Le mouvement de personnes au-delà des frontières
nationales est un phénomène qui relève de plus
en plus de la politique publique mondiale. Pourtant, bien que la
migration internationale touche des millions de personnes dans le
monde et ait des répercussions importantes sur l'équilibre
national et international, les analyses de fond et les débats
sur les questions de migration sont souvent relégués
au second plan dans les débats politiques.
Dans de nombreux cas, les États ont été incapables
de faire face aux changements soudains qui sont survenus. Alors
qu'il faudrait une réponse mondiale, la question de la migration
est traitée soit au niveau national soit au niveau local,
sans concertation avec les autres pays, souvent considérée
" trop politique " pour être traitée au niveau
international. En conséquence, les politiques d'immigration
sont souvent perçues comme une question de mécanismes
juridiques élaborés qui excluent des territoires nationaux
les migrants en situation irrégulière. Il est donc
crucial d'établir un cadre politique coordonné traitant
des droits des personnes se déplaçant au-delà
des frontières, soutenu par une institution chargée
de la migration internationale capable de prendre et de mettre en
uvre des décisions efficaces.
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Article
13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme
Illustration de l'artiste brésilien Octavio Roth |
Dans le vaste domaine de la migration, une question particulièrement
délicate est celle des enfants dans les mouvements transfrontières.
Les groupes de la société civile, les groupes d'universitaires
et les organisations des droits de l'homme estiment que les décideurs
politiques devraient accorder une attention particulière
et rapide aux questions liées aux enfants de migrants. Mary
Robinson, la première femme à être présidente
de l'Irlande, fondatrice et présidente de Realizing Rights:
The Ethical Globalization Initiative (EGI), a clairement exprimé
ce point de vue en octobre 2004 lors de son allocution adressée
au Columbia University Institute for Child and Family Policy. "
Les normes et les mécanismes des droits de l'homme acceptés
à l'échelon international, particulièrement
ceux qui concernent les droits économiques, sociaux et culturels,
peuvent être utilisés plus efficacement pour relever
certains défis mondiaux les plus urgents, comme les inégalités
en matière de politiques commerciales internationales et
les normes de la santé mondiale ou [
] les problèmes
associés au mouvement transfrontière de vastes populations,
dont des millions d'enfants ", a-t-elle affirmé.
D'après une étude financée par le Fonds des
Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et publiée en 2003
par l'université de Bristol et la London School of Economics
and Political Science, intitulée La pauvreté des enfants
dans les pays en développement, plus d'un milliard d'enfants,
dont plus de la moitié vivent dans les pays en développement,
sont privés d'" au moins un besoin de base ", comme
la nourriture, l'eau potable, les installations d'assainissement
et les soins de santé. Plus de la moitié de ces enfants
sont également privés d'au moins deux de ces besoins
fondamentaux et vivent donc dans une pauvreté extrême.
La Convention internationale relative aux droits de l'enfant reconnaît
qu'"il y a dans tous les pays du monde des enfants qui vivent
dans des conditions particulièrement difficiles, et qu'il
est nécessaire d'accorder à ces enfants une attention
particulière ". Elle souligne également l'importance
de la coopération internationale pour améliorer les
conditions de vie des enfants, en particulier dans les pays en développement.
Pourtant, les engagements juridiques et politiques font trop souvent
défaut.
Une première initiative importante vers un engagement mondial
a été réalisée en septembre 2000 avec
la signature de la Déclaration du millénaire des Nations
Unies, stipulant que les dirigeants mondiaux " ont des devoirs
[
] à l'égard de tous les citoyens du monde,
en particulier les personnes les plus vulnérables, et tout
spécialement les enfants, à qui l'avenir appartient
". Mais les Objectifs du Millénaire pour le développement,
décrits dans la Déclaration comme des cibles devant
être atteintes d'ici à 2015, sont encore loin d'être
réalisés. Selon l'étude financée par
l'UNICEF, le manque d'investissements pour améliorer l'éducation,
la santé et les services publics dans de nombreux pays aggrave
la pauvreté. Pour l'ancienne Haut Commissaire aux droits
de l'homme des Nations Unies, Mary Robinson, ce type de pauvreté
est l'une des " principales causes de la migration aujourd'hui
", car " la pauvreté pousse les gens à quitter
leur lieu de résidence à la recherche d'une vie meilleure
pour eux et leurs enfants ".
Les organisations comme l'UNICEF et Human Rigths Watch, ainsi que
les projets comme l'Initiative pour une mondialisation éthique,
encouragent les stratégies visant à accroître
la reconnaissance des droits des migrants. Ces droits ne sont pas
couverts de manière adéquate par le droit international
relatif aux droits de l'homme, qui est davantage orienté
vers la protection des migrants ayant un statut particulier, comme
les réfugiés, les apatrides et les diplomates, alors
que les lois nationales traitent davantage des droits des citoyens,
ce qui donne lieu à ce qu'on appelle " une lacune dans
la protection ". De par leur " immaturité physique
et mentale " qui nécessite des garanties et une attention
spéciales, les enfants risquent de souffrir davantage des
conséquences de cette lacune.
Dans le but de combler cette lacune du système juridique
international, l'Assemblée générale de l'ONU
a adopté en 1990 la Convention internationale sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur
famille, document qui fournit des directives pour la protection
des migrants contre les arrestations arbitraires ainsi que pour
le droit à une représentation légale, le droit
à mener une vie privée et à participer aux
réunions et aux activités des syndicats de travailleurs.
Mais la Convention n'a été ratifiée que par
27 États. La Convention relative aux droits de l'enfant fournit
une base juridique spécifique à la protection des
enfants de migrants. Selon Mme Robinson, ses principes sont clairs
et pertinents et " devraient contribuer à l'élaboration
progressive de politiques pour protéger les droits sociaux
et économiques de toute personne âgée de moins
de 18 ans, quel que soit son statut, y compris les jeunes ",
comme l'enregistrement de sa naissance, le droit à la nationalité,
l'accès gratuit aux soins de santé de base, la protection
contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle et toutes les
autres mesures destinées à prévenir la traite
des êtres humains.
Le Secrétaire général Kofi Annan et un certain
nombre de gouvernements ont lancé la Commission mondiale
sur les migrations internationales qui a pour objectif de fournir
un cadre pour la formulation d'une réponse cohérente,
complète et mondiale à la question de la migration
internationale. Lors de la conclusion de ses travaux en décembre
2005, la Commission a réaffirmé la nécessité
d'adopter une approche privilégiant les droits de l'homme
" en intégrant les principes fondamentaux aux droits
de l'homme et les normes du travail dans les politiques ".
Elle a également souligné la vulnérabilité
des migrants, en particulier des femmes et des enfants, " tout
spécialement ceux qui sont employés de maison et victimes
du trafic, ainsi que les travailleurs migrants exploités
dans leur travail ".
Aujourd'hui, le défi consiste à créer une situation
où les migrants peuvent vivre dans la dignité et où
la migration devient un choix informé plutôt qu'une
stratégie de survie. Pour commencer, les États pourraient
reconnaître que la Convention sur la protection des travailleurs
migrants est directement issue des principes énoncés
dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et
la Convention relative aux droits de l'enfant, et devraient donc
être plus nombreux à la ratifier. Cela pourrait être
un premier pas vers un avenir qui appartient vraiment aux enfants.
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