L'Amérique latine
est la région du monde en développement où la
démocratie existe pratiquement dans tous les pays 1.
Ses racines, cependant, sont fragiles. L'Amérique latine compte
une population d'environ 550 millions d'habitants, dont 44 % vivent
au-dessous du seuil de pauvreté et 18 % souffrent de l'extrême
pauvreté. Les inégalités socio-économiques
y sont les plus prononcées dans le monde. Ces réalités
sont les plus grands défis auxquels est confrontée la
région.
J'ai choisi neuf domaines prioritaires qui pourraient, s'ils étaient
abordés, changer la vie de millions de personnes dans la région.
Les Nations Unies devraient y jouer un rôle, soit en participant
aux efforts, soit en tant que facilitateur.
Droit à la démocratie. La relation entre les
droits de l'homme et la démocratie est un sujet qui a été
traité dans le détail tant en théorie qu'en pratique.
La démocratie est fondée sur la primauté du droit
et l'exercice des droits de l'homme. Dans un État démocratique,
personne n'est au-dessus de la loi et tous sont égaux devant
la loi 2. Lorsque l'Assemblée générale
de l'Organisation des États américains s'est réunie
en 1991, elle a approuvé l'" Engagement de Santiago envers
la démocratie " et la résolution 1080, deux étapes
importantes dans le développement de ce qu'on appelle le "
droit à la démocratie " dans les Amériques
- la reconnaissante croissante que la démocratie peut et devrait
être défendue par le biais d'une action collective pacifique.
Tous les pays participants ont élu démocratiquement
des gouvernements. On ne peut considérer la démocratie
comme allant de soi, même s'il existe des instruments collectifs
légitimes pour agir multilatéralement afin d'empêcher
ou d'inverser la remise en cause du droit démocratique. La
plupart des pays d'Amérique latine tentent de consolider les
gains démocratiques et ont réussi à faire échec
aux tentatives de coups d'État, mais la situation dans la région
est plus complexe qu'une simple division entre les démocraties
et les dictatures.
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Le Haut Commissariat
pour les réfugiés des Nations Unies et le Bureau
national de l'Ombudsman en Colombie dirigent la Casa de los
Derechos
- La Maison des droits - qui aide des milliers de personnes
déplacées,
à Altos de Cazuca, à la périphérie
de Bogotá. Photo HCR /B. Heger |
Les démocraties doivent répondre aux attentes de leurs
citoyens. Si la croissance économique est cruciale pour répondre
aux demandes des populations, des politiques sociales ciblées
permettant de créer des opportunités égales pour
tous sont essentielles pour assurer la gouvernance démocratique.
Nous devons uvrer à la mise en place d'un système
intégré et coordonné de promotion et de défense
de la démocratie à l'échelle mondiale. Il serait
souhaitable de mettre en place une coordination et d'identifier les
instruments et les mesures pour promouvoir la démocratie tout
en prenant en compte du degré de consolidation de la démocratie
dans le pays. En d'autres termes, les Nations Unies doivent participer
plus activement à promouvoir le droit à la démocratie.
Il faudrait aussi faire plus que de secourir la démocratie
une fois qu'elle s'est effondrée. Les Nations Unies devraient
être un agent proactif dans la diffusion des principes démocratiques.
Développement. La mise en uvre des Objectifs
du Millénaire pour le développement (OMD) figure au
premier rang de l'ordre du jour du développement de l'Amérique
latine. La pauvreté et les inégalités sont au
centre des préoccupations de la région. Personne ne
conteste que les pays sont principalement responsables de leur propre
développement économique et social. Cela a été
très clairement indiqué dans le Consensus de Monterrey,
même si les pays industrialisés doivent mettre en uvre
leurs engagements en matière d'aide publique au développement
et dans d'autres domaines.
