Le cinquième séminaire intitulé " Désapprendre
la tolérance " a eu lieu le 16 octobre 2006 au siège
des Nations Unies à New York. Organisé par le Département
de l'information des Nations Unies avec l'Institut Claus M. Halle
d'Emory University, ce séminaire intitulé " Dessins
pour la paix : les caricaturistes politiques ont-ils une reponsabilité
? " a réuni 12 dessinateurs du monde entier qui ont
débattu de la responsabilité de l'artiste, si elle
existe, lorsqu'il croque l'actualité politique.
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"Les
participants du séminaire " Dessins pour la paix
" : (au premier plan, à partir de la gauche) Jeff
Danziger, Godfrey Amon Mwampembwa, Mike Luckovich, Carsten Graabaek,
Cintia Bolio, Baha Boukhari, Kofi Annan, Ann Telnaes, Michel
Kichka, Norio Yamanoi, Ranan Lurie, Holli Semetko. (À
l'arrière-plan) Raymond Sommereyns, Gérard Vandenbroucke,
Liza Donelly, Shashi Tharoor, Jean Plantu, Jean-Pierre Bugada,
Afsane Bassir-Pour. PHOTO ONU/EVAN SCHNEIDER |
Les réflexions ont porté sur les questions universelles
de l'inégalité des sexes, l'harmonie raciale et l'opposition
à la guerre. Une grande partie du débat a été
centré sur l'impact global des caricatures de la presse sur
les événements actuels et comment ce moyen d'expression
puissant mais subtil peut susciter un vrai changement de la part des
gouvernements et de la société civile. Parallèlement,
une exposition intitulée " Dessins pour la paix ",
a présenté du 2 au 24 octobre dans le hall du siège
de l'ONU plus de 40 dessins de 18 caricaturistes internationaux connus.
Dans son discours d'ouverture, le Secrétaire général,
Kofi Annan, a dit que " les dessins humoristiques occupent une
place prépondérante dans la presse " et a résumé
l'importance de ce moyen d'expression journalistique. " Ils jouent
un rôle particulier en façonnant l'opinion publique,
car une image a généralement sur l'esprit un impact
plus fort et plus direct que des mots, et aussi parce qu'il y a beaucoup
plus de gens qui sont prêts à regarder un dessin qu'à
lire un article. "
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GADO |
Deux tables rondes de discussion se sont succédé
: " Le rôle des dessins dans l'éducation des valeurs
" et " Réconcilier les droits et les responsabilités
". Évoquant les caricatures du prophète Mahomet
parues dans un journal danois il y a plus d'un an et la violente polémique
qui s'ensuivit dans les pays du monde entier, le séminaire
a cherché à affirmer le rôle du caricaturiste
pour la promotion de la paix et de la réconciliation. Les panélistes
ont souligné les problèmes auxquels ils font face au
niveau local, ainsi que leurs responsabilités envers les diverses
cultures. Ils ont affirmé que chaque dessinateur devait avoir
une conscience morale et réfléchir à la façon
dont son travail pouvait être perçu par la communauté
mondiale.
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Carsten
Graabaek |
La première table ronde comprenait Carsten Graabaek (Danemark),
Godfrey Amon Mwampembwa (Kenya), Cintia Bolio-Marquez (Mexique) et
Jeff Danziger, Liza Donnely et Mike Luckovich (États-Unis).
Le dessinateur tanzanien établi au Kenya Godfrey Amon Mwampembwa,
connu par son public sous le nom de " Gado ", a soulevé
les complexités de la caricature politique en Afrique orientale.
