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Photo
ONU/Eskinder Debebe |
Je crois pouvoir dire sans exagérer que les yeux du monde
- et en particulier ceux de tous les gens dont les droits les plus
fondamentaux sont compromis ou foulés aux pieds, ou à
qui ces droits ne sont même pas reconnus - sont rivés
sur vous et sur cette salle et l'organe qui s'y réunit. Les
États Membres et la société civile du monde
entier ont beaucoup travaillé pour nous amener là
où nous sommes. Une ère nouvelle a commencé
pour l'action de l'Organisation des Nations Unies dans le domaine
des droits de l'homme. Tous les membres du Conseil sont, j'en suis
sûr, à la fois conscients des espoirs qui ont ainsi
été créés et déterminés
à ne pas les décevoir.
Ils devraient l'être, en tout cas, car ils ont tous, quand
ils se sont portés candidats à un siège au
Conseil, pris l'engagement de respecter les droits de l'homme chez
eux et de les faire respecter ailleurs. En outre, l'Assemblée
générale a bien dit qu'ils devraient observer les
normes les plus strictes en matière de promotion et de protection
des droits de l'homme, coopérer pleinement avec le Conseil
et se soumettre au mécanisme d'examens périodiques
universels pendant leur mandat. Leurs peuples, et les peuples du
monde, voudront voir si ces normes sont bien respectées.
Permettez-moi de retracer brièvement le chemin qui nous a
menés ici. L'an dernier, dans mon rapport intitulé
Dans une liberté plus grande, j'ai souligné que les
droits de l'homme sont, au même titre que le développement
économique et social et la paix et la sécurité,
un des piliers qui soutiennent l'uvre de l'ONU. J'ai fait
valoir que ces trois piliers se tiennent, que chacun donne aux autres
plus de solidité et que tous trois sont indispensables au
bien-être de l'humanité. Sans la paix et la sécurité,
aucune société ne peut se développer. Si les
gens vivent dans la misère et n'ont aucune chance de s'en
sortir, leur pays ne sera jamais en sécurité. Et si
les droits fondamentaux des citoyens ne sont pas protégés,
aucune nation ne jouira longtemps ni de la sécurité,
ni de la prospérité. Bref, c'est parce que les droits
et la dignité de l'homme ne sont pas respectés que,
dans le monde d'aujourd'hui, la paix est si précaire et la
prospérité si inégalement répartie.
Je suis heureux de pouvoir dire qu'au Sommet [mondial] de septembre
dernier, les dirigeants politiques du monde ont adopté cette
vision des choses. Ils ont décidé d'intégrer
la promotion et la protection des droits de l'homme dans les politiques
nationales et de contribuer à ce que les droits de l'homme
soient systématiquement pris en compte dans tout le système
des Nations Unies. Pour que les questions relatives aux droits de
l'homme soient examinées au niveau qui convient à
l'ONU, ils ont accepté, comme je le proposais, de créer
ce Conseil dont les membres sont directement élus par l'Assemblée
générale et qui travaille aux côtés du
Conseil de sécurité et du Conseil économique
et social. Ils ont aussi pris la résolution de renforcer
le Haut Commissariat aux droits de l'homme, et l'Assemblée
générale a depuis décidé que le Conseil
des droits de l'homme hériterait du rôle et des responsabilités
de la Commission des droits de l'homme à l'égard du
Haut Commissariat.
Pour l'instant, le Conseil est un organe subsidiaire de l'Assemblée
générale. Mais d'ici à cinq ans, l'Assemblée
en réexaminera le statut. J'ose espérer - et je voudrais
que ce soit là votre ambition - que d'ici là votre
travail aura si solidement assis l'autorité du Conseil des
droits de l'homme que la volonté sera générale
de modifier la Charte et de lui octroyer le statut d'organe principal.
Pour que ce vu se réalise, il faudra que les travaux
du Conseil se démarquent nettement de ceux de son prédécesseur.
Cette démarcation devra ressortir clairement de la façon
dont vous mettrez au point et appliquerez la procédure d'examens
périodiques universels, de votre volonté d'aborder
de front les questions difficiles et d'en débattre lorsqu'il
le faudra pour remédier à des violations des droits
de l'homme ou, mieux, les prévenir, et du parti que vous
tirerez de la possibilité que vous aurez de vous réunir
plus fréquemment que ne le faisait la Commission et de tenir
des sessions spéciales. La différence devra, surtout,
être apparente au niveau de votre état d'esprit. Au
climat d'affrontement et de méfiance qui a marqué
les dernières années d'existence de la Commission
devra faire place un climat de coopération et d'engagement
dont la source soit une direction réfléchie, laquelle
ne pourra émaner du seul Président et devra au contraire
être collective. L'Assemblée générale
vous a donné une bonne série de règles de départ,
mais finalement ce qui vous fera réussir ou échouer
dans votre tâche, ce sera les méthodes de travail que
vous adopterez et les aspirations et attitudes qui les modèleront.
Tout cela étant dit, malgré les insuffisances qui
ont marqué ses dernières années, la Commission
a créé de nombreuses procédures utiles qui
doivent être maintenues et renforcées. J'entends par
là, en particulier, le système de procédures
spéciales grâce auquel la Commission s'est faite l'agent
non seulement de la promotion, mais aussi de la protection des droits
de l'homme. Au nombre des titulaires de mandats relevant de ces
procédures spéciales comptent des experts indépendants,
des rapporteurs spéciaux, mes propres représentants
spéciaux et ceux du Haut Commissaire, et bien sûr les
groupes de travail.
