Une réflexion progressive sur les taudis ou sur les établissements
informels doit s'engager dans deux processus qui soutiennent leur
formation et leur perpétuation : la distorsion du marché
foncier urbain et la manière dont les politiques compétitives
de la mondialisation façonnent les marchés fonciers
et les politiques urbaines. La gouvernance mondiale peut-elle fournir
une approche progressive à ce défi ?
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Photo/Marie
Huchzermeyer |
Dans la Déclaration du Millénaire de 2000, les États
Membres de l'ONU ont dit qu'ils " étaient convaincus
que le principal défi que nous devons relever aujourd'hui
est de faire en sorte que la mondialisation devienne une force positive
pour l'humanité tout entière. Car si elle offre des
possibilités immenses, à l'heure actuelle ses bienfaits,
de même que les charges qu'elle impose, sont très inégalement
répartis ". Ils ont également affirmé
que la mondialisation devait être inclusive et équitable,
une position que soutient l'économiste reconnu internationalement,
Hernando de Soto : " Chacun bénéficiera du capitalisme
mondial dans un pays, mais ce sont les pauvres qui en bénéficieront
le plus "1. Ceci soutient l'argument que l'intégration
des pauvres dans le marché foncier mondial (globalisant)
est une solution à la pauvreté. Toutefois, l'auteur
passe sous silence la distorsion des marchés fonciers urbains
en Afrique subsaharienne et la demande importante des ménages
mieux lotis mais mal-logés en matière de terres urbaines,
qui sont prêts à profiter des programmes fonciers destinés
aux pauvres. Quel que soit le niveau de mondialisation de cette
région, peu a été fait pour corriger ce déséquilibre.
Les Objectifs du Millénaire pour le développement
(OMD) et les cibles ont été formulés en fonction,
semble-t-il, du marché foncier et de la mondialisation.
La plupart des cibles du Millénaire doivent être atteintes
d'ici à 2015, échéance à laquelle les
pays devront avoir réduit de moitié ou de manière
significative l'incidence de divers indicateurs de sous-développement
- pauvreté, faim, inégalité entre les sexes,
mortalité infantile et maternelle, propagation du VIH/sida
et incidence du paludisme, accès à l'eau, à
l'assainissement et à l'éducation primaire. Seule
la cible 11 de l'OMD 7 comporte une date ultérieure fixée
à 2020 et ne vise pas à réduire de moitié
ou de manière significative la population des taudis mais
à améliorer sensiblement la vie d'au moins 100 millions
d'habitants de taudis d'ici à 2020, comme proposé
par l'initiative " Des villes sans taudis ". Cela représente
seulement 10 % de la population mondiale vivant dans des taudis
en 2000.
La " cible relative aux taudis " sera atteinte une fois
que 100 millions d'habitants de taudis auront reçu une aide
en relation avec un des critères suivants : accès
amélioré à un approvisionnement en eau, amélioration
de la qualité des logements, augmentation de l'espace vital,
sécurité d'occupation2. Étant donné
les prévisions alarmantes sur la prolifération des
taudis, ONU-HABITAT a décidé de " se battre sur
deux fronts : améliorer la vie de 10 % des habitants de taudis
existants tout en élaborant des plans afin de prévenir
la formation de nouveaux taudis3. Toutefois, aucune mesure n'est
prévue pour veiller à ce que des ménages mieux
lotis mais mal logés ne détournent ces solutions à
leur avantage.
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Photo/ONU |
Il incombe aux gouvernements d'atteindre ces cibles. ONU-HABITAT
fournit seulement un soutien au travers de ses deux campagnes mondiales
- Bonne gouvernance et Sécurité d'occupation - dont
Villes sans taudis est le programme le plus réussi et le
plus efficace. La réalisation de la cible 11 ne permettra
certainement pas d'éliminer les taudis urbains mais le programme
n'était pas directement destiné à atteindre
cet objectif. Dès le début, cette initia-tive visait
seulement à améliorer sensiblement la vie de 100 millions
d'habitants de taudis d'ici à 2020. Le programme Des villes
sans taudis a pour but de renforcer les institutions et les partenariats
afin de créer des initiatives locales pour améliorer
les taudis, avec la participation active des organisations des habitants
de taudis et des organisations non gouvernementales.
Les idées avancées par l'ONU sont soit normatives,
c'est-à-dire qu'elles définissent comment le monde
devrait être, soit causales, donc plus opérationnelles,
formulées souvent en termes d'objectif4. Des villes sans
taudis est une idée normative, l'amélioration de la
vie de millions d'habitants de taudis d'ici à 2020 étant
l'élément causal. Étant donné la croissance
exponentielle de la formation de taudis, il y a une contradiction
évidente entre ses deux idées. On confond souvent
la cible 11 avec l'objectif normatif, à savoir de créer
des villes sans taudis. Nous connaissons la campagne sud-africaine
visant à éradiquer les établissements informels
qui, depuis 2001, est associée officiellement à la
cible 11. Cela n'est pas seulement le cas au niveau national. Même
le directeur exécutif d'ONU-HABITAT se réfère
à la cible 11 de l'objectif 7 en termes de " Villes
sans taudis5 ".
