Avec une population de 10 à 12 millions, les Roms et les
Sintis constituent aujourd'hui la plus grande minorité en
Europe et connaissent, comme les juifs dans l'Europe occupée
par les nazis, l'exclusion, les persécutions et l'extermination
systématique. Cinq cent mille ont été victimes
de l'Holocauste, une expérience qui a laissé une empreinte
profonde dans leur mémoire collective mais qui n'est pratiquement
pas reconnue par leurs pays de nationalité. Depuis l'Holocauste,
le système politique international accorde une attention
particulière aux diverses formes d'antisémitisme dont
nous avons observé la montée ces dernières
années avec de vives inquiétudes. En revanche, le
génocide subi par notre minorité n'a pas été
reconnu et le racisme dont elle fait quotidiennement l'objet dans
de nombreux pays est trop souvent ignoré.
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La déportation
des Roms et des Sintis de Remscheid à Auschwitz, en mars
1943 PHOTO/STADTARCHIV REMSCHEID |
Dans l'esprit de beaucoup, les Roms et les Sintis sont encore associés
aux nomades sans domicile fixe, alors qu'ils sont intégrés
et sont des citoyens de leur pays depuis des siècles, en
particulier en Europe. La plupart des gouvernements européens
ont donc reconnu les Roms et les Sintis comme des minorités
nationales qui, en plus de la culture nationale, ont leur propre
identité culturelle, y compris leur langue appelée
romani. Les termes " Roms " et " Sintis " signifient
" personnes ". Les Roms sont originaires d'Europe orientale
et les Sintis d'Europe centrale. Les termes " gitans "
et " tziganes " sont perçus par la plupart des
membres de cette minorité comme discriminatoire.
Depuis la fin de la guerre froide et l'ouverture des pays d'Europe
centrale et de l'Est en 1990, leurs conditions de vie se sont considérablement
détériorées à cause du racisme naissant.
La violence et la discrimination à leur égard ont
également augmenté dans un grand nombre de pays occidentaux.
Comme le faisait judicieusement observer un journaliste du New York
Times en mars 1996, les membres de cette minorité sont aujourd'hui
marginalisés et victimes du racisme à un degré
qui rappelle la situation des Afro-Américains aux États-Unis
jusqu'au milieu des années 1950.
La marginalisation et la discrimination des Roms et des Sintis sont
en partie dues aux préjugés et aux clichés racistes
qui ont été considérablement influencés
par l'idéologie raciale prônée par les national-socialistes
et le régime fasciste associé. Vu ces lignes idéologiques
de continuité, il n'est pas surprenant que les minorités
roms et sintis soient, dans une grande mesure, non seulement désavantagées
mais aussi victimes constantes de la violence. En Europe de l'Est
et de l'Ouest, les autorités ont enregistré une hausse
importante des actes racistes commis par les néo-nazis à
l'encontre des minorités. Ces attaques sont, cependant, de
plus en plus perpétrées par les forces de sécurité
elles-mêmes. Mais les auteurs sont rarement poursuivis et condamnés.
Par exemple, les autorités compétentes n'ont engagé
aucune procédure contre les policiers responsables du meurtre
de deux Roms bulgares en 1998, motivé de toute évidence
par le racisme. Ce n'est que lorsque la Cour européenne des
droits de l'homme a émis un jugement en 2005 que l'État
bulgare a été contraint d'enquêter sur la nature
raciste de ce crime. La Cour a émis un jugement similaire dans
un cas identique, aussi en Bulgarie. Il est cependant probable que
les auteurs échapperont aux poursuites judicaires qui sont
en vigueur dans un État régi par l'état de droit.
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Un raid de police
contre des manifestants roms et sintis à Trebisov, Slovaquie,
en février 2004 PHOTO/PICTURE ALLIANCE |
La stérilisation forcée des femmes roms, dont plusieurs
cas ont été documentés en République tchèque
et en Slovaquie au cours des dernières années, représente
une violation des droits de l'homme particulièrement grave.
Cette pratique était répandue dans les régimes
communistes et a été poursuivie indépendamment
par de nombreux médecins dans les États maintenant démocratiques.