Il faudrait encourager le développement de mécanismes
financiers innovants qui contribuent à la mobilisation des
ressources pour le développement. Le Chili, le Brésil,
la France, la Norvège et le Royaume-Uni ont lancé le
19 septembre 2006 la Facilité internationale d'achat de médicaments
dont l'objectif est d'améliorer l'accès des médicaments
à un bas prix afin de lutter contre le VIH/sida, la tuberculose
et le paludisme 3. Le Cycle des négociations multilatérales
de Doha devrait traiter les questions importantes pour les pays en
développement et déboucher sur la mise en place d'un
système commercial multilatéral plus solide. Les Nations
Unies devraient prendre en compte les besoins spécifiques des
pays à revenu intermédiaire, étant donné
que la plus grande proportion de ces pays (79 %) se trouvent en Amérique
latine. À ce titre, La Conférence intergouvernementale
sur les pays à revenu intermédiaire, qui a eu lieu en
mars 2007 à Madrid, a ouvert de nouvelles perspectives.
Application des droits de l'homme. De nos jours, l'application
des droits de l'homme est moins une question de définition
des normes internationales que de respect de ces normes. Il faut mettre
davantage l'accent sur la mise en uvre que sur la définition
des normes. La ratification universelle des instruments des droits
de l'homme ainsi que la levée des réserves les concernant
restent une question pendante. Les autres domaines qui méritent
une attention sont le développement de deux concepts qui ont
été inclus dans le Document final du Sommet mondial
2005 : " la responsabilité de protéger ",
en particulier son aspect préventif et l'intégration
de la " sécurité humaine " dans l'ordre du
jour de l'ONU. Il faudra, bien entendu, continuer à définir
des normes et à créer de nouvelles institutions. L'élaboration
de la Déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones
est un exemple. Aussi, une fois que le Conseil des droits de l'homme
aura conclu ses travaux sur ses procédures et ses méthodes
de travail, il devrait se concentrer sur la mise en uvre des
droits de l'homme. L'examen périodique universel est un mécanisme
essentiel qui pourrait la favoriser.
Lutte contre les inégalités sociales. En tant
qu'originaire d'Amérique latine, il m'est difficile d'accepter
que la répartition des ressources de cette région soit
la plus inégale dans le monde. Selon la Banque mondiale, le
décile le plus riche de la population d'Amérique latine
et des Caraïbes détient 48 % du revenu total, tandis que
le décile le plus pauvre en détient seulement 16 % 4.
Elle a recommandé aux sociétés d'entreprendre
des réformes politiques, sociales et économiques de
fond, d'améliorer l'accès des pauvres aux services et
aux biens vitaux, en particulier l'éducation, et d'assurer
un transfert des revenus aux familles pauvres et aux groupes vulnérables.
Je partage le point de vue selon lequel les sociétés
d'Amérique latine ne pourront développer les conditions
favorables à l'égalité et au développement
qu'en instaurant une meilleure démocratie 1. Il
faut donc accorder une plus grande attention aux processus démocratiques
nationaux afin d'apporter des solutions. En retour, la mise en uvre
des engagements du Sommet mondial sur le développement social
- réduction de la pauvreté, création d'emploi
et intégration sociale - ne devrait pas être négligée.
Les politiques publiques devraient continuer à prendre en compte
les besoins des groupes vulnérables, c'est-à-dire les
enfants, les personnes âgées, les handicapés et
les peuples autochtones.
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Des
casques bleus brésiliens patrouillent à Cité
Soleil, dans le quartier de Boston, pendant une opération
de la MINUSTAH menée pour rétablir l'ordre après
trois heures d'affrontements violents entre gangs. Photo ONU/Logan
Abassi |
Inégalités entre les sexes. Selon une étude
de la Banque mondiale, les femmes d'Amérique latine et des
Caraïbes ont fait des progrès considérables dans
le domaine de l'éducation et de l'accès au marché
du travail. Elle a cependant indiqué qu'il restait beaucoup
à faire en ce qui concerne la pauvreté, l'exclusion
sociale, la santé reproductive et la protection contre la violence
dans la famille. Elle a également révélé
que les femmes, en particulier les femmes âgées et les
chefs de famille, étaient plus vulnérables à
la pauvreté.5
L'élection en 2006 de la première femme présidente
du Chili, Michelle Bachelet, a été l'un des événements
récents les plus importants. L'éducation, la participation
des femmes au marché du travail, les écarts entre les
salaires, la violence dans la famille et le VIH/sida demeurent des
questions régionales essentielles auxquelles il faut trouver
des solutions. Pour mettre en uvre les engagements internationaux,
il serait nécessaire de définir des politiques publiques
ciblées et de créer des programmes nationaux pour l'égalité.
