Je suis arrivée à San Salvador sous une chaleur torride,
mue par un sentiment d'excitation et d'anticipation. Une camionnette
nous attendait à l'aéroport pour nous conduire dans
nos " familles " - où nous devions passer la première
partie de notre séjour. Après avoir étudié
ce pays pendant plusieurs mois, j'étais prête à
tester mes connaissances en espagnol, à rencontrer les Salvadoriens
et à vivre dans une nouvelle culture. Assise dans la camionnette,
j'avais déjà le sentiment que ce voyage allait changer
ma vie.
J'étais venue, avec 14 autres étudiants, en voyage
d'immersion de deux semaines au Salvador, où DePaul University
est activement engagée dans le mouvement de justice sociale
depuis que les relations ont été établies en
1994. Le voyage d'études annuel a pour objectif d'approfondir
les connaissances des étudiants sur l'histoire et la culture
du pays et d'étudier des questions comme la guerre, la pauvreté,
la mondialisation et la spiritualité par une immersion culturelle
totale.
Lectures, conférences, rien n'aurait pu me préparer
à l'expérience que j'y ai connue. Lire des récits
historiques et analyser des statistiques est une chose, mettre des
visages sur les chiffres et toucher du doigt les problèmes
humains en est une autre. Selon les statistiques du Programme des
Nations Unies pour le développement (PNUD), 31,1 % des Salvadoriens
vivent avec moins d'un dollar par jour et 58 % avec moins de deux
dollars. Après une guerre civile meurtrière qui a
duré 12 ans, le pays a retrouvé la paix mais est confronté
à d'importants problèmes : crise économique
grave, chômage important entraînant une migration massive,
destruction causée par des catastrophes naturelles, insuffisance
des services publics abordables et violence des gangs. L'histoire
et les réalités quotidiennes sont particulièrement
difficiles. Pourtant, tous les lieux où je suis allée,
toutes les personnes que j'ai rencontrées pendant mon séjour
ont laissé en moi un grand sentiment d'espoir.
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Service
à la mémoire des victimes du massacre d'El Mozote
du 11 décembre 1981Photo/Molly Fitzpatrick |
Nous avons rencontré des producteurs de café à
APECAF - une coopérative de café du commerce équitable
- qui ont parlé des difficultés causées par l'effondrement
du marché mondial du café au cours des dernières
années. Mais, ils ont souligné qu'ils avaient réussi
à obtenir des meilleurs rendements pour leurs produits grâce
à la coopération et à leur mobilisation en tant
qu'organisation unie. À Nueva Generación XXI - une organisation
communautaire dirigée par des jeunes - les adolescents nous
ont parlé de leur lutte quotidienne contre la pauvreté
et la violence des gangs mais, au lieu de succomber à leur
environnement, ils ont canalisé leur énergie et ont
créé des programmes artistiques culturels, de formation
professionnelle et d'activités sportives pour leurs pairs.
Même la mère de ma famille d'accueil, Zoila, a exprimé
ses difficultés à élever seule ses enfants après
que son mari a émigré aux États-Unis pour soutenir
financièrement sa famille. Même s'ils ne se sont pas
vus depuis vingt ans, les liens familiaux sont restés étroits.
Elle m'a montré les nombreuses lettres qu'il lui a envoyées
au cours des années, des centaines de lettres attachées
par un ruban qu'elle garde précieusement sous son lit. Et il
n'en manque pas une.
Après avoir passé une semaine à San Salvador,
nous nous sommes rendus dans plusieurs communautés rurales
- une visite qui a eu un effet très profond sur moi. Alors
que nous roulions sur le chemin de terre pour nous rendre à
Copopayo, j'ai commencé à me faire une idée de
la situation des pauvres ruraux. Cela faisait des kilomètres
que nous avions passé le dernier établissement et bien
plus encore depuis que nous avions traversé une ville. Il était
clair qu'on n'avait pas pris la peine de développer les transports
publics pour desservir ces régions. À notre arrivée,
le village semblait vide et sans vie, pourtant plusieurs villageois
et un groupe d'enfants sont venus nous saluer pendant que nous déchargions
la camionnette.
Le matin, nous avons fait le tour de la ville et rencontré
des membres de la communauté. Les villageois nous ont accueillis
chaleureusement chez eux. Rudimentaires mais confortables, les petites
structures contenaient quelques meubles pratiques, parfois quelques
bibelots ou des photos. Les habitations étant sans plomberie
intérieure, comme elles l'ont toujours été,
les toilettes sont des cabanes en plastique construites entre les
arbres. Nous avons vu les champs où les villageois travaillent
laborieusement utilisant les outils les plus rudimentaires pour
cultiver des sols surexploités. La majorité pratiquent
l'agriculture de subsistance, le surplus étant vendu sur
un marché éloigné. J'ai rapidement remarqué
qu'il n'y avait pas d'hommes jeunes. Ils ont tous quitté
le village à la recherche d'un emploi dans les villes du
Salvador ou ont effectué le long périple jusqu'aux
États-Unis pour gagner de l'argent et l'envoyer à
leur famille.
