Avec plus de 10 000 participants venus de plus de 100 pays, la
Troisième session du Forum urbain mondial, qui s'est tenue
du 19 au 23 juin 2006 à Vancouver, au Canada, est devenue
l'un des plus grands rassemblements non législatifs des Nations
Unies de ces dernières années. Le Forum marquait également
le 30e anniversaire de la Conférence de l'ONU sur les établissements
humains qui a donné naissance à ONU-HABITAT, l'institution
chargée de coordonner l'agenda urbain au sein du système
de l'ONU. Au dire de tous, cette réunion a été
l'une des récentes réunions de l'ONU les plus réussies,
adressant des messages importants aux gouvernements, aux municipalités
et aux urbanistes.
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La
Directrice d'ONU-HABITAT Anna Tibaijuka lors de la cérémonie
d'ouverture
PHOTO © GLOBE FOUNDATION |
En 1976, l'urbanisation et ses conséquences étaient
des sujets à peine abordés à l'ONU, créée
trois décennies plus tôt quand deux tiers de l'humanité
vivaient dans des zones rurales. Ceux qui s'étaient alors
réunis à l'occasion de la Conférence sur l'habitat,
qui avait eu lieu à Vancouver, étaient conscients
que l'urbanisation rapide devenait un problème pour les établissements
humains dans le monde. Cette génération avait connu
la Seconde Guerre mondiale et se souvenait du premier programme
de protection dirigé par l'ONU qui avait distribué
des couvertures aux populations pauvres vivant dans les villes européennes
et asiatiques en ruine. Même si le message a eu un impact
limité à cause de la guerre froide et de la bipolarisation
du monde en 1976, l'appel lancé à Vancouver a résonné
pendant des années. Les villes, petites et moyennes, se développent
à un rythme sans précédent, établissant
des tendances sociales, politiques, culturelles et environnementales,
à la fois bonnes et mauvaises. Si les dirigeants mondiaux
aidaient à réduire la pauvreté urbaine, ont-ils
dit, cela aurait un impact positif sur l'environnement.
Les mots de Barbara Ward, l'auteur qui a popularisé il y
a quelques dizaines d'années la formule " La Terre :
notre vaisseau spatial ", auraient donc pu être écrits
aujourd'hui : " Des millions de personnes naîtront dans
le monde entier. Les établissements se développeront
- dans la misère et dans la violence, ou dans le travail
et dans l'espoir. Le monde entier - lié par les communications,
les lignes aériennes, les pirates de l'air et les terroristes
- n'a vraiment qu'un seul choix : devenir un lieu où l'on
puisse vivre dignement ou prendre "le chemin de la mort poussiéreuse".
Et où vivent les gens si ce n'est dans leur établissement
? Où trouver son salut alors ? " Sa déclaration
prophétique est corroborée par le message de Vancouver
2006 : l'urbanisation durable est, sans doute, le plus grand défi
auquel la communauté mondiale est confrontée au XXIe
siècle alors que la " La Terre : notre vaisseau spatial
" entre de manière irréversible dans l'âge
urbain.
Selon des études d'ONU-HABITAT, en 1950, un tiers de la
population mondiale vivait dans les villes et, 50 ans plus tard,
cette proportion a grimpé à 50 %. D'ici à 2050,
les deux tiers de la population, soit 6 milliards d'habitants, vivront
en milieu urbain. Aujourd'hui, dans de nombreuses villes, en particulier
dans les pays en développement, les habitants de taudis représentent
plus de 50 % de la population et ont un accès limité
ou aucun accès à un abri, à l'eau, à
l'assainissement, à l'éducation ou à des services
de santé. Mais le rapport préparé par ONU-HABITAT
pour le Forum, intitulé L'État des villes dans le
monde 2006/7, montre que 2007 sera un tournant décisif dans
l'histoire : pour la première fois, la moitié de la
population mondiale vivra dans les villes et le nombre d'habitants
de taudis atteindra 1 milliard. Et avec un milliard de personnes
vivant dans des bidonvilles et des milliers qui les rejoignent chaque
jour, nous sommes assis sur une bombe sociale à retardement
qui n'attend que d'exploser dans de nombreux endroits surpeuplés,
frappés par la misère sur un échiquier géopolitique
présentant déjà de nouveaux problèmes
depuis la guerre froide.