L'ONU a établi avec succès des objectifs dans le
domaine de la santé. Lier l'amélioration des taudis
à la création de villes sans taudis revient à
traiter les taudis comme s'il s'agissait d'une maladie devant être
éradiquée en prescrivant un remède universel.
Cette approche simple implique l'adhésion des autorités
publiques nationales et locales. ONU-HABITAT se félicite
de l'engagement officiel de l'Afrique du Sud à atteindre
l'objectif lié aux taudis. Dans le numéro d'Habitat
Debate de septembre 2005, l'activiste Jokin Arputhan, de Slum Dwellers
International, a mis en garde que " l'État parle des
OMD, puis démolit les maisons ". Dans une analyse récente,
l'ONU en est arrivée à la même conclusion :
" L'absence de relation entre la création de connaissances
et leur mise en uvre dans les programmes de l'ONU fait l'objet
d'une attention internationale insuffisante4. "
Mais en établissant des objectifs, la gouvernance mondiale
apporte-elle une réponse juste à la question des taudis
? Je dirai que l'objectif normatif du programme Des villes sans
taudis est problématique. Alors qu'il est totalement irréaliste,
étant donné l'augmentation escomptée du nombre
d'habitants de taudis, il est aussi indésirable dans un monde
où les inégalités semblent être de plus
en plus causées par le processus de la mondialisation dans
le cadre d'un marché foncier faussé, que rien ne peut
arrêter. Empêcher la formation de nouveaux taudis signifie
forcer les pauvres à vivre dans d'autres logements inadéquats,
qui ne sont pas encore qualifiés de taudis. Plutôt
que d'éradiquer les taudis, il serait plus judicieux de mettre
en place des structures et des méthodes de gouvernance aux
niveau national et local afin de reconnaître et de gérer
les établissements informels futurs. Il faudrait alors appeler
la campagne Des villes sans taudis " Des villes reconnaissant
l'existence des taudis ". Le but ne serait plus de sensibiliser
les gouvernements pour qu'ils créent des villes compétitives
où la misère n'existe pas mais plutôt tenter
de mieux comprendre la réalité des établissements
informels et leur interaction avec le marché des logements
pour les ménages à revenu faible ainsi que de mettre
en place des solutions qui améliorent la vie des populations
tout en permettant la formation de nouveaux établissements
informels. Cela permettrait de réduire le malaise ressenti
par la population croissante des mal-logés. Les établissements
informels pourraient corriger plus efficacement ces déséquilibres
dans le marché urbain que les programmes destinés
à empêcher leur formation.
Le gouvernement sud-africain cherche activement à renforcer
sa position sur l'ordre du jour mondial par le biais de deux alliances
régionales : l'alliance intergouvernementale Afrique du Sud-Brésil
et la Conférence ministérielle africaine sur le logement
et le développement urbain, en s'inspirant du modèle
de l'Amérique latine. Lors de réunions et de manifestations
organisées par ces nouvelles alliances, l'Afrique du Sud
a mis en avant l'allégement de la dette ainsi qu'un renforcement
des initiatives concernant la cible 11 de l'OMD 7. La prochaine
étape sera de promouvoir une reconnaissance mondiale des
taudis plutôt que de tenter de les éradiquer, ce qui
est irréaliste.
(Cet exposé a été présenté
au Centre for Built Environement Studies [CUBES-université
de Witwatersrand] et au colloque du Réseau des villes sud-africaines,
" What is Progresive Urban Policy ", Johannesburg, Afrique
du Sud, 28 janvier 2006.)
Notes
1 De Soto, H (2000). The Mystery of Capital: Why Capitalism Triumphs
in the West and Fails Everywhere Else. Basic Books, New York.
2 Relever le défi que représentent les taudis, la
terre, l'installation d'abris ainsi que la fourniture et l'accès
aux services de base pour tous : Aperçu général.
Note de synthèse préparée par le Bureau régional
d'ONU-HABITAT pour l'Afrique et les États arabes. Conférence
ministérielle africaine sur le logement et le développement
urbain (AMCHUD), Durban, du 31 janvier au 4 février 2005.
3 Le défi des taudis et la fourniture d'abris : atteindre
les Objectifs du Millénaire pour le développement.
Note de synthèse préparée par le Bureau régional
d'ONU-HABITAT pour l'Afrique et les États arabes. AMCHUD,
Durban, du 31 janvier au 4 février 2005.
4 Emmerij, L. Jolly, R. et Weiss, T. (2005). Réflexion de
l'ONU sur la situation économique et sociale dans une perspective
historique. Développement et changement, 36(2), 211-235.
5 Tabaijuka, A., Préface. In Oyango, G., Wasonga, G. Asamba,
I., Teyie, P., Abunda, J., Obera, B. et Ooko, E. (2005). Analyse
concernant les établissements informels à Kisumu.
Programme d'éradication des taudis au Kenya et Programme
sous-régional Des villes sans taudis pour l'Afrique de l'Est
et du Sud, gouvernement du Kenya et ONU-HABITAT.
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