Les difficultés et les
vicissitudes rencontrées par les migrants internationaux
font souvent la une de la presse populaire. Toutefois, il existe
un autre aspect de la migration qui peut être définie
comme la mobilité des " migrants hautement qualifiés
". Ils sont de loin moins nombreux, font face à
des règles d'immigration plus souples dans les pays développés
et représentent un potentiel économique plus important
dans le développement de nouvelles technologies et la
création d'activités, ainsi que le transfert international
du savoir et des meilleures pratiques. Ce processus est caractérisé
par la mobilité au-delà des frontières
nationales de spécialistes en technologie, de développeurs
de logiciels et de matériel informatique, de scientifiques,
d'entrepreneurs, de directeurs internationaux et d'autres professionnels.
Un projet réunissant l'Institut mondial pour la recherche
sur l'économie du développement de l'Université
des Nations Unies (UNU-WIDER) à Helsinski, en Finlande,
et la Commission économique pour l'Amérique latine
et les Caraïbes des Nations Unies (CEPALC) à Santiago,
au Chili, s'est penché sur ce phénomène
nommé la mobilité des compétences et en
a étudié la nature, les causes et les conséquences
sur le développement international. |
Les compétences - la capacité d'un individu à
créer des idées et des objets, certains ayant une
valeur économique élevée - est un moteur important
de la croissance et du développement. C'est un domaine où
les pays en développement sont moins performants que les
nations développées et où les écarts
de développement entre États sont plus évidents.
Le " facteur humain " est important pour le succès
ou l'échec de nombreuses initiatives. Les économies
émergentes, comme la Chine, l'Inde, la Fédération
de Russie et la Pologne et, dans une moindre mesure, certains pays
de l'Amérique latine, sont une source importante de talents
comme les ingénieurs et les techniciens, dont certains sont
titulaires de doctorats obtenus dans les meilleures universités.
Une partie des nouveaux talents des pays en développement
va vivre et travailler dans les pays développés, généralement
aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays de l'Organisation
de coopération et de développement économiques.
Ce phénomène suscite des inquiétudes concernant
la perte en capital humain qui pourrait être utilisé
dans le pays d'origine. Cependant, les professionnels qualifiés
peuvent aussi retourner dans leur pays après avoir terminé
leurs études ou travaillé plusieurs années
dans le pays d'accueil, apportant avec eux un nouveau savoir-faire,
de nouvelles technologies, des capitaux et des contacts qui sont
très utiles pour le développement national. Il faut
donc réexaminer le concept traditionnel de la " fuite
des cerveaux " à la lumière de l'interdépendance
et de la mobilité internationale croissantes des travailleurs
face aux nouvelles opportunités (et risques) qui sont offerts
par la mondialisation et mettre l'accent sur la circulation des
cerveaux.
Aujourd'hui, les modèles de mobilité internationale
des compétences et du capital dans le monde sont divers.
D'un côté, les professionnels hautement qualifiés
des pays en développement émigrent vers le Nord à
la recherche de meilleures opportunités dans des économies
où les capitaux sont plus importants, les technologies meilleures
et les organisations plus efficaces. De l'autre côté,
le Nord recrute les professionnels qualifiés du Sud, construisant
des usines sur place, dans les pays où ils sont disponibles
et moins chers que dans les pays développés. À
son tour, la migration du capital et des compétences entre
les pays du Sud est une possibilité de plus de plus développée.
Au début de ce XXIe siècle, les modèles de
mobilité des compétences et ceux de la mobilité
du capital et des technologies doivent être étudiés
ensemble, car ils vont généralement de pair.
Nous avons identifié plusieurs facteurs qui jouent un rôle
dans la mobilité des compétences : les différences
de salaires entre les pays et les écarts de développement;
le marché de l'emploi, le regroupement des talents et le
capital disponible en réponse à la demande de qualification;
la technologie; la compatibilité linguistique, les réseaux
et les affinités socioculturelles; la pénurie de professionnels
de haut niveau et les politiques d'immigration.
Les différences de revenus au niveau international.
Ces différences reflètent les écarts de développement
entre États. Par exemple, si un développeur de logiciel
en Fédération de Russie gagne seulement une petite
partie de ce qu'il peut gagner aux États-Unis ou au Royaume-Uni,
il est probable qu'il ira travailler dans un pays qui lui offre
un salaire plus élevé. Généralement,
la mobilité internationale des compétences dépend
des différences de salaires entre les pays développés
et les pays en développement. Les différences de revenus
par habitant entre différents États sont importantes
et les différences entre revenus nets poussent certainement
les travailleurs hautement qualifiés à s'expatrier
dans les pays où les salaires sont plus élevés.
De là nous pouvons établir un lien entre les écarts
de développement - la différence du niveau de vie
et du potentiel de production entre pays - et la direction du flux
des compétences. Les pays pauvres risquent de voir partir
leurs professionnels qualifiés et les créateurs d'emploi,
tandis que les pays à revenu intermédiaire risquent
une baisse du capital humain si les salaires et les avantages sont
moins élevés que dans d'autres pays et les perspectives
de carrière incertaines. De plus, la pénurie du capital
humain peut amplifier les écarts de développement,
l'exode du capital humain et des cerveaux pouvant être un
facteur négatif pour la croissance nationale, au moins à
court terme.