Ces " mécanismes ", dont la plupart sont des personnes
non rémunérées possédant des compétences
spécialisées, sont les unités de front sur
lesquelles nous comptons pour protéger les droits de l'homme
et nous alerter au plus vite en cas de violation. En donnant l'alarme
puis en enquêtant, ils font en sorte que les projecteurs restent
braqués sur les situations les plus graves. Ils donnent une
voix aux victimes qui n'en n'ont pas, et leurs rapports servent
de point de départ à l'examen des mesures concrètes
que les gouvernements doivent prendre pour faire cesser les violations
et veiller à ce qu'elles ne se reproduisent pas.
La Commission a également créé le premier mécanisme
des Nations Unies permettant de déposer une plainte en cas
de violation des droits de l'homme : la procédure confidentielle
connue sous le nom de " procédure 1503 ", grâce
à laquelle les organisations non gouvernementales, d'autres
groupes et même les particuliers peuvent porter plainte.
J'imagine qu'une semblable procédure de saisine confidentielle
sera maintenue, afin qu'aucune allégation de violations flagrantes
et systématiques n'échappe au Conseil. Et j'espère
que vous pourrez parvenir à un accord sur un protocole additionnel
ouvrant la possibilité d'introduire des plaintes pour violation
du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Les organisations non gouvernementales jouent un rôle important
dans la promotion et la protection des droits de l'homme, aux niveaux
national, régional et international. C'est pourquoi l'Assemblée
générale vous a demandé de maintenir les pratiques
de la Commission et de les renforcer, afin que, de même que
les États qui ne sont pas membres du Conseil, les institutions
spécialisées, les autres organisations intergouvernementales
et les institutions nationales qui s'occupent des droits de l'homme,
les ONG puissent apporter la contribution la plus utile possible
à vos travaux.
La Commission vous a aussi légué deux documents de
la plus haute importance : le projet de convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées et le projet de déclaration sur les droits
des peuples autochtones. Vous avez la possibilité, en examinant
et en approuvant au plus vite ces instruments, d'obtenir d'emblée
des résultats concrets et de redonner espoir à beaucoup
d'êtres humains qui vivent aujourd'hui dans la peur.
Vous héritez également d'autres tâches urgentes,
notamment celle de vous mettre d'accord là où la Commission
n'a pu trouver de consensus, par exemple sur une définition
du " droit au développement " qui soit suffisamment
claire et précise pour qu'il soit effectivement possible
de se prévaloir de ce droit et le faire respecter. Comme
vous le savez, les négociations qui ont abouti à la
création de ce Conseil ont été âpres.
Toutes les délégations n'ont pas obtenu tout ce qu'elles
voulaient, comme l'a déclaré notre brillant Président
de l'Assemblée générale, Jan Eliasson. Des
compromis ont dû être faits, même si en fin de
compte les principes n'ont pas été sacrifiés.
Il n'y a rien d'étonnant à ce que des désaccords
et des difficultés aient surgi. Si les droits de l'homme
ne suscitaient aucun désaccord, ce Conseil n'aurait pas de
raison d'être.
De fait, les questions relatives aux droits de l'homme sont, par
nature, délicates. Mais cela ne veut pas dire qu'elles relèvent
nécessairement de l'interventionnisme ou soient intrinsèquement
contraires aux intérêts des États. L'idée
trop répandue qu'il existe une tension inévitable
ou une incompatibilité insurmontable entre la liberté
et la sécurité doit être rejetée. Au
contraire, les États les plus forts sont ceux qui défendent
le plus vigoureusement les droits de l'homme de tous leurs citoyens.
Et les êtres humains ne sont jamais vraiment en sécurité
tant que leurs droits et libertés ne sont pas protégés
contre toutes les atteintes, que celles-ci soient le fait d'ennemis
ou d'agents de l'État.
Il s'ensuit que ceux qui ont voulu faire partie de ce Conseil et
ont été élus doivent être prêts
à accepter les débats et les désaccords, mais
doivent aussi être unis dans leur volonté de faire
respecter et appliquer les droits de l'homme sans crainte et sans
favoritisme. Ils doivent reconnaître, comme l'Assemblée
générale lorsqu'elle a créé ce Conseil,
l'importance de l'universalité et de l'objectivité
ainsi que la nécessité de mettre tout le monde sur
le même pied.
Vous avez bien du travail devant vous. Dans les semaines et les
mois qui viennent, alors que vous vous plongerez dans les détails
et vous débattrez avec les questions que ce Conseil a pour
vocation d'examiner, je vous conjure de garder à l'esprit
les nobles desseins qui vous ont réunis ici. Ne permettez
jamais au Conseil des droits de l'homme de s'embarquer dans des
pugilats politiques ou de recourir à de basses manuvres.
Pensez toujours à ceux qui ne peuvent jouir de leurs droits,
que ceux-ci soient civils et politiques ou économiques, sociaux
et culturels, et que les intéressés vivent sous le
joug de despotes sanguinaires ou dans les affres de l'ignorance,
de la faim et de la maladie.
La vérité est que les atteintes à ces différents
droits vont souvent de pair. Trop souvent, ce sont ceux qui veulent
améliorer le sort des leurs qui sont victimes de l'oppression;
et c'est le manque de liberté et de protection juridique
qui inhibe le développement économique et social.
Sur ces deux fronts aussi importants l'un que l'autre, le Conseil
peut donner à l'ONU, et à l'humanité, la chance
de reprendre la lutte pour les droits de l'homme avec une vigueur
renouvelée. Je vous en supplie, ne permettez pas que cette
occasion soit gâchée.
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