Quand son père a été nommé Chargé
d'affaires à la Mission de Djibouti, Dounia Dorani et sa
famille sont allés vivre en Arabie saoudite. Elle avait un
an. Nee à Djibouti, elle était trop jeune pour connaître
son pays d'origine avant d'être immergée dans la culture
saoudienne. Le travail de son père a fait d'elle une enfant
internationale - l'incarnation de la vision de son travail ainsi
que des autres fonctionnaires civils internationaux.
" Nous sommes arrivés aux États-Unis avec deux
valises. J'avais deux ans ", se souvient Dounia, aujourd'hui
âgée de 21 ans. L'une des premières impressions
des États-Unis a été la diversité des
gens de couleur. " Avant, on avait vu des gens à la
peau mate et des Noirs, mais jamais des Asiatiques ou des Blancs.
C'était un choc culturel. Nous venions d'un petit pays où
tout le monde se connaissait. Il y avait tellement de gens ici.
Certains s'adressaient à nous avec politesse, d'autres avec
agressivité. On n'était pas habitué à
ça. "
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PHOTOS
REPRODUITES AVEC L'AUTORISATION DE DOROTHY DAVIES |
Son frère cadet, Seif, est également né à
Djibouti et le plus jeune, Anas, à New York. Comme c'est souvent
le cas des enfants internationaux, les questions " Où
es-tu né ? " et " Pourquoi es-tu né là
? " donnent lieu à des réponses non conventionnelles.
Cependant, la question fondamentale qu'ils se posent, parfois toute
leur vie, est : " En dehors de ma famille immédiate et
des familles comme la mienne, où est ma place ? "
Ces questions que se posent les enfants de fonctionnaires internationaux
comme moi me sont familières. Je fais partie de la première
génération d'enfants qui a voyagé dans le monde
suite à la création des Nations Unies, après
les mouvements d'indépendance dans le monde et les mouvements
des droits civils aux États-Unis. Je suis née dans une
maternité à Monrovia, au Liberia, de parents américains,
qui travaillaient au service diplomatique des États-Unis. Contrairement
aux autres femmes qui sont rentrées dans leur pays pour accoucher,
ma mère a fait confiance aux Libériens, même quand
il y a eu des complications.
Même si je suis citoyenne américaine de naissance, mon
identité a toujours été la somme de mes expériences,
n'apercevant pas le monde qui m'entourait à travers un écran
culturel américain. D'un autre côté, mes parents
ont pu devenir adultes dans une culture avant de se consacrer à
la diplomatie. À cet égard, j'ai été élevée
comme Dounia, bien qu'une génération nous sépare
et que nous venions de pays différents.
Puisque le Liberia est mon point d'entrée dans le monde, il
est devenu inconsciemment l'étalon à l'aune duquel j'ai
mesuré les cultures et les points de vue durant les quatre
années passées aux postes suivants : en Tunisie, nouvellement
indépendante, aux États-Unis, du début jusqu'au
milieu des années 60, et au Nigeria, alternant des étés
et des vacances au Liberia et aux États-Unis, tout en poursuivant
mes études à l'école internationale de Genève.
Toutes ces expériences ont enrichi ma vie avant que je ne m'installe
à 17 ans de manière plus permanente dans mon pays de
citoyenneté - les États-Unis - au plus fort de la révolution
socioculturelle des années 1970.
Comment un enfant international passe-t-il d'une culture à
l'autre ? D'abord, la plupart d'entre nous développent inconsciemment
la faculté de recevoir et d'interpréter les données
culturelles et les signaux qui nous entourent et d'y répondre.
Cela constitue donc notre technique de survie première et inhérente
- avec ou sans nos familles pendant les années de formation,
c'est-à-dire de l'enfance à la fin de l'adolescence
- ce qui nous est très familier et très étranger,
y compris dans notre pays de citoyenneté. " Djibouti est
mon pays. L'Amérique est mon pays de résidence ",
explique Dounia. " Je n'ai pas eu de véritable enfance
dans ce pays. Les souvenirs remontent à mon enfance et mon
enfance s'est déroulée ici ", souligne-t-elle.
On construit sur ce que l'on sait et on devient les interprètes
de ce que l'on apprend.
" J'ai appris à ne pas juger immédiatement une
personne ", explique Anas, 15 ans. " Je me souviens de ce
nouveau venu qui voulait se joindre à l'équipe de foot.
Il était à moitié nigérien, à moitié
chinois. Mes copains pensaient qu'il ne savait pas jouer. Je leur
ai dit de lui donner une chance et de l'accepter dans l'équipe.
Il est devenu meilleur qu'eux et ils ne peuvent plus rien dire contre
lui maintenant. " Anas a connu une période très
difficile après le 11 septembre (2001). " Mes copains
de Roosevelt Island savaient que j'étais musulman. Après
le 11 septembre, ils étaient sûrs que tous les musulmans
étaient des terroristes. Sur le terrain de foot, ils se liguaient
contre mon frère et moi parce que nous étions musulmans.