Le Forum urbain mondial a présenté plusieurs conclusions
sous la forme de messages et d'avertissements fondés sur
les informations les plus récentes dans le monde. D'abord,
les Nations Unies doivent jouer un plus grand rôle dans le
domaine de l'urbanisation durable. D'autre part, les travaux d'ONU-HABITAT,
point central de la mise en uvre de l'ordre du jour d'Habitat,
la Déclaration sur les villes et autres établissements
humains dans le nouveau millénaire ainsi que les Objectifs
du Millénaire pour le développement (OMD) sur l'eau
et l'assainissement et l'amélioration de la vie des habitants
de taudis, doivent être appuyés par les pays eux-mêmes
afin d'appliquer ces OMD au niveau de la rue et des quartiers. De
plus, alors que le monde fait face à la plus importante croissance
urbaine de son histoire et à une migration massive vers les
villes, le défi qui se pose est plus clair, voire décourageant.
" Parmi les millions de migrants, un grand nombre réalisent
leur rêve et construisent un vie meilleure pour eux, leur
famille et leurs communautés ", a déclaré
le Premier ministre canadien Stephen Harper. " Pour les autres,
la route qui conduit à la ville mène à la pauvreté,
à la précarité et à la tragédie.
"
Selon ONU-HABITAT, dans les pays en développement, l'urbanisation
a créé des problèmes graves, tels que le manque
d'accès à l'eau salubre, à l'assainissement
et à un abri, la pauvreté urbaine, le VIH/sida ainsi
que les problèmes liés à la gestion urbaine.
Le Forum 2006 a également lancé un avertissement :
la population urbaine des pays en développement doublera,
passant de 2 milliards à 4 milliards d'habitants dans les
30 prochaines années. Katherine Sierra, vice-présidente
et responsable du réseau Infrastructures à la Banque
mondiale, et Enrique Peñalosa, ancien maire de Bogotá,
en Colombie, ont dit à la séance plénière
que cela équivalait à assurer chaque semaine la planification,
le financement et la mise en place de services d'une nouvelle ville
d'un million d'habitants pendant les 30 prochaines années.
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Assainissement,
hygiène et santé sont liés - la communauté
de Baseco, à Manille, aux Philippines. photo/© MIKEL
FLAMM |
Certains participants ont critiqué l'absence d'un plan d'action.
Les médias et certains invités comme Jockin Arputham,
président de l'Association des habitants de taudis en Inde,
ont dénoncé le " temps et l'argent " dépensés
à Vancouver. La directrice exécutive d'ONU-HABITAT,
Anna Tibaijuka, a répliqué : " Un forum comme
celui-ci offre l'occasion de s'informer, de se connecter avec le
reste du monde, de savoir que d'autres se soucient. Nous faisons
un travail de sensibilisation et cette sensibilisation ouvre la
voie à une action concertée. " Le Forum urbain
mondial a rapproché comme jamais auparavant les gouvernements
et les municipalités des organisations locales de femmes,
des groupes de jeunes, de représentants des habitants de
taudis et d'autres organisations non gouvernementales (ONG), s'inspirant
de l'exemple d'ONU-HABITAT qui vise à organiser des réunions
internationales plus inclusives.
