Planet
of Slums
Par Mike Davis
Verso, London and New York, 2006
228 pages, ISBN 1-84467-022-8
Il serait facile de faire une critique de cet ouvrage en se basant
sur ses défauts et ses in-exactitudes. Mais il contient aussi
des résumés écrits avec soin, des points de
vue intéressants et quelques tournures de phrases habiles,
ce qui en fait l'une des meilleures présentations générales
sur le problème des " taudis et des bidonvilles "
en Afrique, en Asie et en Amérique latine et sur les raisons
de leur prolifération. L'auteur, Mike Davis, a écrit
plusieurs ouvrages remarquables sur les questions urbaines, mais
touchant principalement les États-Unis. Son manque de connaissances
sur les questions urbaines dans les trois autres régions
explique certaines des inexactitudes, dont beaucoup auraient pu
être évitées s'il avait vérifié
la validité et l'exactitude de ses sources. Mais le point
fort de cet ouvrage est le regard nouveau que porte l'auteur sur
le sujet et les perspectives analytiques, en s'appuyant sur les
questions urbaines des États-Unis. Cet article examinera
donc les points forts et les points faibles de l'ouvrage.
Ses points forts : sa lisibilité et les preuves rassemblées
sur la crise dans les zones urbaines en Afrique, en Asie et en Amérique
latine. De nombreux exemples soulignent les conditions de vie déplorables
de centaines de millions d'habitants de taudis. L'auteur décrit
comment de larges groupes de la population à faibles revenus
vivent dans des habitations insalubres, dont le surpeuplement et
l'exploitation par les propriétaires rivalisent avec ceux
des pires taudis du XIXe siècle. Il souligne comment la pauvreté
est créée et exacerbée par les programmes d'expulsion
des taudis et comment ceux-ci sont souvent justifiés en "
criminalisant " leurs habitants. Il met l'accent, à
juste titre, sur les possibilités très réduites
des groupes à faibles revenus d'occuper illégalement
les terres sur lesquelles ils peuvent construire des habitations.
L'auteur discute de la réorganisation des villes, alors que
les groupes à revenus moyens et supérieurs se concentrent
dans des résidences protégées dont les pauvres
sont exclus. Le livre contient de nombreuses digressions historiques,
comparant Naples du XIXe siècle aux villes d'aujourd'hui,
exami-nant comment les problèmes urbains contemporains trouvent
leur origine dans la politique des gouvernements coloniaux. L'auteur
s'attaque à certains points qui méritent d'être
critiqués, comme les fausses illusions données par
les " solutions " de Soto et les fausses promesses du
Consensus de Washington concernant la réduction de la pauvreté.
Le livre montre bien comment la plupart des entreprises informelles
sont une source d'exploitation, offrant des revenus très
insuffisants pour de longues journées de travail. "
Toutes les descriptions de la misère victorienne, décrites
par Dickens, Zola ou Gorky, existent quelque part aujourd'hui dans
une ville du tiers-monde aujourd'hui. " L'auteur donne des
exemples de l'ampleur de la crise, par exemple, les conditions de
vie à Kinshasa et à Port-au-Prince, la demande croissante
pour les organes humains et les industries exploitant le travail
des enfants. Le livre se termine sur une discussion portant sur
" un surplus d'humanité " - un milliard de travailleurs
au chômage ou sous-employés - et la constatation que
rien n'est prévu pour leur réintégration à
l'économie mondiale. Les taudis sont la solution pour parquer
ce surplus d'humanité, et l'auteur estime que les pays à
revenus élevés ne se penchent pas suffisamment sur
les implications géopolitiques de ce phénomène.
Dans l'épilogue, l'auteur reprend les citations inquiétantes
d'un spécialiste de l'Armée de l'air, qui voit les
taudis comme des champs de bataille cauchemardesques potentiels
et parle du défi du " combat asymétrique ".
Il recommande que l'entraînement militaire ait lieu dans les
" villes défigurées " aux États-Unis,
où de grandes zones de HLM sont devenues inhabitables et
les usines/zones industrielles inutilisables.
L'auteur a tendance à faire des généralisations
pour arriver à ses fins. On se demande s'il s'est rendu dans
une seule des villes qu'il décrit et si c'est le cas, le
regard qu'il a porté sur elles est très sélectif.
On imagine mal qu'il soit allé parler aux habitants de taudis,
car il semble rechercher des exemples dans la littérature
pour soutenir son point de vue, et laisser de côté
ce qui va à l'encontre. Les références citées
sont un mélange de sources à la fois valides, pertinentes
et douteuses. Peut-être que les deux points faibles de ce
livre sont l'incapa-cité de l'auteur à voir la diversité
parmi les dizaines de milliers de centres urbains en Afrique, en
Asie et en Amérique latine, et sa détermination à
s'en prendre à toute personne et à toute institution
qui tentent de traiter les problèmes qu'il décrit.
Dans de nombreuses villes, les conditions de vie d'une grande partie
de la population à faibles revenus ont été
considérablement améliorées, par le retour
à la démocratie, la mise en place de réformes
importantes de décentralisation et grâce à une
nouvelle génération de politiciens et de responsa-bles
des questions urbaines déterminés à changer
les anciennes méthodes. L'auteur a raison de nous rappeler
comment les dictatures militaires au Brésil, au Chili et
en Argentine ont nettoyé les " taudis ", mais il
devrait aussi mentionner les innovations dans ces nations depuis
le retour de la démocratie. Et toutes les situations ne sont
pas à l'image de celles à Kinshasa (République
démocratique du Congo) et à Port-au-prince (Haïti).