Les Nations Unies devraient faciliter la compilation des meilleures
pratiques, recueillir les informations et aider les États à
mettre en uvre les normes et les engagements.
Lutte contre la corruption. La corruption détourne
des ressources qui sont cruciales pour le développement, l'éradication
de la pauvreté et la lutte contre la faim. Des études
ont montré une relation entre la corruption et la mauvaise
performance des pays en matière de gouvernance. D'un autre
côté, les citoyens ont le droit d'attendre de leurs gouvernements
qu'ils mettent fin à la corruption. De nombreux pays en Amérique
latine souffrent de ce problème. Selon l'Indice de perception
de la corruption de Transparency International, la région a
eu 3,4 points sur un total de 11, où l'indice le plus élevé
indique les degrés de corruption les plus bas.1
Dans les années à venir, la lutte contre la corruption
devrait être l'une des priorités de l'Amérique
latine. Les pays de la région devraient ratifier la Convention
des Nations Unies contre la corruption de 2003 et mettre en uvre
des mesures efficaces aux niveaux national et local pour prévenir
et combattre ce fléau. Et l'importance de la coopération
internationale ne peut être surestimée. La plupart des
pays d'Amérique latine sont parties à la Convention
américaine contre la corruption de 1996.
Changement climatique et protection de l'environnement. Le
récent rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur
l'évolution du climat a montré que le réchauffement
climatique était sans équivoque et dû aux activités
de l'homme. Ce rapport est un rappel que le changement climatique
est un défi sérieux et qui, à long terme, peut
affecter toutes les parties du monde. Les dirigeants devraient agir
en conséquence.
Lutte contre le terrorisme et criminalité. La lutte
contre le terrorisme nécessite la mise en uvre à
tous les niveaux de la Stratégie antiterroriste mondiale des
Nations Unies, adoptée par l'Assemblée générale
le 8 septembre 2006. De même, la criminalité transnationale
a prospéré en Amérique latine et est devenue
un problème majeur dans de nombreux centres urbains qui compromet
les efforts de développement. L'ONU a mis en place des capacités
pour améliorer la coopération avec la région
dans ce domaine.
Situation en Haïti. Seul pays de la région
figurant actuellement sur l'ordre du jour du Conseil de sécurité
de l'ONU, Haïti a besoin de l'engagement et du soutien à
long terme de la communauté internationale. La résolution
1734 (2007) du Conseil, adoptée à l'unanimité
le 15 février 2007, démontre l'engagement et la vision
à long terme de l'ONU concernant ce pays d'Amérique
latine. À cet égard, rôle de la Mission des Nations
Unies pour stabilisation en Haïti (MINUSTAH) est crucial.
Notes
1. Démocratie en Amérique latine. Vers une démocratie
citoyenne, PNUD, 2005.
2. Déclaration universelle sur la démocratie, adoptée
par le Conseil de l'Union interparlementaire en septembre 1997.
3. Cette contribution de solidarité consiste en une taxe
sur les billets d'avion appliquée au plan national et coordonnée
au plan international. Lors du Sommet Afrique-France (Cannes, février
2007), 18 pays africains se sont joints à l'initiative.
4. L'inégalité en Amérique latine et aux Caraïbes
: une rupture avec l'histoire 2003.
5. Défis et opportunités pour l'égalité
des sexes en Amérique latine et aux Caraïbes, 2003.
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