Un groupe d'anciens exilés sud-africains et latino-américains
de Vancouver ont été émus jusqu'aux larmes
quand ils ont visité l'exposition d'ONU-HABITAT et vu les
reproductions grandeur nature des taudis en Afrique, en Asie et
en Amérique latine. Six dialogues, treize tables rondes et
plus de 160 séances de réseautage ont permis aux participants
de présenter des idées innovantes et des solutions
pratiques. Ministres, maires, universitaires, organisations communautaires,
fédérations d'ONG et secteur privé ont échangé
notes et points de vue pour améliorer la qualité de
la vie dans les villes du monde en expansion.
Mais le vrai sens de la réunion de Vancouver 2006 est apparu
quand, par exemple, Ghulam Sakhi Noorzad, maire de Kaboul, en Afghanistan,
a expliqué qu'il avait pu discuter en arabe des problèmes
avec son homologue de N'djamena (Tchad). Et une représentante
d'un groupe de femmes a parlé du séisme qui a dévasté
sa ville natale de Jogjakarta, en Indonésie, et de l'aide
qu'elle a reçue d'un psychologue sri-lankais qui a organisé
des activités à l'intention des survivants du tsunami.
De même, des leaders originaires de Colombie-Britannique ont
consulté des collègues du Nicaragua et du Salvador
sur la manière de traiter avec un nouveau gouvernement moins
réceptif à leurs besoins. Certains délégués
ont considéré que les problèmes de l'urbanisation
et la prolifération des taudis, ou l'urbanisation de la pauvreté
dans les pays en développement, sont trop variés et
trop vastes pour qu'une seule solution puisse convenir à
tous. De même, il fallait, selon eux, s'attaquer aux problèmes
individuellement en partant de la base, en consultation avec les
plus démunis.
Dans un monde où c'est précisément l'inverse
qui se produit, une telle démarche est radicale. Autre message
délivré à Vancouver : bien que les gouvernements
locaux fournissent en moyenne 86 % des services locaux - eau, évacuation
des eaux usées, logement, routes, infrastructure, électricité,
etc. - comparés aux gouvernements nationaux, ils ne perçoivent
que 25 % des recettes fiscales. Dans son discours, Mme Tibaijuka
a indiqué qu'il fallait donc " urbaniser nos politiques
". Pour H. Peter Oberlander, un participant à la réunion
de 1976 et conseiller au Commissaire général du Canada
pour la conférence de 2006, " avec la prochaine session
à Nanjing (Chine) en 2008, nous devons veiller à maintenir
l'élan positif qui s'est manifesté cette semaine à
Vancouver, nous devons rester connectés. "
- Les chiffres donnés par ONU-HABITAT
sont un indicateur de la crise urbaine :
- 4 Avec 581 millions d'habitants de taudis
en 2005, l'Asie comptait près de 60 % de la population
des taudis dans le monde, tandis que l'Afrique subsaharienne
en comptait 199 millions, ce qui représente 20 %
de la population mondiale, et l'Amérique latine 134
millions, soit 14 %.
- 4 Au niveau mondial, 30 % des habitants
urbains vivaient dans des taudis en 2005, une proportion
qui n'a pas changé de manière significative
depuis 1990. Cependant, au cours des 15 dernières
années, le problème s'est aggravé :
283 millions d'habitants de taudis ont rejoint la population
urbaine mondiale.
- 4 Environ 156 millions de personnes en
Asie du Sud, 75 millions en Afrique et 49 millions en Amérique
latine vivent à quatre ou plus dans une pièce,
augmentant les risques de maladie et de violence familiale.
- 4 Les maladies causées par le manque
d'assainissement tuent chaque année jusqu'à
1,6 million d'habitants de taudis, plus que le nombre de
victimes du tsunami de 2004.
- 4 Les statistiques en santé urbaine
montrent que 65 % des patients indiens soignés à
l'hôpital sont victimes de maladies transmises par
l'eau. En Afrique, les habitants de taudis dépensent
un tiers de leurs revenus pour traiter ces maladies.
Source : ONU-HABITAT, L'État des villes
dans le monde 2006/7
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