Le 3 mai 2006, les résidents d'une communauté de
squatters au Cambodge ont reçu l'ordre de quitter les lieux
pour être réinstallés dans une nouvelle zone
à 23 kilomètres de Phnom Penh, connue sous le nom
de Village Trapaing Ang Chagn. L'ordre était simple : "
Rassemblez vos biens et soyez prêts à partir, vous
ne pouvez plus rester ici. " Ce terrain devait servir à
la construction d'un centre commercial.
La zone de taudis, autrefois un amas de maisons entassées
pêle-mêle, construites avec des bouts de métal
rouillé, de bambou et des bâches en plastique, entrait
dans une nouvelle phase au moment où les habitants devaient
démonter les maisons et les abris où ils avaient vécu
pendant plus de cinq ans. Face à l'incertitude, ils attendaient,
entassés dans des abris de fortune temporaires, de pouvoir
charger leurs biens dans les camions qui les emmèneraient
vers leur nouveau lieu d'habitation. La saison des pluies ayant
déjà commencé, des bâches en plastique
et des morceaux de métal étaient installés
pour les protéger de la pluie. Des lattes de bambou étaient
placées sur le sol pour protéger leurs biens. Un petit
garçon marchait dans la boue, le torse nu, transportant un
fagot de bois qu'il avait réussi à récupérer
dans une zone vidée de ses habitants.
Un bulldozer nivelait déjà le sol, s'avançant
vers les habitants qui attendaient d'être évacués.
On chargeait le camion de tables et de d'affaires personnelles.
Certains regardaient la scène avec incrédulité.
Un homme s'est arrêté près de moi et m'a dit
: " Ils ne perdent pas de temps pour que le terrain soit prêt
à construire. Regardez ça
ils démolissent
avant même qu'on soit parti. " La police et les gardiens
de sécurité circulaient dans la foule, veillant à
ce que personne ne protestât, prêts à faire usage
de leurs matraques en cas de problème. En général,
les habitants ont accepté la situation pacifiquement, conscients
qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de partir.
Alors
que je m'avançais dans la foule, mon interprète m'a
dit que les gens exprimaient leurs opinions à voix basse
: " Nous avons voté pour ce gouvernement et maintenant
ils nous obligent à partir. Ils ont eu nos voix et voyez,
ils nous expulsent. " Kim Seng, 45 ans, est assis devant sa
petite tente, le chapeau enfoncé sur la tête pour le
protéger du soleil. Ses affaires prennent presque toute la
place à l'intérieur. " J'ai vécu ici pendant
quatre ans. Nous sommes quatre dans la famille. On vendait des légumes
dans la communauté et cela suffisait pour vivre. Je ne sais
pas ce qui nous attend maintenant. C'est une nouvelle communauté,
il faudra s'y s'adapter. Il ne sera pas facile de trouver du travail,
mais je suis sûr que nous nous en sortirons. Mais je suis
inquiet. Nous sommes nombreux à avoir été déplacés.
Comment pouvons-nous gagner l'argent nécessaire pour vivre
? "
Noun
Khoun, 48 ans, est assis avec sa famille sous une grande bâche.
Sa femme, le bras couvrant son visage, est allongée sur leurs
paquets. Ses trois enfants, âgés de 6 à 11 ans,
sont assis près de leur mère, regardant les gens transporter
leurs affaires et s'installer pour attendre l'arrivée des
camions. N. Khoun, qui était journalier à la ville,
ne sait pas ce qu'il fera une fois qu'ils auront changé de
lieu. " Notre adaptation va prendre un certain temps, mais
d'une certaine façon, c'est bien. Le terrain qu'on nous donnera
nous appartiendra dans cinq ans. Le terrain d'ici n'était
pas à nous. C'est pourquoi il faut qu'on parte maintenant.
On est resté aussi longtemps que possible et maintenant il
est temps de laisser la place. Au Cambodge, on a l'habitude d'être
déplacés - à cause de la guerre et, après,
à cause de la pauvreté - nous avons appris à
survivre. Nous sommes peut-être des gens pauvres, mais nous
sommes fiers et dignes. Même les gens pauvres ont le droit
de vivre en paix. "
Koam
Phou (en bas, à gauche), assise sous une bâche en plastique
dans une chaleur écrasante, arrache des clous rouillés
de vieilles planches en bois et les empile près d'elle. Un
jeune garçon passant par là s'est arrêté
pour lui prêter main-forte. Souriant, il a pris des pinces,
un morceau de bois, a arraché un clou et l'a jeté
dans une pile pour être réutilisé plus tard.