Même si les protestations des organisations des droits de l'homme
et de personnalités connues, comme la sénatrice américaine
Hillary Rodham Clinton, (la Commission sur la sécurité
et la coopération du gouvernement américain s'est également
penchée sur ces cas en 2006), ont contribué à
sensibiliser l'opinion publique sur ces violations, elles n'ont débouché
sur aucune action efficace pour y remédier. Cette pratique
est d'autant plus monstrueuse que la stérilisation forcée
de milliers de Roms et de Sintis était un élément
intégral de la politique de génocide dans l'État
national-socialiste.
L'expulsion de plus de 100 000 Roms du Kosovo dans le cadre de la
campagne de nettoyage ethnique, en particulier pendant la guerre
du Kosovo en 1999, est une tragédie dont on connaît
à peine l'ampleur. Les membres de cette minorité continuent
de vivre dans le danger constant d'incursions racistes de militants
nationalistes albanais. Depuis des années nous dénonçons
l'expulsion forcée des réfugiés Roms du Kosovo.
Un autre cas grave de violations des droits des Roms et des Sintis
concerne l'hébergement des réfugiés de la guerre
civile dans divers camps au Kosovo qui sont sous le mandat des Nations
Unies. Depuis 1999, plus de 500 membres ont vécu dans ces
camps construits par l'Administration de l'ONU à Mitrovica,
sur le site d'une ancienne mine de plomb. Une enquête menée
par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a révélé
qu'on savait depuis 2000 que les camps étaient contaminés
par le plomb, mettant en danger la vie des résidents et spécialement
celle des enfants et des femmes enceintes. Suite aux protestations
venues du monde entier, la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK),
qui est responsable de ces camps, a construit en 2006 un nouveau
camp pour les réfugiés Roms, situé à
quelques mètres seulement des anciens. La vie des résidents
est donc toujours menacée sans qu'une solution à long
terme soit en vue.
Les responsables politiques continuent de nier l'existence du racisme
et de la discrimination à l'égard des Roms et des
Sintis, en particulier dans les pays d'Europe centrale et de l'Est.
Ils sont souvent décrits comme un " problème
social " et doivent donc porter la responsabilité de
leur marginalisation et des conditions de vie déplorables
dans lesquelles ils vivent. Au lieu de les protéger contre
la discrimination et le racisme, les hommes politiques contribuent
à propager des stéréotypes et à attiser
le racisme antitzigane et l'antisémitisme. De plus, les médias
contribuent à véhiculer les stéréotypes
racistes, notamment en donnant une idée négative des
Roms ou des Sintis ou en les décrivant en des termes discriminatoires
dans la presse ou à la télévision. Internet
est aussi de plus en plus utilisé par l'extrême droite
pour diffuser la propagande de haine contre les Roms et les Sintis,
ainsi que contre les juifs. Or, la législation internationale
ne prévoit aucune clause juridique pour les protéger.
En même temps, le déni de l'Holocauste est un élément
central de l'idéologie néo-nazie.
La propagande de l'extrême droite vise les populations qui
manquent souvent d'un approvisionnement en eau adéquat, d'électricité,
de chauffage ou d'un système d'évacuation des eaux
usées et qui doivent vivre dans des zones d'habitation délimitées.
Les réformes des systèmes sociaux, comme en Slovaquie
ou en République tchèque, ont aggravé la pauvreté
des minorités Roms et Sintis et réduit les possibilités
d'exercer leur droit à l'autodétermination. En outre,
les enfants roms sont envoyés dans des écoles pour
enfants handicapés mentaux ou placés dans des classes
spéciales pour Roms surchargées et sous-équipées,
ce qui est une pratique discriminatoire scandaleuse qui a privé
la plus grande minorité en Europe de son avenir à
long terme. Des études approfondies contiennent des preuves
documentées de ces pratiques dans de nombreux États
européens. Sur cette toile de fond, il n'est guère
surprenant que le taux de chômage des Roms et des Sintis ait
considérablement augmenté depuis l'effondrement de
l'économie socialiste, où les minorités étaient
principalement employées dans l'industrie, pour atteindre
90 % dans certaines régions. De fait, les Roms et les Sintis
n'ont pratiquement aucune chance de trouver un emploi ou une place
d'apprenti. Dans un tel contexte d'exclusion sociale, les préjugés
profondément ancrés jouent un rôle qui ne peut
être sous-estimé.
