La diversité ethnique est une mine de possibilités.
La richesse des points de vue et des expériences apporte
une variété d'idées, de perspectives, de connaissances
et de compétences qui peuvent améliorer de manière
significative la capacité d'une communauté à
prospérer. Toutefois, les avantages que cette diversité
peut apporter au développement dépendent du niveau
de cohésion de la communauté. Les sociétés
qui atteignent un niveau élevé de cohésion
sociale sont bien situées pour réaliser leur potentiel
social et économique.
Trop souvent, cependant, la diversité est devenue la source
de problèmes plutôt qu'une force de développement
social et économique. Partout dans le monde, les tensions
ethniques s'intensifient. La division de la société
en factions adverses, segmentée en une multitude de communautés,
a un impact négatif sur la vie de nos communautés.
Les événements récents au Moyen-Orient illustrent
les problèmes engendrés par le manque d'unité
et leur impact sur le fonctionnement et le développement
d'une région.
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Même si la diversité ethnique a souvent entraîné
des troubles civils et la déstabilisation, ce n'est pas tant
elle qui est la cause du conflit que le manque de cohésion
sociale entre les groupes ethniques. La diversité ethnique
n'est, en soi, ni bénéfique ni néfaste au développement;
elle permet à la fois le développement et la détérioration
d'une communauté. Malheureusement, la plupart des sociétés
n'ont pas réussi à instaurer et à préserver
une cohésion sociale suffisante pour empêcher la désintégration
des communautés et tirer profit du potentiel positif de leur
diversité.
Le conflit ethnique apparaît comme un facteur essentiel contribuant
à la désintégration sociale et économique
dans de nombreuses régions du monde. De nombreuses études
ont traité l'impact de la cohésion sociale sur le
développement économique durable - le processus selon
lequel le niveau du capital par habitant des générations
futures est au moins égal à celui de la génération
actuelle. Traditionnellement, le terme capital comprend le capital
naturel, physique et humain; ceci, toutefois, n'est qu'une partie
du processus de développement économique. Un autre
aspect a été négligé : la manière
dont les acteurs économiques interagissent et s'organisent
pour générer la croissance, c'est-à-dire par
le biais du capital social, qui fait référence au
niveau de cohésion sociale et aux normes qui régissent
les relations entre les peuples et les institutions. La Banque mondiale
décrit le capital social comme " la colle qui fait tenir
les sociétés ensemble et sans laquelle il ne peut
y avoir de croissance économique ni de bien-être social1
".
Le capital social apporte de nom-breux avantages sociaux et économiques
spécifiques. Les études montrent que les communautés
dont le capital social est élevé connaissent une réduction
des conflits sociaux, de meilleurs résultats scolaires, une
baisse de la criminalité et de la violence, une plus grande
efficacité du gouvernement, une meilleure santé publique,
un allègement de la pau-vreté et une croissance économique
plus rapide. Le commentateur social Francis Fukuyama estime que
les économies qui ont un capital social élevé
domineront le XXIe siècle.
En ce qui concerne les États-Unis, les études indiquent
que ce pays a connu une érosion du capital social au cours
des dernières décennies, les citoyens et les communautés
étant de plus en plus déconnectés les uns des
autres. Quelle que soit la race ou l'ethnie, beaucoup partagent
le même sentiment de déception et de frustration devant
l'échec des efforts menés par les uns et les autres
au cours des dernières décennies pour améliorer
les relations interethniques et interraciales. Pour rationaliser
cet échec, nombre de personnes se sont repliées sur
le terrain plus familier de la ségrégation raciale
et ethnique. En conséquence, comme certains chercheurs l'ont
montré, la ségrégation raciale aux États-Unis
n'a jamais été aussi forte depuis le siècle
dernier.
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Réunion
d'un groupe PHOTO REPRODUITE AVEC L'AUTORISATION DE DASH DOUGLAS |
Pour lutter contre la polarisation ethnique croissante dans la ville
de Rochester (État de New York), le maire, William A. Johnson,
a lancé en 2001 le Mosaic Partnerships Program2. Son objectif
n'était pas de résoudre les conflits sociaux mais
de les prévenir en créant, en développant et
en soutenant les composantes de base d'une communauté - c'est-à-dire
en instaurant des relations de confiance parmi les personnes et
les groupes. Devant le succès du programme à encourager
la cohésion sociale au-delà des barrières raciales
et ethniques, d'autres villes américaines l'ont adopté,
comme Greensboro (Caroline du Nord) et Milwaukee (Wisconsin). L'objectif
est de stimuler un changement culturel - de créer une communauté
fondée sur le partage des valeurs, sur les principes d'inclusion
et d'intégration sociale. Étant donné que la
mise en place de changements systématiques et durables nécessite
un leadership cohérent, le Mosaic Program se concentre sur
les leaders d'opinion d'une communauté, des membres respectés
et dignes de confiance ayant d'importants réseaux sociaux
sur lesquels ils exercent une grande influence. Ils donnent le feu
vert à la communauté et servent de catalyseur à
la diffusion du concept Mosaic.
