Maintenant que je donne des cours à des étudiants
sur la communication internationale, je pense souvent à l'époque
où je rédigeais des discours pour les Nations Unies.
Je parle parfois de mon expérience à l'ONU - de la
rédaction des discours, de la communication dans un contexte
parfois houleux, des personnalités, des politiques et comment
tout cela se recoupe dans ce lieu inspirant et exaspérant
que sont les Nations Unies.
Dans mes cours, j'explique à mes étudiants comment
les principes de communication étaient appliqués à
l'Assemblée générale, au Conseil de sécurité
ou dans les conciliabules et les réunions secrètes
qui avaient lieu dans d'autres salles de l'ONU. Ces réflexions
semblent les intéresser, certains sans aucun doute s'imaginant
un jour travailler dans ce grand bâtiment à New York.
Il est cependant dommage que l'ONU me serve très souvent
d'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.
J'étais chargé de la rédaction des discours
pour le gouvernement israélien aux Nations Unies à
une période particulièrement mouvementée au
Moyen-Orient qui a été marquée par l'assassinat
des leaders du Hamas Ahmed Yassin et Abdul Rantisi, la mort du leader
palestinien Yasser Arafat, les innombrables attaques dirigées
contre les civils israéliens et les actions militaires israéliennes
dans les zones habitées par les civils palestiniens ainsi
que par le retrait d'Israël de la bande de Gaza sous l'initiative
du Premier ministre Ariel Sharon. Il se passait beaucoup de choses
sur le terrain - et aux Nations Unies, on parlait beaucoup. Mais
je ne suis pas sûr que l'écoute ait été
ou soit un point fort de l'Organisation.
Récemment, à une réunion du Conseil de sécurité
sur la situation dans la péninsule coréenne, le représentant
de la République populaire démocratique de Corée
(RPDC) a fait une déclaration au nom de son pays puis a quitté
la salle. Cela a fortement déplu à l'ambassadeur américain
John Bolton. " Je veux attirer votre attention sur ce siège
vide ", a-t-il dit au Conseil. " C'est la deuxième
fois en trois mois que le représentant de la RPDC, qui a
demandé de participer à nos réunions, quitte
la salle après avoir repoussé une résolution
unanime du Conseil de sécurité. "
L'ONU a été créée dans un esprit de
dialogue - et quitter une réunion ne va certainement pas
dans ce sens. Le représentant de la RPDC, cependant, n'est
pas le seul à agir de la sorte. En fait, les États-Unis,
ainsi que d'autres États Membres, ont adopté des attitudes
négatives similaires, comme la rebuffade réciproque
entre le Président George Bush et le Président iranien
Mahmoud Ahmadinejad lors de l'ouverture de la soixante et unième
session de l'Assemblée générale. Et que dire
de l'attitude des États-Unis vis-à-vis du Président
vénézuélien Hugo Chavez lors de son discours
- la délégation américaine était absente,
à l'exception d'un subalterne qui prenait des notes - ou
des propos corrosifs et non constructifs du Président Hugo
Chávez ? La délégation américaine ne
voulait pas l'entendre et il ne voulait pas être entendu.
Comme l'a commenté l'animateur Jon Stewart après coup
: " Dieu merci, l'ONU existe. Où serions-nous si les
dirigeants mondiaux n'avaient pas un lieu où se réunir
et s'ignorer ? "
Sur le conflit au Moyen-Orient, les attitudes sont tout aussi improductives.
C'était assez curieux d'écrire des discours qui, je
le savais, seraient essentiellement ignorés par la majorité
des missions de l'ONU et que d'autres délégations
boycotteraient totalement. Ce n'était pas évident
non plus de faire partie d'une délégation qui, parfois,
tenait peu compte des déclarations de certains responsables
de l'ONU ou même s'en moquait ouvertement. Quand je faisais
partie de la délégation israélienne, nous avons
failli plusieurs fois quitter la salle en protestation avec ce qui
venait d'être dit. À mon grand soulagement, cela n'est
jamais arrivé.
Sur le conflit israélo-palestinien, la rupture du dialogue
est manifeste. Il ne fait aucun doute que le gouvernement israélien
ignore les souffrances des Palestiniens ou refuse de les écouter
de manière sérieuse. En même temps, ceux-ci
et leurs alliés font porter à Israël la responsabilité
d'un nombre si important de détails n'ayant rien à
voir avec la situation au Moyen-Orient qu'il est parfois difficile
de discerner les préoccupations légitimes - qui sont
nombreuses - du verbiage qui les entourent. Je n'oublierai jamais
le jour où j'ai entendu un État Membre tenir Israël
responsable de la rivalité fraternelle entre les enfants
palestiniens. Israël est responsable de nombreuses actions
négatives, mais certainement pas de celle-là.
Quand j'ai commencé à travailler à l'ONU, j'ai
été surpris de voir combien de diplomates se servaient
de ce lieu comme scène de théâtre politique
plutôt que pour servir les intérêts des peuples
qu'ils représentent. Beaucoup assistent à des réunions
dans le seul but d'empêcher un consensus et peuvent ainsi
rapporter à leur pays qu'ils ont refusé tout compromis.
Certains jouent même littéralement devant leur public
national - plus d'une fois, j'ai vu des personnalités de
haut niveau s'ingénier à changer l'heure d'un débat
de l'ONU afin de jouer la ligne dure devant les téléspectateurs
du journal du soir dans leur pays. (Curieusement, quand j'ai quitté
l'ONU et commencé à travailler au bureau du Premier
ministre israélien, j'ai remarqué le phénomène
inverse : les discours soi-disant destinés au public israélien
visaient à envoyer un message aux États étrangers
ou même aux populations étrangères.)
Même si elle me manque souvent, la période passée
à l'ONU est derrière moi. J'enseigne maintenant à
Ryerson University, à Toronto, au Canada, l'une des universités
les plus multiculturelles dans l'une des villes les plus multiculturelles
du monde. Les étudiants sont issus de pays aussi nombreux
que ceux des délégués de l'ONU, peut-être
même plus. Je leur enseigne l'importance de développer
une écoute mutuelle et sincère et d'essayer de comprendre
le point de vue opposé. L'apprentissage de ces compétences,
ainsi que nos discussions sur la politique, la religion, le nationalisme
et le droit, sont souvent couronnés de succès.
Idéalement, je pourrais proposer à ces étudiants
les Nations Unies comme modèle illustrant de ce qu'il faut
faire, au lieu de ce qu'il ne faut pas faire. Je suis fermement
convaincu que l'esprit de l'ONU est une source d'inspiration et
j'espère qu'un jour mes étudiants - et tous les étudiants
- pourront apprendre des diplomates. Or, pour l'instant, il semble
que les seconds pourraient apprendre des premiers.
|