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Une
exposition intitulée " Le massacre des Roms et des
Sintis et le racisme dans l'Europe contemporaine ", au
Parlement européen à Strasbourg, France, en janvier
2006 PHOTO/CENTRE DE LA CULTURE ET DE LA DOCUMENTATION DES SINTIS
ET DES ROMS ALLEMANDS |
Pour combattre le racisme antitzigane et atténuer les préjugés
sur cette minorité, il est urgent de sensibiliser l'opinion
sur la politique d'extermination dont les Roms et les Sintis ont été
victimes, y compris les hypothèses idéologiques et sociales.
Cela doit être un élément important des stratégies
actuelles visant à combattre la violence motivée par
le racisme et la marginalisation. Une nouvelle exposition organisée
par le Centre de la culture et de la documentation des Sintis et des
Roms allemands intitulée " Le massacre des Roms et des
Sintis et le racisme dans l'Europe contemporaine " répond
à cet objectif. Elle sera présentée au siège
des Nations Unies à New York le 10 janvier 2007 dans le cadre
de la Journée internationale de commémoration en mémoire
des victimes de l'Holocauste.
Dans un discours sur l'ampleur et l'importance historique des crimes
commis contre les Roms et les Sintis, prononcé le 16 mars
1997, Roman Herzog, ancien président de l'Allemagne fédérale,
a dit : " Le génocide contre les Roms et les Sintis
a été commis pour le même motif de haine raciale,
dans les mêmes intentions et avec la même volonté
d'extermination planifiée et définitive que le génocide
des juifs. Ils ont été systématiquement massacrés
par familles entières, du plus jeune au plus âgé,
sous la sphère d'influence des national-socialistes. "
L'objectif de l'exposition est de graver dans la mémoire
collective des nations du monde un génocide qui a été
passé sous silence pendant des décennies et d'accroître
la sensibilisation des décideurs politiques de la responsabilité
historique qu'ils ont vis-à-vis de la minorité rom
et sinti.
De plus, l'application des clauses internationales de protection
des minorités, en particulier la Convention-Cadre pour la
protection des minorités nationales et la " Charte des
langues régionales et minoritaires " du Conseil d'Europe,
ainsi qu'un renforcement de la protection des minorités par
de nouveaux accords juridiques sont nécessaires pour améliorer
la protection des Roms et des Sintis contre le racisme et la discrimination.
En conjonction avec d'autres organisations internationales, l'ONU
a créé un système de conventions pour la protection
des droits de l'homme qui sont contraignantes en vertu du droit
international. Cependant, leur efficacité repose sur la ratification,
l'application et la surveillance des obligations légales
internationales, ce qui n'est pas le cas dans de nombreux pays.
Il faut aussi prendre des mesures légales supplémentaires
contre le racisme et la discrimination - initiative soutenue par
le gouvernement américain dans le cadre des conférences
de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe. Cela s'applique spécialement à l'interdiction
des pratiques discriminatoires dans les lois régissant les
médias et de la propagation de slogans racistes sur Internet.
La promotion de l'égalité des chances pour les minorités
roms et sintis nécessite la création de conditions
de vie humaines. Les gouvernements nationaux doivent montrer leur
volonté politique et leur soutien à la promotion de
ces minorités par la mise en uvre de projets d'infrastructure
adéquats. Les Nations Unies et les autres institutions, comme
l'Union européenne, doivent également apporter une
contribution importante à ces programmes. Les membres de
la minorité et leurs propres organisations devraient participer
à la planification et à la mise en uvre de l'infrastructure
de ces projets, dans une plus grande mesure qu'elles ne l'ont fait
jusqu'ici. Ce n'est que si nous combattons systématiquement
le racisme et la discrimination que les groupes majoritaires et
minoritaires pourront vivre pacifiquement côte à côte,
avec des droits égaux dans tous les pays du monde.
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