Ils nous sanctionnaient toujours sans raison. Nous avons traversé
une période difficile. Nos copains ont fini par revenir. "
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Dounia
et ses deux frères, Seif et Anas |
Il se souvient aussi des difficultés de son frère aîné,
Seif, à s'assimiler. " Chaque fois qu'il voulait jouer,
les autres enfants s'en prenaient à lui. Il se bagarrait. Le
jour suivant, il sortait et agissait comme si rien ne s'était
passé, et la même chose se produisait. À huit
ans, il a pris des cours de karaté. Cela lui a appris la discipline,
le respect et la tolérance ", explique-t-il. " Mon
frère est maintenant ceinture noire deuxième dan. Je
marche sur ses traces et suis ceinture noire junior première
dan. Grâce au sport, nous avons appris à inspirer le
respect. "
En tant qu'enfants internationaux, notre famille immédiate
est dépositaire de nos souvenirs et de nos expériences.
Quand nous parlons de ces expériences avec les autres membres
de notre famille et nos amis, très souvent, nous ne partageons
pas les mêmes points de vue car nous avons été
exposés à un environnement international et avons vécu
dans le cadre national de nos pays d'origine ou d'accueil. Cela cause
une certaine incompréhension qui nous force à trouver
des moyens pour combler l'écart. La seule chose qui nous soit
familière, c'est le contenu de nos valises et la routine de
notre vie de nomade. Et, une fois les valises déballées,
nous pouvons commencer en toute confiance le processus d'assimilation.
La vie des enfants internationaux, une fois installés dans
leur nouveau pays, peut être perturbée quand leurs parents
sont envoyés, sans eux, en mission dans un autre pays. Dans
mon cas, la guerre du Biafra a éclaté six mois après
que mon père était en poste au Nigeria. Mon frère
et moi avons été finalement autorisés à
lui rendre visite pendant les vacances scolaires, mais nous n'avons
pas pu aller à l'école à Lagos parce que l'école
américaine était située à côté
d'une garnison de l'armée. Dans le cas de Dounia et de ses
frères, leur père est entré aux Nations Unies
en avril 1997 et a été immédiatement transféré
à Bakou, en Azerbaïdjan, pendant quatre ans, dans un lieu
d'affectation déconseillé aux familles, puis au Caire,
en Égypte, pendant quatre autres années dans un lieu
d'affectation avec famille. Mais les enfants étant des adolescents
et ne voulant pas quitter leurs amis et la vie qu'ils avaient construite
à New York, ils rendaient visite à leur père
pendant les vacances scolaires. En 2005, M. Dorani a été
transféré au siège de l'ONU et a retrouvé
sa famille.
Cette expérience de vie amène les enfants internationaux
à redéfinir la richesse, non pas en termes d'accumulations
de biens mais en termes de rencontres, de perspectives et d'amitié.
Pourtant, à moins d'avoir des ressources indépendantes,
il est impossible de reproduire ce style de vie avec le salaire moyen
que touchent les fonctionnaires internationaux de retour dans leur
pays d'origine. Ce sont les paradoxes auxquels nous sommes confrontés
et que nous devons expliquer à notre famille élargie
et à nos amis qui n'ont pas connu la même chose.
Quand on s'est aperçu qu'elle avait des problèmes d'apprentissage,
Dounia a été envoyée à la Winston Preparatory
School. " Cette école, située dans un quartier
riche, accueillait plus d'enfants blancs. Il n'y avait pas autant
de diversité que dans les écoles précédentes.
Les filles que je côtoyais avaient de l'argent, mais aucune
ambition ni aucune compréhension de l'histoire et de la culture
", commente-t-elle. Elle se souvient d'une amie à qui
les parents donnaient beaucoup d'argent et achetaient tous les vêtements
et les bijoux qu'elle voulait, mais qui était quand même
malheureuse et a eu, plus tard, un problème de drogue. Reconnaissant
l'impact négatif que pouvait avoir cette relation, elle a mis
fin à leur amitié. Elle a aussi compris qu'être
riche ne signifiait pas que posséder une richesse matérielle.
Résumant son parcours, Dounia dit : " Je ne savais pas
qui j'étais avant d'aller à l'université. Pour
la première fois, j'ai dû prendre des décisions
et faire mes propres choix. Je sais maintenant la valeur de ce que
j'ai vécu. Il suffit parfois d'une personne pour tout changer.
Il faut toujours aider ceux qui vous ont encouragé parce que
quand vous revenez, vous pouvez aider leurs enfants. Cela permet de
briser le cycle de la pauvreté, de l'ignorance et de la dépendance.
Une voix peut faire la différence. "
Les leçons que nous avons apprises dans notre vie d'enfants
internationaux sont indélébiles et nous guident tout
au long de notre vie. Elles nous font involontairement les catalyseurs
du changement, nous forçant à redéfinir le sens
traditionnel de ce que nous devrions être, tout en laissant
ceux qui nous entourent être eux-mêmes.
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