Il a fait remarquer que dans cette région du monde où
la liberté d'expression a historiquement été
étouffée, " les caricaturistes ont été
au premier plan du combat pour la liberté d'expression [en
Afrique] ". Il a ajouté : " C'est, à mon avis,
un outil qui a permis d'éduquer le public sur ses droits et
ses libertés civiles, et lui a permis de s'exprimer sans crainte
ou sans regarder par-dessus son épaule. " La nature critique
et parfois acerbe des caricatures politiques aide la société
à promouvoir la liberté d'expression et à engager
des débats animés, a-t-il poursuivi. " En voyant
que les dessinateurs critiquent ouvertement [
] le public emboîte
le pas et s'exprime librement. " Il a affirmé avec véhémence
que le caricaturiste était un éducateur. Il a travaillé
étroitement avec des artistes dans des camps de réfugiés,
leur apprenant comment se servir des caricatures politiques pour transmettre
leur message auprès d'un public plus large. La majorité
du travail qu'il a présenté était centrée
sur les problèmes de la société africaine et
l'incapacité des organisations internationales et des gouvernements
étrangers à réduire la pauvreté d'une
grande partie de la population.
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Mike Lukovich |
Carsten Graabaek, qui a accepté " avec une certaine appréhension
" de représenter les caricaturistes danois au séminaire,
fut plus nuancé sur la question de savoir si les caricaturistes
avaient pour responsabilité d'éduquer le public. Venant
d'un pays au centre de la polémique, il a fait valoir qu'il
existait une division fermement ancrée entre le monde spirituel
et le monde matériel. Selon lui, les dessins humoristiques
portent sur les questions du monde matériel, ajoutant que "
la liberté d'expression est universelle, une affaire laïque,
tandis que le prophète, le respect qui lui est accordé
et l'interdiction de le représenter sont une affaire spirituelle
". Le dessinateur " devrait donc être conscient de
l'équilibre délicat entre la satire [
] et le respect
des religions ", a-t-il souligné. Ce code de conduite
interne, a-t-il estimé, n'" empiéterait pas sur
la liberté d'expression ", ne risquerait pas d'insulter
les Musulmans ni d'ailleurs les adeptes d'aucune croyance religieuse.
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Ann
Telnaes |
L'après-midi, une autre table ronde a abordé les droits
et les responsabilités des caricaturistes politiques. Jean
Plantu (France), Michel Kichka (Israël), Norio Yamanoi (Japon),
Baha Boukhari (Palestine) et Ranan Lurie et Ann Telnaes (États-Unis)
ont parlé avec honnêté et sans détour de
la société contemporaine et de leurs responsabilités
en tant que journalistes et artistes. À la question de savoir
si l'absence de la représentation des femmes dans le paysage
politique reflétait l'absence des caricaturistes femmes, Mme
Telnaes a répondu que " les femmes étaient très
peu nombreuses dans ce domaine " et que cette absence avait certainement
un effet sur le contenu des dessins présentés au public
dans la presse. Elle a raconté qu'en 1996, elle avait fait
plusieurs dessins sur le traitement des femmes par les talibans en
Afghanistan, et qu'aucun journal n'avait voulu les publier. Ce n'est
qu'après les attaques du 11 septembre (2001) que les caricaturistes
de la presse ont pris note du traitement barbare infligé aux
femmes afghanes. " Il est important que les femmes, ainsi que
les minorités, fassent des caricatures, afin que certaines
questions soient mises au premier plan ", a-t-elle affirmé.
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Plantu |
Jean Plantu, le célèbre caricaturiste du journal Le
Monde et le principal organisateur de l'événement, a
abordé la question des caricatures politiques sous l'angle
du processus créatif, expliquant comment critiquer le pouvoir
intelligemment et avec humour, sans offenser qui que ce soit. Les
dessins qui critiquent la politique étrangère d'Israël,
a-t-il noté, établissent souvent un parallèle
entre les soldats israéliens et les soldats nazis. Ce genre,
assez répandu dans les pays musulmans, a-t-il poursuivi, est
un exemple où les caricatures politiques vont trop loin. Elles
sont une atteinte à l'éthique car elles blessent des
convictions profondes. De même que les caricaturistes danois
sont allés trop loin dans leur caricature de Mahomet, les caricaturistes
qui évoquent l'holocauste pour critiquer l'action menée
par le gouvernement israélien, font un mauvais usage de leur
pouvoir et de leur responsabilité morale, a-t-il estimé.
