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Lester M. Salamon
est professeur à l'université Johns Hopkins et
directeur du Johns Hopkins Center for Civil Studies. Pionnier
dans l'étude empirique du secteur bénévole
dans le monde, son ouvrage The Federal Budget and the Nonprofit
Sector, publié en 1982, a documenté pour la première
fois l'importance du secteur à but non lucratif aux États-Unis
et le soutien que le gouvernement apporte à celui-ci.
Il a étendu son analyse à la sphère internationale
et a présenté la première évaluation
empirique comparative de la taille, de la structure, du financement
et du rôle du secteur à but non lucratif au niveau
mondial. Les premiers résultats de ce travail ont été
publiés en 1994 dans l'ouvrage, The Emerging Sector,
puis dans deux tomes de Global Civil Sector. Il a dirigé
l'équipe qui a aidé la Division des statistiques
des Nations Unies à préparer le nouveau Guide
des institutions sans but lucratif de l'ONU dans le cadre du
Système de comptabilité nationale (Guide des ISBL).
Robert Leigh s'est entretenu avec M. Salamon sur le Programme
des volontaires de l'ONU (VNU). |
Le John Hopkins Center et la Division des statistiques de l'ONU
se sont associés pour mettre au point le premier Guide des
ISBL. Quelle est la raison de ce partenariat et quel est l'objectif
du Guide ?
Ce Guide a pour vocation de donner aux organisations à but
non lucratif et au volontariat une plus grande visibilité
qu'ils n'en avaient jusqu'ici dans les statistiques économiques
officielles. Dans le cadre du Système de comptabilité
nationale qui guide la collecte et les rapports des données
économiques dans le monde, ces organisations sont réparties
entre plusieurs secteurs économiques en fonction de leur
principale source de revenus. Étant donné que dans
la plupart des pays, les redevances et le soutien du gouvernement
sont les principales sources de revenu à but non lucratif,
la plus grande partie de l'activité économique des
organisations à but non lucratif est incorporée à
celle des entreprises ou du gouvernement dans les statistiques existantes.
En outre, les statistiques officielles ne tiennent pas compte du
travail bénévole. En conséquence, le secteur
à but non lucratif et le volontariat sont largement invisibles
dans les statistiques économiques existantes et il est quasiment
impossible de connaître l'ampleur et la portée de ce
type d'organisations de plus en plus importantes et du travail bénévole
qui aide à soutenir leur travail.
Le Guide a été conçu pour surmonter ce handicap
et fournir un aperçu plus précis de l'importance économique
et sociale du secteur à but non lucratif et du volontariat.
La Division des statistiques de l'ONU a accepté de s'associer
à notre initiative, après que nous avons présenté
le travail de recherche que nous avions réalisé avec
des partenaires locaux dans plus de 30 pays- allant de l'Argentine
à l'Australie, en passant par la France et les Philippines.
Ce travail a démontré ce dont beaucoup se doutaient
déjà : les organisations à but non lucratif
et le volontariat constituent une force économique importante,
jouant un rôle beaucoup plus important dans les solutions
des problèmes publics que les statistiques officielles ne
le suggéraient. En réponse, la Division des statistiques
a organisé un Comité d'experts afin de mieux rendre
compte du travail accompli par ce secteur dans les systèmes
de données des comptes nationaux. Elle nous a demandé
d'être l'équipe technique auprès du Comité.
Pourquoi une meilleure connaissance économique du secteur
à but non lucratif est-elle nécessaire ?
La communauté mondiale a fini par réaliser que les
progrès dans la réalisation des Objectifs du Millénaire
pour le développement et la solution des problèmes
sociaux et économiques graves qui hantent nos communautés
ne pouvaient pas être obtenus par les seuls moyens des États.
L'ingénuité et la créativité dont fait
preuve le secteur à but non lucratif en expansion, ainsi
que les millions de bénévoles qu'il peut mobiliser,
seront aussi importantes. Ce secteur a la capacité d'élargir
la portée du gouvernement, d'exploiter les énergies
locales, de construire des partenariats entre les secteurs et de
renforcer la gouvernance démocratique. Cependant, sans informations
précises, il est difficile de générer l'intérêt
et l'attention dont le secteur a besoin. Il semble, de fait, que
ce qui n'est pas pris en compte ne compte pas. Des données
sur la taille, la composition, le financement et le rôle des
institutions à but non lucratif et du volontariat peuvent
donc aider à porter cette ressource importante à l'attention
des décideurs politiques, des médias, du monde des
entreprises et du grand public. Ce qui peut, à son tour,
aider les décideurs politiques à élaborer des
politiques plus efficaces, stimuler la participation et le soutien
du public, promouvoir des politiques plus favorables et, par là
même, augmenter la contribution du secteur à but non
lucratif dans les domaines social, économique et environnemental
et améliorer l'action démocratique.
Quels changements le Guide propose-t-il au Système de
comptabilité nationale ?