" Je suis triste d'être ici ", a confié Koam
Phou, 48 ans. " Je suis seule et n'ai aucune possibilité
de gagner ma vie. Quand je regarde autour de moi, tout me paraît
vide. C'est comme si j'étais dans un rêve. Je me demande
: pourquoi moi ? Pourquoi les pauvres doivent-ils souffrir ? Nous
sommes pauvres toute notre vie et tout ce que nous essayons de faire
est de survivre jour après jour. Quand un pauvre doit quitter
sa maison comme ça, ce n'est jamais une bonne nouvelle. Au
moins là où on était, on pouvait gagner de
l'argent. Maintenant, on ne sait pas ce qu'on va faire. "
Koam Phou a vécu plus de cinq ans dans une communauté
de squatters près de la rivière Tonle Basac, où
plus de 1 000 familles vivaient dans de simples maisons de fortune
construites avec des matériaux de récupération
résistant à la pluie et à la chaleur. "
Qu'allons-nous faire une fois là-bas ? Avant, je vendais
des crustacés et je gagnais assez pour vivre et pourvoir
à l'éducation de mon fils. " Elle est arrivée
dans la nouvelle zone d'habitation depuis deux jours. Son fils aîné
est venu l'aider à installer un abri temporaire avant de
retourner à la ville. " Ici, il n'y a rien. Comment
survivrons-nous ? Comment allons-nous gagner de l'argent ? Il n'y
a pas d'usine près d'ici où je peux travailler. On
nous a conduit ici et on nous a dit d'y rester ", a-t-elle
expliqué. " Je vais terminer d'installer cette tente
ici, puis s'il le faut, j'irai en ville pour travailler. Nous n'avons
pas le choix. S'ils voulaient nous expulser, ils auraient dû
mieux s'y prendre, nous offrir du travail ou un moyen d'aller en
ville pour travailler en usine.
Lor
Sam (en bas à droite), 57 ans, m'a demandé de venir
dans son abri alors que je prenais des photos d'une famille de sept
personnes qui venait d'arriver le jour précédent.
Elle a les cheveux courts, le visage marqué par des années
de dur labeur. Elle habite dans un simple abri construit en bois,
en plastique avec des pilotis en bambou, qui lui offre peu de protection
contre la pluie et le vent, surtout en fin d'après-midi,
mais c'est tout ce qu'elle peut s'offrir pour le moment. "
J'ai six enfants, dont trois vivent ici avec moi. Les trois autres
sont mariés et vivent à Phnom Penh. Je suis pas sûre
qu'ils puissent nous aider car ils sont pauvres aussi ", a-t-elle
dit. " Nous sommes tous très en colère. On nous
a amenés ici, on nous a donné 20 kg de riz, quelques
bâches en plastique et un jerrycan d'eau. Comment pouvons-nous
gagner notre vie ici ? Le peu d'argent que nous avons sera vite
dépensé. Pour l'instant, nous n'avons aucune possibilité
de gagner de l'argent. Si on tombe malade, comment fera-t-on pour
payer ? Si nous ne recevons aucune aide, cela va poser un grave
problème. Je ne compte pas rester longtemps ici. Il faut
que je trouve du travail à la ville et trouve le moyen de
revenir ici tous les deux ou trois jours ", a-t-elle poursuivi.
Dans toute la communauté, les critiques étaient identiques.
Leurs maisons, comme celles qu'ils venaient de quitter, sont construites
de morceaux de bois récupérés, de bouts de
métal et de bambous. La route principale est à plusieurs
kilomètres, mais peu de familles disposent d'un moyen de
transport. Et étant donné qu'aucun plan n'est prévu
en matière de transport public, ces gens ont peu de chances
de gagner leur vie. Les nombreuses veuves que j'ai rencontrées
se sont plaintes de la solitude, loin des membres de leur famille
qui vivent à la ville. Elles n'ont pas d'autre choix que
de partir et ne savent pas ce que sera leur sort dans les semaines
et les mois à venir.
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