Le Mosaic Program réunit des leaders d'ethnies différentes
et les guide au travers d'un processus d'un an où ils apprennent
à développer des relations et à établir
la confiance, ce qui les encourage à aller au-delà
de leur environnement et de se lier avec des personnes qu'ils ne
rencontraient pas habituellement, étant issues de groupes
ethniques différents. Cela leur permet de voir le monde au
travers le regard d'un autre leader, dont les points de vue sont
probablement très différents des leurs, et change
la manière dont ils construisent leurs relations dans leur
vie. Ils apprennent à reconnaître, à comprendre
leurs points communs et même à se rallier autour d'eux,
au lieu de laisser leurs différences entraver le développement
des relations. Lorsqu'une relation de confiance s'instaure, les
leaders ouvrent leurs réseaux sociaux les uns aux autres,
ce qui permet l'intégration des groupes ethniques qui vivaient
auparavant en vase clos.
Le processus Mosaic a réussi à connecter divers groupes
de personnes au sein d'une communauté et a renforcé
les " faibles liens " qui sont à la base du progrès
social et économique d'une communauté. Ces relations
sont plus distantes, tandis que les liens forts sont établis
avec des personnes partageant un milieu sociologique semblable au
leur, comme la famille, les amis intimes, les associés. Alors
que les relations étroites présentent des avantages
dans une communauté car elles soutiennent la solidarité,
ce sont les relations épisodiques, irrégulières
qui sont les mécanismes essentiels pour mobiliser les ressources,
les idées et l'information, que ce soit pour rechercher un
emploi, résoudre un problème, répondre à
une crise, lancer un nouveau produit, rechercher un service, établir
une nouvelle entreprise, etc. Ce type de relations est également
essentiel à l'environnement créatif d'une communauté,
car elles facilitent l'intégration rapide des nouvelles personnes
et l'absorption des nouvelles idées. La cohésion sociale
engendrée par les liens faibles réduira les risques
de conflits ethniques et favorisera le développement économique
durable.
Nous ne pouvons plus accepter le désengagement social et
la séparation sociale des divers éléments de
la société. Les sociétés composées
de plusieurs ethnies sont sujettes aux troubles civils et à
l'instabilité, ce qui entrave le processus social et économique
de nos communautés ainsi que le développement durable.
Pour résoudre ce problème social fondamental, il faut
un changement organique qui repose sur la reconnaissance commune
de notre unicité humaine. L'objectif de Mosaic Partnerships
est d'encourager cette reconnaissance et de construire l'unité
dans la diversité, deux par deux, en tant que base de la
transformation sociale. Pour réaliser ce projet, il faut
combler la distance sociale et émotionnelle qui existe entre
les personnes appartenant à des ethnies différentes
par une association étroite et la création de liens
entre les individus. Les communautés qui renforcent intentionnellement
et systématiquement les liens de confiance entre les peuples
issus d'ethnies différentes élèvent leur niveau
de cohésion sociale, ce qui leur permet de tirer profit des
avantages de la diversité tout en réduisant les risques
de conflit destructeurs.
Les décideurs politiques ne peuvent pas légiférer
la cohésion sociale et les relations de confiance. En même
temps, on ne peut ignorer le fait que la cohésion sociale
prévient les risques de conflit et encourage le développement
durable. La mise en place des politiques visant à promouvoir
le développement du capital social doit donc être une
priorité. Il faut que les législateurs intègrent
dans la planification du développement des communautés
des manières innovantes de construire le capital social afin
qu'il soit étroitement intégré dans tous les
aspects de la vie de la communauté.
Notes
1. Grootaert, C. 1998. Social Capital: The Missing Link?
Dossier de travail n° 3 sur l'initiative du capital social,
Banque mondiale.
2. Robert Rosenfeld, président et président-directeur
général d'Idea Connection Systems, Inc. a créé
et conçu Mosaic Partnerships.
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