Le Guide appelle les pays à mettre en uvre deux
changements majeurs. Premièrement, identifier le nombre d'institutions
à but non lucratif qui travaillent actuellement dans d'autres
secteurs économiques et publier des " comptes satellites
" afin de réunir toutes les données qui se rapportent
à elles. Deuxièmement, évaluer les apports
liés au volontariat et en rendre compte dans le compte satellite
du secteur à but non lucratif. Puisqu'il y a lieu de penser
qu'un grand nombre d'institutions à but non lucratif ne sont
actuellement pas prises en compte et qu'il existe peu de données
sur le volontariat, ces mesures nécessiteront une mise à
jour des listes existantes et l'introduction de modules d'enquête
pour évaluer l'importance du volontariat.
L'utilisation du Système de comptabilité nationale
(SCN) présente un certain nombre d'avantages. D'abord, les
statistiques de comptes nationaux sont censées couvrir les
institutions à but non lucratif, même si elles sont
réparties entre plusieurs secteurs. Le nouveau Guide présente
des propositions sur la manière de s'acquitter d'un travail
actuellement assumé par les statisticiens des comptes nationaux.
De plus, le système de données des comptes nationaux
est un système fiable auquel les décideurs politiques
se réfèrent régulièrement pour connaître
les autres aspects de l'économie. Enfin, il est déjà
mis en place, institutionnalisé et comprend des milliers
de professionnels compétents dans de nombreux pays. L'intégration
des informations sur le secteur à but non lucratif et le
volontariat permettra donc de fournir régulièrement
des données et d'assurer la crédibilité ainsi
que la cohérence des informations obtenues avec les autres
aspects de la vie économique. En même temps, il est
important de reconnaître que le SCN repose sur un consensus
international. Les pays sont encouragés à suivre les
directives, mais n'y sont pas contraints. La mise en uvre
du Guide au niveau national n'est donc en aucune façon automatique
et nécessite un encouragement et un soutien continus.
Quelles nouvelles informations les Comptes satellites rassembleront-ils
?
Le Guide des ISBL présente pour la première fois des
données fiables sur les institutions à but non lucratif
et le travail bénévole dans le monde. En plus des
données sur le travail bénévole, les dépenses
générales et les sources de revenu qui ont été
générés par le Projet d'études comparatives
sur le secteur à but non lucratif de Johns Hopkins, il fournira
des données régulières sur les actifs, la ventilation
des dépenses et la valeur ajoutée des institutions
à but non lucratif à la fois dans les secteurs généraux
d'activités et dans des domaines particuliers, comme la santé,
l'éducation, les services sociaux, les arts et la culture.
Il fournira aussi les premières statistiques officielles
sur la portée, la valeur et la distribution du travail bénévole,
permettra de dresser un tableau du développement et de la
composition changeante des organisations de la société
civile et du volontariat et d'évaluer la contribution de
la société civile au produit intérieur brut
(PIB) et dans des domaines particuliers. Cela permettra aux responsables
gouvernementaux de mieux cibler les politiques sur la société
civile et de mettre en valeur les domaines où il sera possible
de créer des partenariats. Il fournira également une
base solide pour attirer l'attention sur le rôle de la société
civile et du volontariat ainsi qu'une base aux politiques afin d'améliorer
ce rôle.
Quelles sont les nouvelles informations dont nous disposons aujourd'hui,
en particulier sur la portée et l'importance du volontariat
?
Au total, 26 pays se sont déjà engagés à
mettre le Guide en uvre : l'Afrique du Sud, l'Argentine, l'Australie,
la Belgique, le Brésil, le Cameroun, le Canada, la France,
les États-Unis, le Ghana, l'Inde, Israël, l'Italie,
le Japon, le Kenya, le Kirghizistan, le Mali, le Maroc, la Nouvelle-Zélande,
l'Ouganda, le Pérou, les Philippines, la République
de Corée, la République tchèque, la Slovaquie
et le Zimbabwe. De plus, neuf pays ont déjà établi
au moins un premier " compte satellite " des institutions
sans but lucratif, et six d'entre d'elles ont inclus des données
sur le volontariat. Les résultats sont très intéressants.
Ils montrent que :
- une fois que les nombreuses organisations de santé, de
services sociaux et autres organisations à but non lucratif
allouées au secteur corporatif sont incluses, le secteur
bénévole belge est cinq fois et demie plus important
qu'il ne l'était dans les systèmes nationaux de
données;
- les ISBL au Canada comptent près de 8 % du PIB du pays,
dont environ un quart représente la contribution des bénévoles.
