conjointement par l'IAVI, l'AIDS Vaccine
Advocacy Coalition, l'Alliance pour les microbicides et ONUSIDA,
sur les 682 millions de dollars consacrés à la recherche
et au développement d'un vaccin contre le sida en 2004, le
secteur public a contribué à hauteur de 88 %, le secteur
privé à seulement 10 % et le secteur philanthropique
à 2 %. Les mesures d'incitations pour le secteur privé
pourraient comprendre des incitations fiscales ou des garanties
du marché par lesquelles les donateurs s'engageraient à
acheter un vaccin à un prix donné pour appuyer sa
mise au point et sa mise sur le marché.
Il faut également augmenter et soutenir le financement de
la recherche et du développement afin d'accélérer
les succès éventuels. Or, il manque environ 300 à
400 millions de dollars par an pour y parvenir. L'IAVI a appelé
à combler ce déficit d'ici à 2008. Pour accroître
et soutenir la riposte mondiale au VIH/sida, une approche à
long terme, qui combine les méthodes de prévention
existantes et les nouvelles technologies de prévention, en
particulier les vaccins et les microbicides, est nécessaire.
L'importance de ces technologies a été une fois de
plus soulignée lors de la Réunion de haut niveau sur
le sida, qui s'est tenue au siège de l'ONU, à New
York, du 31 mai au 2 juin 2006. La Déclaration politique
souligne la nécessité de " mettre au point de
manière tout aussi urgente des moyens plus efficaces (médicaments,
moyens de dépistage et méthodes de prévention,
y compris vaccins et microbicides) pour l'avenir.
L'impact d'un vaccin contre le sida pourrait être particulièrement
important pour les femmes et les jeunes. Il faudrait que les femmes
puissent y avoir recours sans que leur partenaire le sache. Ce serait
une méthode de protection très efficace. Les adolescents,
surtout les filles, qui sont particulièrement vulnérables
à l'infection, pourraient être vaccinées avant
d'atteindre la puberté ou d'avoir des rapports sexuels à
risque. Pour réaliser le rêve d'un monde sans sida,
les vaccins sont le meilleur espoir de l'humanité.
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