Chronique ONU

EXPULSÉS, ILS ONT PERDU TOUT ESPOIR

Texte et photos de Mikel Flamm

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L'article

Le 3 mai 2006, les résidents d'une communauté de squatters au Cambodge ont reçu l'ordre de quitter les lieux pour être réinstallés dans une nouvelle zone à 23 kilomètres de Phnom Penh, connue sous le nom de Village Trapaing Ang Chagn. L'ordre était simple : " Rassemblez vos biens et soyez prêts à partir, vous ne pouvez plus rester ici. " Ce terrain devait servir à la construction d'un centre commercial.
La zone de taudis, autrefois un amas de maisons entassées pêle-mêle, construites avec des bouts de métal rouillé, de bambou et des bâches en plastique, entrait dans une nouvelle phase au moment où les habitants devaient démonter les maisons et les abris où ils avaient vécu pendant plus de cinq ans. Face à l'incertitude, ils attendaient, entassés dans des abris de fortune temporaires, de pouvoir charger leurs biens dans les camions qui les emmèneraient vers leur nouveau lieu d'habitation. La saison des pluies ayant déjà commencé, des bâches en plastique et des morceaux de métal étaient installés pour les protéger de la pluie. Des lattes de bambou étaient placées sur le sol pour protéger leurs biens. Un petit garçon marchait dans la boue, le torse nu, transportant un fagot de bois qu'il avait réussi à récupérer dans une zone vidée de ses habitants.

Un bulldozer nivelait déjà le sol, s'avançant vers les habitants qui attendaient d'être évacués. On chargeait le camion de tables et de d'affaires personnelles. Certains regardaient la scène avec incrédulité. Un homme s'est arrêté près de moi et m'a dit : " Ils ne perdent pas de temps pour que le terrain soit prêt à construire. Regardez ça… ils démolissent avant même qu'on soit parti. " La police et les gardiens de sécurité circulaient dans la foule, veillant à ce que personne ne protestât, prêts à faire usage de leurs matraques en cas de problème. En général, les habitants ont accepté la situation pacifiquement, conscients qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de partir.

Alors que je m'avançais dans la foule, mon interprète m'a dit que les gens exprimaient leurs opinions à voix basse : " Nous avons voté pour ce gouvernement et maintenant ils nous obligent à partir. Ils ont eu nos voix et voyez, ils nous expulsent. " Kim Seng, 45 ans, est assis devant sa petite tente, le chapeau enfoncé sur la tête pour le protéger du soleil. Ses affaires prennent presque toute la place à l'intérieur. " J'ai vécu ici pendant quatre ans. Nous sommes quatre dans la famille. On vendait des légumes dans la communauté et cela suffisait pour vivre. Je ne sais pas ce qui nous attend maintenant. C'est une nouvelle communauté, il faudra s'y s'adapter. Il ne sera pas facile de trouver du travail, mais je suis sûr que nous nous en sortirons. Mais je suis inquiet. Nous sommes nombreux à avoir été déplacés. Comment pouvons-nous gagner l'argent nécessaire pour vivre ? "

Noun Khoun, 48 ans, est assis avec sa famille sous une grande bâche. Sa femme, le bras couvrant son visage, est allongée sur leurs paquets. Ses trois enfants, âgés de 6 à 11 ans, sont assis près de leur mère, regardant les gens transporter leurs affaires et s'installer pour attendre l'arrivée des camions. N. Khoun, qui était journalier à la ville, ne sait pas ce qu'il fera une fois qu'ils auront changé de lieu. " Notre adaptation va prendre un certain temps, mais d'une certaine façon, c'est bien. Le terrain qu'on nous donnera nous appartiendra dans cinq ans. Le terrain d'ici n'était pas à nous. C'est pourquoi il faut qu'on parte maintenant. On est resté aussi longtemps que possible et maintenant il est temps de laisser la place. Au Cambodge, on a l'habitude d'être déplacés - à cause de la guerre et, après, à cause de la pauvreté - nous avons appris à survivre. Nous sommes peut-être des gens pauvres, mais nous sommes fiers et dignes. Même les gens pauvres ont le droit de vivre en paix. "