Emploi, capital et compétences. Un pays qui offre
des opportunités économiques intéressantes
et de bonnes conditions de vie attirera des capitaux et des professionnels
qualifiés. La relation entre les capitaux et les compétences
peut prendre divers aspects. Dans un monde marqué par la
mobilité internationale, les facteurs de production du capital
sont liés à diverses possibilités d'utilisation
des compétences : recruter des professionnels nationaux pour
la production et/ou le marketing; faire appel à des travailleurs
qualifiés étrangers; délocaliser les opérations
dans des pays où les salaires sont bas afin d'exploiter la
main-d'uvre qualifiée sur place; et externaliser les
services soit dans les pays étrangers soit dans le marché
intérieur. Les configurations peuvent être diverses.
La concentration de talents est un autre aspect important. En général,
le talent attire le talent, car les processus créatifs (nouvelles
idées ou nouveaux produits, nouveaux procédés
de production, activités de recherche et de développement)
ne se développent généralement pas dans l'isolement.
Les techniciens, les ingénieurs et les chercheurs quittent
leur pays natal, non seulement parce que les salaires sont plus
élevés à l'étranger mais aussi pour
avoir des échanges avec des pairs jouissant d'une reconnaissance
internationale et travailler dans des endroits où il y a
des ressources pour la recherche et le développement de nouvelles
technologies. En revanche, dans leur pays, les professionnels qualifiés
peuvent souffrir d'un manque de reconnaissance de leur travail,
de l'absence de perspectives de carrière, de salaires bas
et d'isolement professionnel.
Technologie et demande de talents. Au cours des deux à
trois dernières décennies, la révolution des
technologies de l'information et de la communication (TIC) a engendré
une hausse de la demande de talents dans des secteurs spécialisés,
en particulier les ingénieurs, les programmeurs, les scientifiques
et autres spécialistes qui peuvent contribuer au développement
de logiciels et de matériel informatique. Les pays en développement
sont peu nombreux à importer des talents. Les talents techniques
fournis par l'Amérique du Sud dans certains marchés
importants comme les États-Unis sont encore en nombre restreint
par rapport aux talents venant d'Asie. Il faut également
noter que les TIC permettent de fournir des services à distance.
Par exemple, les rapports de consultants peuvent être fournis
et échangés par Internet ou la comptabilité
peut être faite électroniquement.
Compatibilité linguistique, réseaux et affinités
socioculturelles. Un niveau d'études supérieures,
la connaissance d'une ou de plusieurs langues étrangères
et la compréhension des différences culturelles entre
pays facilitent la mobilité internationale des migrants hautement
qualifiés et facilitent leur adaptation dans les pays étrangers.
De nombreux membres de l'élite internationale suivent leurs
études à l'étranger, font partie de réseaux
professionnels ou de réseaux d'anciens élèves
d'universités prestigieuses et ont mis en place un système
de contacts avec des personnes occupant des postes importants partout
dans le monde.
Manque de professionnels qualifiés et politiques d'immigration
favorables. Le manque de professionnels qualifiés dans
certains marchés du travail locaux, tels que les spécialistes
des technologies de l'information, les informaticiens, les ingénieurs,
les infirmières et les médecins, est un facteur important
de la demande grandissante de talents dans l'économie mondiale.
Dans les pays riches, les politiques d'immigration sont beaucoup
plus souples pour les professionnels qualifiés étrangers
que pour les migrants n'ayant pas de compétences, et facilitent
ainsi leur circulation. Les nouveaux pays riches, comme l'Irlande,
Singapour et l'Écosse, mettent également en place
des politiques favorables à l'entrée de migrants spécialisés
et ayant un niveau d'éducation élevé, ainsi
que des investisseurs qui fournissent capitaux et technologies.
Les pays avancés, comme l'Australie, les États-Unis,
le Canada, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont créé
des programmes spéciaux de visas pour les experts en TIC,
les infirmières et les médecins, les scientifiques
et les étudiants de l'enseignement supérieur, établissant
une compétition avec les pays en développement qui
cherchent à les attirer et ou à les retenir.
Comment faire correspondre la mobilité des talents et le
développement national ? La fuite des cerveaux est-elle une
caractéristique inéluctable de la mondialisation ?
La circulation des talents est-elle possible ? Ces questions importantes
ne comportent pas de réponses faciles. La mobilité
internationale des talents a un impact sur le développement
économique et les capacités techniques à la
fois des pays d'origine et des pays de destination. En même
temps, la circulation des cerveaux est liée aux écarts
de développement entre les pays. Les politiques publiques
peuvent viser à créer des initiatives et des programmes
qui encouragent la reconnection des expatriés avec leur pays,
puis leur retour afin de soutenir le développement national.
Dans plusieurs pays, les réseaux commerciaux, ainsi que les
réseaux scientifiques et culturels, ont permis de mobiliser
les diasporas. Ces programmes spécifiques à des secteurs
doivent être assortis de politiques macroéconomiques
et de développement adéquates qui favorisent le développement
national, contribuant par là même à réduire
les écarts qui, dans de nombreux cas, sont les raisons qui
poussent les professionnels à l'exode et/ou qui les incitent
à s'établir en permanence dans un pays étranger.
Enfin, il est clair que l'exode du capital humain et la circulation
des professionnels qualifiés ne sont pas nécessairement
négatifs pour le pays d'origine, car celui-ci bénéficie
de leur savoir, de leurs idées, de leurs contacts et de leurs
expériences.
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