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LA COMMUNAUTÉ MONDIALE DOIT DONNER LES MOYENS DE SATISFAIRE LES BESOINS QU'ELLE EXPRIME


Par Ramesh Thakur

Les organisations internationales touchent notre vie quotidienne de multiples façons. Elles sont un rouage important du système international fondé sur les Etats et permettent de le faire fonctionner de manière plus satisfaisante que ce qui s'est passé dans des conditions d'anarchie internationale. Les Nations Unies se trouvent au centre législatif et normatif de ce système. Si elles n'existaient pas, il nous faudrait certainement les inventer. Compte tenu de l'histoire malheureuse de la Société des Nations, les fondateurs des Nations Unies auraient été fiers et satisfaits à la fois de constater que leur création est toujours intacte à l'aube du nouveau millénaire et qu'elle englobe la quasi-totalité de la communauté internationale. Et pourtant, leur vision d'une communauté mondiale égale en droits et unie par l'action n'a toujours pas été réalisée.

Pour les idéalistes, les Nations Unies ne peuvent jamais avoir tort et elles sont la solution de tous les problèmes du monde. Ils considèrent que c'est aux Etats Membres qu'il faut imputer leurs échecs. Si seulement ils disposaient de la force politique nécessaire, l'Organisation réaliserait son destin de parlement du monde, de gardien de l'intérêt national et de conscience de l'humanité entière.

Les cyniques, quant à eux, remettent en question le respect que les crédules accordent aux Nations Unies. Pour eux, l'ONU existe pour que les nations, incapables de faire quoi que ce soit individuellement, puissent se réunir pour décider que rien ne peut être accompli collectivement. Le prix de cet immobilisme à grande échelle est payé par les peuples de Bosnie-Herzégovine, du Rwanda et d'ailleurs.

En cette époque de bouleversements tumultueux, les Nations Unies doivent s'efforcer de trouver un équilibre entre ce qui est désirable et ce qui est possible. La Charte de l'ONU fut le triomphe de l'espoir et de l'idéalisme sur l'expérience de deux guerres mondiales. La flamme a vacillé sous les vents glacés de la guerre froide. Mais elle ne s'est pas encore éteinte. La plus grande force de l'Organisation, c'est qu'elle est l'unique instance universelle de coopération et de gestion. Les objectifs d'ensemble que sont la paix, la prospérité, le développement durable et la bonne gouvernance ne pourront être atteints par un pays agissant tout seul. Les Nations Unies restent le symbole de nos espoirs et de nos rêves d'un monde meilleur où les faiblesses peuvent être compensées par la justice et l'équité, et la loi de la jungle remplacée par la primauté du droit.

Les Nations Unies ont présidé la décolonisation - l'une des grandes réussites de ce siècle. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 est à la fois l'incarnation et la proclamation des normes de droits de l'homme. Les Pactes de 1966 ont ajouté force et spécificité, en affirmant à la fois les droits civils/politiques et les droits sociaux/économiques/culturels sans privilégier les uns ou les autres. Ensemble, ces textes ont fixé l'ordre du jour international en matière de droits de l'homme et établi les critères de comportement des Etats, inspiré les dispositions de nombreuses lois nationales et conventions internationales, et offert un rayon d'espoir aux nombreuses personnes dont les droits avaient été étouffés par des régimes brutaux.

De même que la Société des Nations entre les deux guerres mondiales, l'ONU incarnait l'idée selon laquelle une guerre d'agression est un crime contre l'humanité. Tout Etat se devait, pour son propre intérêt et le droit, de collaborer pour la prévenir. En dépit de l'innovation que représentait le maintien de la paix, les Nations Unies n'ont pas répondu aux espoirs d'un monde désarmé et pacifique. Mais elles ont aidé les Etats à se comporter de manière moins conflictuelle, à développer des habitudes de coopération, et établir des normes et perceptions partagées par tous. L'honnêteté oblige certes à dire que les Nations Unies n'ont pas fait régner la paix dans le monde mais le Conseil de sécurité a joué un rôle d'influence pacifique et l'Assemblée générale a joué un rôle d'artisan de la paix.

De même que dans le domaine du développement durable, qui s'efforce de parvenir à un équilibre entre la croissance et la préservation de l'environnement, les Nations Unies doivent être au centre des efforts accomplis pour atteindre les objectifs d'un désarmement durable : la réduction des armements au niveau le plus bas possible, le niveau auquel les besoins de sécurité de tel pays à tel moment, où de telle génération sur toute une période, sont atteints sans compromettre la sécurité et le bien-être d'autres pays ou des générations futures. Il est tout simplement inacceptable que des millions de personnes continuent d'être condamnées à une vie de pauvreté, d'analphabétisme et de mauvaise santé alors que certaines parties du monde traversent une période de prospérité économique et d'euphorie boursière sans précédent.