Koam Phou (en bas, à gauche), assise sous une bâche en plastique dans une chaleur écrasante, arrache des clous rouillés de vieilles planches en bois et les empile près d'elle. Un jeune garçon passant par là s'est arrêté pour lui prêter main-forte. Souriant, il a pris des pinces, un morceau de bois, a arraché un clou et l'a jeté dans une pile pour être réutilisé plus tard. " Je suis triste d'être ici ", a confié Koam Phou, 48 ans. " Je suis seule et n'ai aucune possibilité de gagner ma vie. Quand je regarde autour de moi, tout me paraît vide. C'est comme si j'étais dans un rêve. Je me demande : pourquoi moi ? Pourquoi les pauvres doivent-ils souffrir ? Nous sommes pauvres toute notre vie et tout ce que nous essayons de faire est de survivre jour après jour. Quand un pauvre doit quitter sa maison comme ça, ce n'est jamais une bonne nouvelle. Au moins là où on était, on pouvait gagner de l'argent. Maintenant, on ne sait pas ce qu'on va faire. "

Koam Phou a vécu plus de cinq ans dans une communauté de squatters près de la rivière Tonle Basac, où plus de 1 000 familles vivaient dans de simples maisons de fortune construites avec des matériaux de récupération résistant à la pluie et à la chaleur. " Qu'allons-nous faire une fois là-bas ? Avant, je vendais des crustacés et je gagnais assez pour vivre et pourvoir à l'éducation de mon fils. " Elle est arrivée dans la nouvelle zone d'habitation depuis deux jours. Son fils aîné est venu l'aider à installer un abri temporaire avant de retourner à la ville. " Ici, il n'y a rien. Comment survivrons-nous ? Comment allons-nous gagner de l'argent ? Il n'y a pas d'usine près d'ici où je peux travailler. On nous a conduit ici et on nous a dit d'y rester ", a-t-elle expliqué. " Je vais terminer d'installer cette tente ici, puis s'il le faut, j'irai en ville pour travailler. Nous n'avons pas le choix. S'ils voulaient nous expulser, ils auraient dû mieux s'y prendre, nous offrir du travail ou un moyen d'aller en ville pour travailler en usine.

Lor Sam (en bas à droite), 57 ans, m'a demandé de venir dans son abri alors que je prenais des photos d'une famille de sept personnes qui venait d'arriver le jour précédent. Elle a les cheveux courts, le visage marqué par des années de dur labeur. Elle habite dans un simple abri construit en bois, en plastique avec des pilotis en bambou, qui lui offre peu de protection contre la pluie et le vent, surtout en fin d'après-midi, mais c'est tout ce qu'elle peut s'offrir pour le moment. " J'ai six enfants, dont trois vivent ici avec moi. Les trois autres sont mariés et vivent à Phnom Penh. Je suis pas sûre qu'ils puissent nous aider car ils sont pauvres aussi ", a-t-elle dit. " Nous sommes tous très en colère. On nous a amenés ici, on nous a donné 20 kg de riz, quelques bâches en plastique et un jerrycan d'eau. Comment pouvons-nous gagner notre vie ici ? Le peu d'argent que nous avons sera vite dépensé. Pour l'instant, nous n'avons aucune possibilité de gagner de l'argent. Si on tombe malade, comment fera-t-on pour payer ? Si nous ne recevons aucune aide, cela va poser un grave problème. Je ne compte pas rester longtemps ici. Il faut que je trouve du travail à la ville et trouve le moyen de revenir ici tous les deux ou trois jours ", a-t-elle poursuivi.

Dans toute la communauté, les critiques étaient identiques. Leurs maisons, comme celles qu'ils venaient de quitter, sont construites de morceaux de bois récupérés, de bouts de métal et de bambous. La route principale est à plusieurs kilomètres, mais peu de familles disposent d'un moyen de transport. Et étant donné qu'aucun plan n'est prévu en matière de transport public, ces gens ont peu de chances de gagner leur vie. Les nombreuses veuves que j'ai rencontrées se sont plaintes de la solitude, loin des membres de leur famille qui vivent à la ville. Elles n'ont pas d'autre choix que de partir et ne savent pas ce que sera leur sort dans les semaines et les mois à venir.



 

Biographie
Mikel Flamm est un photojournaliste établi à Bangkok, en Thaïlande. Il est conseiller pour Habitat for Humanity International et a travaillé pour Getty Images.
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