Un dessinateur doit à tout moment déterminer la limite
de ce qui est acceptable pour chaque culture, convenant avec M. Graabaek
que le dessinateur humoristique doit éviter les dessins qui
ont une connotation très négative pour certaines cultures.
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Liza Donnelly |
Cependant, alors que ce dernier a expliqué que le dessinateur
politique devait éviter de créer une image qui suscite
une réaction violente, M. Plantu a montré comment la
forme des dessins elle-même pouvait surmonter la nature controversée
de son contenu. Dans un dessin particulier, il a écrit des
centaines de fois la phrase " Je ne dois pas dessiner Mahomet
", qui, par l'intersection de lignes sinueuses révèlent
le portrait d'un homme barbu à la tête couverte. La main
de l'artiste, un symbole récurrent dans le travail de M. Plantu,
tient un crayon au bout duquel s'érige un minaret d'où
un musulman regarde le portrait à l'aide d'un télescope.
Ce dessin amusant, visant non pas la représentation de Mahomet
mais la représentation de sujets controversés par un
dessinateur politique, a mis en valeur la responsabilité éthique
à laquelle chaque artiste est confronté en dessinant
des symboles culturels et religieux. Au lieu d'éviter les sujets
controversés, a souligné M. Plantu, le caricaturiste
politique peut à la fois lier liberté d'expression et
conscience éthique avec un certain degré de tact et
d'humour. Comme l'a noté Mike Luckovich : " Je ne pense
pas qu'on doive provoquer les gens par pure provocation [
] [car]
l'image peut être plus forte que le message. "
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Baha Boukhari |
Les dessinateurs ont également estimé que leur
travail pouvait réduire les écarts culturels et les
tensions entre les sociétés. Michel Kichka et Baha Boukhari,
dont les travaux critiquent souvent les politiques de leur gouvernement
respectif, le font néanmoins d'une manière constructive
et respectueuse. " Les dessins du caricaturiste dépendent
du pays où il travaille ", a estimé
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Jeff Danziger |
M. Kichka. " Mais avant tout, son crayon est guidé par
sa conscience et ses valeurs morales. Le mot clé est humanité.
Un mot qui peut être facilement compris par tous les peuples
quelles que soient leur religion. " M. Kichka et son collègue
palestinien sont déjà intervenus ensemble à plusieurs
conférences, promouvant les valeurs de la coexistence pacifique
qu'ils partagent, et sont fiers de se dire amis.
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Cintia Bolio |
Dans son discours de clôture, le Secrétaire général
adjoint à la communication et à l'information, Shashi
Tharoor, a résumé l'impact des caricatures politiques
dans le monde, déclarant que " l'une des conséquences
de la mondialisation et de la révolution de la technologie
de l'information est que ce qui se dit dans un coin de la planète
est entendu instantanément à l'autre bout. Cela est
valable aussi pour les dessins [
] la responsabilité du
caricaturiste est plus grande que jamais. " Un dessinateur qui
s'adresse au public d'une petite ville de l'Europe occidentale doit
savoir que son travail peut avoir un impact immédiat sur des
gens vivant à des milliers de kilomètres de là,
qui ont des valeurs sociales différentes. Il ne doit cependant
pas être paralysé par les responsabilités qui
lui incombent et intimidé par la taille de son public. Les
caricatures ont un rôle de premier plan pour promouvoir la compréhension
entre les cultures. Comme l'a noté M. Tharoor, armé
du respect pour les autres cultures et de la conscience de ses responsabilités,
le caricaturiste peut jouer un rôle primordial pour promouvoir
la paix et l'harmonie.
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Michel Kichka |
Il a conclu : " Les caricaturistes, comme les meilleurs enseignants,
divertissent en même temps qu'ils informent. [
] Les meilleurs
dessinateurs suscitent réflexions et émotions, mais
ne provoquent pas la violence. "
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Ranan Lurie |
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Norio Yamanoi |
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