Pour que les Nations Unies réussissent, la communauté mondiale doit faire correspondre les exigences qu'elle présente aux moyens qu'elle donne à l'Organisation qui offre et gère le cadre de travail où se réunissent les dirigeants internationaux pour aborder les pressants problèmes de survie, développement et bien-être de tous les êtres humains de la planète. Elle doit trouver le juste milieu entre idéalisme et réalisme. Si elle s'aliène ses membres les plus importants, et les Etats-Unis en particulier, elle sera dans l'impossibilité de travailler. Ses décisions doivent refléter les réalités actuelles du pouvoir économique et militaire. Mais sa crédibilité en souffrira si elle compromet ses valeurs fondamentales.

Les Nations Unies sont le dépositaire de l'idéalisme international. L'utopie est un aspect fondamental de son identité. Ce n'est que dans ce contexte que l'on peut comprendre le désenchantement et les désillusions qu'éprouvent certains. Ce qui s'est passé au Kosovo illustre bien cette tension. Pour les critiques, l'unilatéralisme de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) constituait une grave menace pour un ordre mondial fondé sur le droit et au centre duquel on trouve les Nations Unies. La puissance de la coalition a triomphé du droit international, la force l'a emporté sur la légalité. En légitimant a posteriori l'agression de l'OTAN, les Nations Unies ont été perverties, cette coalition visant à protéger les faibles étant transformée pour servir les intérêts des grandes puissances. Mais les pays de l'OTAN ne font pas partie des Etats suspects habituels. On trouve parmi eux certains des meilleurs et des plus brillants des Etats Membres. Pour eux, l'action militaire entreprise contre le Président yougoslave Slobodan Milosevic était une affirmation et une matérialisation d'un nouvel ordre mondial qui assortit le réalisme géopolitique d'idéalisme normatif. Si l'on avait permis à un régime de violer de manière flagrante les idéaux fondamentaux des Nations Unies, cela aurait érodé la légitimité de l'Organisation, gardienne de la conscience du monde. La guerre a été l'expression pratique de l'évolution historique en cours, d'un équilibre du pouvoir vieux style à la communauté de pouvoir "new age".

Le fait que l'OTAN ait cherché et obtenu l'approbation du Conseil de sécurité, fut-il accordé rétroactivement, prouve que de nombreux partisans des frappes de l'OTAN restaient préoccupés par ce précédent d'une intervention militaire collective menée en dehors du cadre de l'ONU. Même la coalition militaire la plus puissante de l'histoire juge indispensable le rôle de l'ONU. L'OTAN a fait la guerre. Elle a besoin des Nations Unies pour consolider la paix.

Les Nations Unies représentent l'idée selon laquelle il faut intervenir et modérer le nationalisme débridé et les luttes pour le pouvoir dans le cadre d'un système international. C'est le centre où s'harmonisent les intérêts nationaux et se forge l'intérêt de la communauté internationale. Les événements du Kosovo nous enseignent que l'idéal des Nations Unies ne peut ni être être complètement atteint, ni complètement abandonné. Comme la plupart des organisations, l'ONU est condamnée elle aussi à un manque de crédibilité éternel né du fossé entre ses aspirations et ses actions. Le véritable défi consiste à ce que ce fossé ne se creuse pas. Cela ne nous amènera peut-être pas au paradis; cela doit nous sauver de l'enfer sur terre.


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Ramesh Thakur, éminent spécialiste des affaires internationales, est le Vice-Recteur de l'Université des Nations Unies à Tokyo. Cet article reflète ses vues personnelles.



"Les Nations Unies représentent l'idée selon laquelle il faut intervenir et modérer le nationalisme débridé et les luttes pour le pouvoir dans le cadre d'un système international. C'est le centre où s'harmonisent les intérêts nationaux et se forge l'intérêt de la communauté internationale. Les événements du Kosovo nous enseignent que l'idéal des Nations Unies ne peut ni être être complètement atteint, ni complètement abandonné. Comme la plupart des organisations, l'ONU est condamnée elle aussi à un manque de crédibilité éternel né du fossé entre ses aspirations et ses actions. Le véritable défi consiste à à ce que ce fossé ne se creuse pas. Cela ne nous amènera peut-être pas au paradis; cela doit nous sauver de l'enfer sur terre".


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