Il existe aussi des exemples de réussite.
L'attitude de l'auteur vis-à-vis du gouvernement est résumée
dans le chapitre intitulé " The treason of State (La
trahison de l'État) ". Mais de nombreux gouvernements
locaux et nationaux ont essayé de nouvelles approches, travaillant
avec les habitants de taudis et de bidonvilles pour légaliser
l'occupation des terres et soutenir les initiatives gérées
par la communauté, par exemple, le travail de l'Institut
de développement des organisations communautaires en Thaïlande.
Dans le chapitre consacré aux " Illusions de l'auto-assistance
", l'auteur, comme de nombreux critiques de gauche avant lui,
explique la position de John F. C. Turner de manière réductrice.
Son livre publié en 1976, Housing by People, est beaucoup
plus intéressant et sophistiqué qu'il ne le laisse
entendre et de plus il le rend responsable des limites des programmes
d'auto-assistance. Au cur de ce livre est la question de savoir
qui a le droit de déterminer et de gérer les solutions
de logement et ce qu'il faut changer si l'on veut que les groupes
à faibles revenus participent aux décisions. Le livre
de Turner décrit aussi très clairement pourquoi les
programmes de logements sociaux, mentionnés aussi dans Planet
of Slums, ont échoué. C'est une sonnette d'alarme
pour tous les professionnels engagés dans les questions urbaines,
montrant comment et pourquoi ils doivent écouter les groupes
à faibles revenus ainsi que leurs propres organisations et
initiatives, et travailler avec eux.
L'auteur de Planet of Slums critique les organisations non gouvernementales
(ONG) qui " ont réussi brillamment à s'associer
aux autorités locales, ainsi qu'à dominer l'espace
social occupé traditionnellement par la gauche ". Comme
dans beaucoup de généralisations, il y a une grande
part de vérité, mais une part seulement. De même
que l'auteur décrit la diversité de l'" économie
informelle " et des types de " taudis ", il existe
aussi une grande diversité parmi les ONG locales. Il oublie
les nombreuses ONG locales qui travaillent en étroite collaboration
avec les organisations et les fédérations représentant
les habitants de taudis et de bidonvilles qui ne recherchent pas
le soutien des autorités locales - et qui veillent aussi
à lier les réponses pragmatiques aux besoins et aux
luttes politiques plus importantes afin de changer les politiques
et les pratiques locales. Il ignore ce que font les habitants de
taudis eux-mêmes - dans les organisations et les fédérations
qu'ils créent, dans les initiatives qu'ils prennent et dans
les négociations lentes, souvent difficiles qu'ils engagent
avec l'État - concernant les terres sur lesquelles ils peuvent
construire ou la possession de celles qu'ils occupent, l'eau ou
l'assainissement et d'autres services, la légalisation des
adresses et le droit de vote et d'être considérés
comme des citoyens. Il ignore aussi l'engagement des gouvernements
locaux qui ont établi des partenariats solides avec ces fédérations,
ni ne comprend comment la transformation des relations entre les
pauvres urbains et leurs gouvernements locaux doit être au
cur du changement, et que cela implique une approche différente
de la part des investisseurs. Il est certain que ces initiatives
ne sont pas des solutions miracles : il y a des échecs et
des succès, et des changements importants sont aussi nécessaires
pour améliorer les revenus des groupes les plus pauvres ainsi
que les possibilités d'emploi.
Ce livre contient aussi de nombreuses inexactitudes. À propos
des tendances de l'urbanisation, deux points essentiels échappent
à l'auteur. D'abord, que les taux de croissance de la population
urbaine ont considérablement baissé pour de nombreux
pays, tandis qu'un grand nombre de grandes villes dans le monde
sont moins peuplées que prévu, comme l'attestent les
nouvelles données du recensement disponibles depuis 2000.
Ensuite, la croissance économique et le développement
des villes sont étroitement liés, ce qui explique
que les plus grandes villes du monde sont largement concentrées
dans les économies les plus développés. L'auteur
explique aussi que les plus grandes villes du monde se trouvent
en Chine, ce qui est le cas depuis des siècles, il n'est
donc pas surprenant que la nation la plus peuplée du monde
et dotée de la deuxième économie mondiale compte
les plus grandes villes du monde. Il exagère aussi l'ampleur
de la croissance démographique du Kenya de 1989 à
1999 qui " a été absorbée dans les taudis
fétides et surpeuplés de Nairobi et de Mombasa ",
et décrit Séoul comme une ville qui croît à
un rythme effréné, alors qu'en fait sa population
a à peine augmenté. Mais ces erreurs et d'autres viennent
probablement de sources que l'auteur a jugées crédibles.
Planet of Slums est donc un ouvrage à lire de manière
critique. Le lecteur y trouvera une liste de problèmes qui
font l'objet de trop peu d'attention. Mais il faut aller au-delà,
là où les habitants de taudis s'organisent et renégocient
leur relation avec l'État, où des ONG locales et des
investisseurs soutiennent ces initiatives. Imaginez ce qu'il faut
changer dans les gouvernements nationaux et les institutions internationales
- et soutenez un avenir urbain différent de celui décrit
dans ce livre.
(Pour en savoir plus sur les activités des fédérations
mentionnées dans cet article, veuillez visiter www.sdinet.org.)
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