Le Chemin parcouru depuis Seattle
Dans une proposition qui semble maintenant prophétique, le Secrétaire général a sommé les acteurs du monde des affaires de participer à une "Action Globale" avec les Nations Unies et de soutenir les normes internationales des droits de l'homme, de la protection du travail et de l'environnement, au risque de voir le système commercial multilatéral de plus en plus menacé. Il a expliqué que les valeurs universelles avaient déjà été établies par la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Déclaration de l'Organisation internationale du travail sur les droits des travailleurs et la Déclaration de Rio adoptée lors du Sommet de la Terre des Nations Unies. "Il nous faut trouver une façon d'inclure le marché mondial dans un réseau de valeurs communes", a-t-il noté. "Les événements de Seattle nous ont montré qu'il fallait réconcilier les forces économiques et les priorités sociales. Mais pour ce faire, nous devons trouver de nouvelles approches similaires à celles de l'Action Globale, a expliqué John Ruggie, ancien Doyen de l'Ecole des affaires internationales et publiques de l'université de Columbia, un conseiller clé du Secrétaire général. M. Ruggie, qui a écrit sur les affaires internationales ainsi que sur le rôle des Nations Unies et des Etats-Unis après la guerre froide, est, avec le spécialiste Georg Kell, qui a passé 10 ans à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) avant de travailler avec le Secrétaire général, l'un des créateurs de l'Action Globale. M. Kell a été l'une des personnes officielles qui ont accompagné M. Annan lors de son voyage à Seattle, où il n'avait pas pu faire sa déclaration en raison du chaos créé par les manifestations.
Depuis son lancement l'année dernière, l'Action Globale a obtenu un soutien considérable des partenaires commerciaux dont la Chambre de commerce internationale (CCI), l'Organisation internationale des travailleurs, le Conseil mondial économique sur le développement et le commerce durable pour une responsabilité sociale. Dans un message envoyé à M. Annan en janvier, la CCI a demandé instamment à l'Assemblée du Millénaire de s'assurer que les Nations Unies prennent l'initiative de soutenir un système ouvert de commerce et d'investissement internationaux fondé sur des règles tout en s'opposant à toutes formes de protectionnisme. Ce sont les organismes et les programmes des Nations Unies pertinents, et non pas le système commercial multilatéral, qui devraient être chargés de promouvoir les normes environnementales et du travail et les droits de l'homme, y est-il déclaré. Les Nations Unies devraient accorder une attention particulière à la mise en valeur du potentiel des pays moins développés, particulièrement en ce qui concerne les ressources humaines, l'infrastructure matérielle et la réforme institutionnelle afin de les aider à obtenir des investissements et à se lier à la société d'information mondiale. D'autres partisans de l'Action Globale comprennent des groupes influents tels qu'Amnesty International, Human Rights Watch, le Comité des avocats pour les droits de l'homme, l'Oxfam et le Fonds mondial pour la nature ainsi que la Confédération internationale des syndicats libres qui comprend 125 millions de membres dans 145 pays. Certains observateurs pensent que "la mobilisation de Seattle" a été un événement décisif non seulement pour le commerce international et la mondialisation, mais aussi pour la légitimité des gouvernements et des organisations gouvernementales. Lors d'une réunion, en janvier, avec les hauts fonctionnaires de l'ONU, Mike Moore, le directeur général de l'OMC, a insisté sur le fait qu'un grand nombre de manifestants ne croyaient pas que les gouvernements représentaient la volonté des citoyens. Il va sans dire que ceci est une menace potentielle pour les institutions internationales composées de représentants gouvernementaux telles que l'OMC et les Nations Unies. Le Secrétaire général a abordé la question dans plusieurs déclarations : "Nous entrons dans un domaine où les individus ont conscience de leurs droits et des décisions qui les touchent de près", a-t-il récemment déclaré. "Ils ne veulent pas être passifs, ils veulent participer. Je pense qu'il nous faut accepter ce fait, nous organiser et travailler avec eux", ajoutant qu'il ne fallait pas oublier le "risque de montée du nationalisme, de l'isolationnisme et de l'unilatéralisme."
Depuis la réunion de l'OMC, le Secrétaire général a été en contact étroit avec Juan Somavia, directeur général de l'Organisation internationale du travail, Klaus Topfer, directeur du Programme des Nations Unies sur l'environnement, et Mary Robinson, Haut Commissaire aux droits de l'homme, qui, tous trois, ont accompagné M. Annan à Davos lors du lancement de l'Action Globale en 1999, et qui sont des partenaires institutionnels décisifs de cette initiative. Lors d'une conférence intitulée L'entreprise et la responsabilité sociale, Mme Robinson a déclaré : "L'objectif immédiat de la mise en œuvre de l'Accord est de demander à la communauté commerciale internationale d'incorporer ces valeurs universelles dans les déclarations des missions ; de changer les pratiques de gestion afin d'atteindre ces buts et de partager les expériences d'apprentissage." A la réunion de l'OMC, M. Somavia, ancien ambassadeur du Chili, dont le rôle à la direction du Sommet social 1995 de l'ONU à Copenhague, avait suscité le respect de la communauté internationale, a demandé que soit lancée une nouvelle initiative multilatérale incluant les diverses organisations du système international afin d'examiner les conséquences sociales de la mondialisation. L'initiative prévoit des programmes de recherche, de développement de politiques internationales et un ensemble de principes d'action au niveau national afin de promouvoir le développement, la réduction de la pauvreté et le travail décent. Cette année, une série de réunions déterminera de manière plus élaborée la politique sociale et économique des Nations Unies et sa position générale face à la mondialisation : entre autres, CNUCED X et les deux sessions extraordinaires de l'Assemblée générale qui examineront la Conférence sur les femmes qui s'est tenue à Beijing en 1995 et le Sommet social de 1995. L'Assemblée du millénaire en septembre, au cours de laquelle les gouvernements définiront le rôle des Nations Unies pour le XXIe siècle, sera d'une importance capitale. Il est déjà clair que M. Annan cherche à obtenir la participation du secteur privé et de la société civile afin d'aider les Nations Unies à atteindre ses objectifs dans le nouveau millénaire. Les Nations Unies ouvrent leurs portes aux entreprises pour mettre leur savoir-faire à profit dans le but d'améliorer les conditions de vie dans le monde. "Ils ont les capitaux, la technologie, la gestion. Nous devons les encourager à s'ouvrir au tiers-monde et à travailler avec lui par le biais de l'investissement, le partage de la technologie et le transfert du savoir, parce que je ne crois pas que nous puissions développer le tiers-monde en évitant le problème et en préconisant l'assistance au développement qui d'ailleurs décroît continuellement", a récemment expliqué M. Annan. Le Secrétaire général préconise aussi la participation des ONG à l'Assemblée du Millénaire. "Je sais que les organisations non gouvernementales sont quelquefois difficiles", a-t-il dit en décembre. "Mais je dois avouer que pour ce qui est de certaines questions, elles sont souvent en avance sur nous. Il est vrai qu'elles sont moins limitées que nous dans leurs actions mais elles ont joué un rôle important dans de nombreux domaines et, à mon avis, il nous faut collaborer avec elles. J'espère que les Etats Membres seront de mon avis. Et je le crois sincèrement. Autrement, nous aurons un autre Seattle."
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