En fait, leur contribution économique est égale
à celle du secteur agricole canadien. Même sans les
bénévoles, la contribution des ISBL au PIB est supérieure
à celle des secteurs agricole, minier, du pétrole
et du gaz, du commerce au détail, du secteur hôtelier
et de la restauration et de celui de la construction automobile;
- en Australie, la contribution du secteur des ISBL à l'économie
nationale a dépassé celle du secteur de l'électricité,
du gaz et de l'eau, du secteur hôtelier et de la restauration
ainsi que de celui des communications;
- dans les domaines où les institutions à but non
lucratif sont présentes, leur importance est même
plus grande; en Belgique, les ISBL représentent 67 % de
la valeur ajoutée dans le secteur des services sociaux
et 43 % dans celui de la santé;
- le secteur des institutions à but non lucratif est très
dynamique, excédant la croissance économique dans
de nombreux pays. En Belgique, entre 2000 et 2003, le taux moyen
annuel du secteur était supérieur à celui
de l'économie de l'ordre de 2 contre 1 (6, 7 contre 3,2
%). Aux États-Unis, entre 1996 et 2004, il a progressé
plus rapidement (20 %) que le PIB.
Les pays ne sont pas contraints à suivre les directives
de la Division des statistiques de l'ONU. Comment répondez-vous
à ce défi ?
Pour encourager la mise en uvre du Guide des ISBL dans un
projet initial visant 30 pays, la Division des statistiques a autorisé
le John Hopkins Center à entreprendre une campagne de mobilisation,
de diffusion et d'assistance technique. Ce dernier a pu établir
un partenariat avec les Volontaires de l'ONU dans de nombreux pays
et a obtenu également le soutien d'autres institutions, y
compris les Commissions économiques de l'ONU pour l'Amérique
latine, l'Asie et l'Afrique et la Division des statistiques de l'Organisation
de coopération et de développement économiques.
Avec ces partenaires institutionnels, il a organisé une série
de réunions régionales afin de présenter le
Guide aux statisticiens, aux parties prenantes et aux décideurs
politiques et d'assurer la mise en uvre des engagements dans
un groupe de pays cibles, et a ensuite organisé des ateliers
de formation et des discussions après que les pays ont accepté
de participer.
Pour couvrir les coûts locaux de ce travail dans certains
pays en développement, le bureau des VNU garantit les coûts
de recrutement de volontaires pour les statistiques - en Afrique
du Sud, au Brésil, en Inde, au Kenya, au Kirghizistan, au
Maroc, au Mali, au Mozambique et aux Philippines. De plus, les Fondations
pour la paix Kellogg et Sasakawa ont engagé des ressources
pour couvrir certains coûts en Amérique latine et en
Asie. Les Fondations Ford et Skoll ont également apporté
leur soutien à la mise en uvre.
Le processus de mise en uvre comprend l'affectation de
Volontaires de l'ONU dans les bureaux de statistiques de neuf pays.
Quels résultats ces affectations ont-elles donnés
?
Ces volontaires de l'ONU travaillent actuellement dans trois pays,
et trois États s'ajouteront bientôt à la liste.
Ils ont aidé les responsables chargés des statistiques
à mener à bien les tâches inhérentes
à la mise en uvre du Manuel des ISBL. Au Brésil,
les VNU ont compilé le premier compte satellite brésilien
des institutions à but non lucratif. Les premiers résultats
seront publiés prochainement. Aux Philippines et au Kenya,
ils se sont attaqués à la vérification par
recoupement des registres officiels et non officiels des institutions
à but non lucratif avec les données des comptes nationaux
afin de s'assurer que ces systèmes comprennent toutes les
entités qui répondent à la définition
d'une institution à but non lucratif telle qu'elle figure
dans le Guide. Les volontaires de l'ONU et les responsables de programme
ont également aidé à mobiliser le soutien des
pays en faveur du Manuel et à informer le système
de l'ONU au niveau national.
Quelles sont vos attentes pour les cinq prochaines années
? Qu'espérez-vous accomplir d'ici là ?
Si tout va comme je l'espère, les développements majeurs
suivants devraient avoir lieu au cours des cinq prochaines années
: (a) 30 pays auront fourni au moins une version préliminaire
du compte satellite des ISBL, dont 12 au moins une mise à
jour, (b) sur la base des résultats initiaux de ce
travail, 10 autres pays auront commencé le processus de mise
en uvre du Guide; (c) un module d'enquête de
base sur le travail des volontaires aura été approuvé
par l'Organisation internationale du Travail et intégré
dans les enquêtes sur la population active dans au moins 10
pays; (d) un Réseau d'information de la société
civile (CiviNet) aura été mis en place pour associer
les unités de recherche qui ont centré leurs travaux
sur la taille et la structure du secteur à but non lucratif
au niveau international et pour fournir un accès aux résultats
des comptes satellites des ISBL; (e) les résultats
initiaux de la mise en uvre du Guide seront publiés;
(f) dans les trente pays cibles, les leaders de la société
civile auront assimilé les données sur leur pays figurant
dans les comptes satellites et commencé à les utiliser
dans le cadre du renforcement des capacités et de la promotion;
(g) les médias, le monde des entreprises et le gouvernement
auront la preuve du nouvel intérêt porté au
rôle des organisations à but non lucratif dans une
grande partie des pays cibles et exploiteront les résultats
dans leur propre travail; (h) et un fonds de mise en uvre
du Guide aura été établi pour aider à
financer la mise en uvre dans les régions locales.
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