Il va sans dire que cette visite m'a ouvert les yeux. Américaine,
j'oublie souvent que la plupart des gens qui vivent sur notre planète
n'ont pas le même niveau de vie que le nôtre. Ce qui
m'a encore plus surprise, c'est la générosité
et l'hospitalité de ces gens. Bien que possédant peu
de choses, ils étaient prêts à partager sans
réserve ce qu'ils avaient. Pour le déjeuner, on nous
a servi du poulet - un mets rare dans ce pays - réservé
seulement pour les occasions spéciales.
L'après-midi, mes camarades et moi avons traversé
le lac aux eaux limpides en direction du " vieux Copopayo "
dans des barques en fibre de verre accompagnés de trois aînés
du village. Au bord d'une rive magnifique, ils nous ont raconté
l'histoire du massacre qui a eu lieu à cet endroit, il y
a deux décennies. Nous nous trouvions à l'endroit
même où les soldats salvadoriens avaient massacré
plus de 400 paysans innocents. L'un des aînés, un survivant,
nous a dit qu'il avait traîné les corps un par un jusqu'en
haut de la colline, alors que la guerre faisait rage, pour les mettre
à l'abri dans un cimetière communal. Pour y parvenir,
nous avons marché au milieu de ruines envahies par l'herbe
qui ont été jadis leurs maisons. Cela a été
l'expérience la plus forte de ma vie. Dire que cela c'était
passé pendant ma vie et que si j'étais née
dans une région différente, j'aurais grandi en pleine
guerre, et mon nom aurait très bien pu être l'un de
ceux qui étaient gravés sur les petites croix en bois.
La visite dans le vieux Copopayo a été un moment propice
à la réflexion. Le soir, la communauté nous
a invités à une fête. Dansant et chantant sous
le ciel étoilé, je n'arrivais pas à croire
que ces personnes étaient celles qui avaient perdu une mère,
un père, des frères, des surs - enfants, époux,
amis - dans ce massacre. Je ressentais vivement le poids de leurs
souffrances, mais elles étaient pourtant parmi nous, elles
dansaient, chantaient, riaient, étaient capables de surmonter,
même pour un bref moment, leurs tragédies et leurs
souffrances pour célébrer la vie. Elles avaient subi
des pertes personnelles, connu la guerre civile meurtrière
et la pauvreté, mais elles n'étaient pas vaincues
- loin de s'apitoyer sur leur sort, elles se montraient pleines
d'espoir et de force.
L'avenir du Salvador est prometteur. Depuis les accords de paix
signés il y a un peu plus de dix ans qui ont mis fin à
la guerre civile, les indicateurs de pauvreté ont été
considérablement réduits. La qualité de la
vie s'est améliorée de manière constante et
le pays devrait atteindre les Objectifs du Millénaire pour
le développement. Cette année, il vient de rejoindre
l'Initiative de développement des entreprises durables du
PNUD, un bureau de courtage y étant établi pour attirer
les entreprises occidentales.
Plusieurs institutions non associées à l'initiative
se sont également engagées à aider les pauvres
du pays, de manière profitable et responsable, et l'expérience
a été couronnée de succès. La Scojo
Foundation, par exemple, a permis à des milliers de Salvadoriens
d'avoir accès aux soins de la vue à des prix abordables.
Une dizaine d'emplois ont été créés
pour les femmes après que Vision Entrepreneurs leur a offert
une formation pour apprendre à tester la vue et à
vendre des lunettes. De son côté Asociación
Infocentros a contribué à réduire la fracture
numérique en établissant des kiosques Internet dans
les quartiers pauvres et en formant la population locale aux technologies
de l'informatique. Même Cesa, une entreprise de ciment salvadorienne,
a adopté un modèle commercial " favorable aux
pauvres ", améliorant la productivité et la sécurité
des entrepreneurs locaux. En facilitant le passage entre la fabrication
des briques en terre cuite et celle des briques en ciment, Cessa
a permis aux producteurs d'augmenter leurs ventes et a considérablement
réduit le risque de maladie de l'appareil respiratoire causée
par l'inhalation de fumée. Ce sont quelques-unes des solutions
innovatrices " favorables aux pauvres " qui ont été
proposées au Salvador au cours des dernières années.
L'été dernier, de retour d'un voyage d'études
en Amérique latine, je m'y suis arrêtée pour
une semaine. Je suis allée en premier lieu rendre visite
à ma famille salvadorienne, qui m'avait si bien reçue.
Quand je suis arrivée, j'ai remarqué que la porte
d'entrée avait été récemment repeinte.
Les petits-fils de Zoila m'attendaient, déjà grands
depuis les deux ans que je ne les avais pas vus. Zoila avait pris
un jour de congé pour passer la journée avec moi.
Elle m'a fièrement montré une lettre indiquant que
son crédit logement avait été entièrement
remboursé, ainsi qu'une facture médicale très
élevée suite à une grave maladie dont avait
souffert sa fille il y a quelques années. Elle m'a aussi
annoncé la visite prochaine de son mari au cours de l'été
- la première fois qu'ils allaient se revoir en vingt ans!
- et sa fille allait bientôt être titulaire d'un diplôme
universitaire. Tout semblait aller bien pour elle et j'étais
heureuse de voir qu'après tant d'années de souffrances,
l'avenir de la famille était plus prometteur.
Avec les coopératives de café organisées par
les travailleurs locaux, les initiatives actuelles favorables aux
pauvres, les OMD, le Programme de développement d'entreprises
durables, le Salvador s'engage sur la voie d'un avenir plus prospère
et plus prometteur.
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