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La fin de la division Est-Ouest
mais pas la fin de l'histoire


Par Vladlen Martynov

Pendant cinq décennies et demie, les Nations Unies ont exercé pour la communauté internationale le rôle de garant important, principal même, de l'ordre mondial. Les Nations Unies ont pu s'acquitter de cette mission grâce à deux facteurs essentiels. Premièrement, l'ONU était la seule instance à inclure tous les pays, petits et grands, dans ses consultations et dans son interaction. Deuxièmement, elle a élaboré et mis en application un ensemble de règles et de normes régissant le comportement sur la scène internationale qui a été accepté quasiment partout dans le monde. Des principes de règlement des conflits aux critères de développement, des normes de sécurité pour l'environnement aux droits des travailleurs, les Nations Unies et ses institutions ont établi un ensemble de principes directeurs qui reflétaient un consensus international sur des valeurs qui sont censées être celles de toute nation soucieuse de sa place dans la communauté internationale. Ce fut là pour les Nations Unies une réussite historique qu'il faut à tout prix préserver.

Jusqu'à la dernière décennie du XXe siècle, les Nations Unies opéraient dans un environnement bien structuré et dont les lignes étaient bien tracées, qui se caractérisait par l'existence de deux pôles et de "trois mondes" qui s'équilibraient mutuellement dans l'arène mondiale. Il est vrai que cet état de fait pouvait empêcher l'Organisation de fonctionner avec efficacité; il est arrivé effectivement que l'Organisation se retrouve coincée dans une impasse. Toutefois chacun des principaux acteurs de la scène internationale avait intérêt à ce que les Nations Unies, en tant qu'institution capable de contrecarrer les ambitions de ses rivaux, fonctionnent sans problème.

La fin de la division Est-Ouest a ouvert une nouvelle ère dans l'évolution du système international, mais elle n'a pas précipité la "fin de l'histoire". Certes, le risque d'un conflit nucléaire mondial a diminué mais les conflits à plus petite échelle et autres types d'hostilités ont proliféré dans bien des régions. Au lieu d'avoir une seule grande guerre froide, nous avons de nombreuses petites guerres brūlantes. Elles semblent plus faciles à déclencher et plus difficiles à contenir. Les contraintes de l'ancien système international n'existent plus, mais le monde risque de se diviser encore plus que par le passé.

Alors que sur la scène internationale la lutte pour le pouvoir motivée par l'idéologie perd de sa signification, l'avenir semble façonné par le fossé grandissant entre les sociétés prospères et celles qui le sont moins. A long terme, l'existence de ce fossé pourrait avoir des conséquences dramatiques sur la politique internationale.

C'est dans ce contexte que les Nations Unies doivent se définir et définir la mission qui sera la leur dans ce nouveau monde en train d'émerger. Dans ce monde, l'idée d'équilibre devient de plus en plus floue, les frontières familières s'évanouissent, et la notion même de nation souveraine — l'unité des Nations Unies et historiquement la pierre de touche de l'ordre international — est de plus en plus contestée par les forces de la mondialisation.

De fait, la mondialisation semble représenter le défi le plus grave — et le plus global — posé à l'évolution du système international. Ce phénomène déchaīne de puissantes forces qui précipitent une évolution sans précédent de l'information, des innovations technologiques, de la croissance économique et de l'homogénéité grandissante du monde. Simultanément, la communauté internationale est de plus en plus dominée par les clubs privilégiés des pays riches et puissants qui jouent le rôle d'agents de la mondialisation, avec les plus grandes sociétés transnationales et les institutions bureaucratiques internationales, ainsi que des clubs non officiels composés de personnes et groupes d'intérêt puissants.

Certains discernent là des tendances extrêmement inquiétantes vers ce qu'ils appellent la "tendance unipolaire" du monde de l'après-guerre froide — la concentration grandissante de puissance militaire et de pouvoir économique et politique dans les mains des Etats-Unis et de quelques-uns de leurs alliés. Plus généralement, de nombreux acteurs importants, tout en clamant leur loyauté envers les institutions et valeurs de la communauté internationale, ne se sentent plus retenus par les limites et exigences de l'ONU. En attendant, les valeurs mondiales les plus exigeantes, les valeurs humanitaires en particulier, risquent d'être gravement menacées et leur légitimité remise en question si elles sont considérées comme un instrument qui permet aux pays et aux blocs les plus puissants de violer la souveraineté des nations les plus faibles. Les contradictions entre les valeurs globales et les acteurs de la scène internationale pourraient bien devenir la source des conflits internationaux les plus pressants du XXI siècle.

Ces problèmes vont nécesairement jouer un rôle capital dans le débat sur l'avenir des Nations Unies. Il est admis qu'actuellement, des institutions internationales à composition limitée et qui rassemblent un groupe de nations dominantes — Groupe des 7, Organisation du Traité de l'Atlantique-Nord, Fonds monétaire international, Banque internationale pour la reconstruction et le développement, Organisation mondiale du commerce — fonctionnent par défaut comme des agents de la gouvernance mondiale. Les Nations Unies devraient-elles s'insérer dans ce schéma institutionnel et accepter quelques fonctions qu'on lui accorde dans ce nouvel ordre mondial qui est loin d'être démocratique quels que soient les critères qu'on lui applique ? Il faut se rappeler que les Nations Unies ont été conçues non pas comme un instrument ou une partie d'un gouvernement mondial mais comme un moyen d'exprimer la volonté nationale et de parvenir à des décisions collectives prises par des nations souveraines. Sa responsabilité essentielle dans les années à venir consisterait à faire le contrepoids des excès de la mondialisation et de l'"unipolarité" qui affaiblissent la souveraineté nationale des membres de l'ONU et compromettent donc les responsabilités démocratiques de leurs gouvernements.

La question de la légitimité des décisions prises par des blocs régionaux et certains pays d'élargir unilatéralement les domaines de responsabilité de leurs forces militaires pour y inclure sans leur consentement d'autres nations, en particulier les nations non alignées, mérite une réponse rapide de l'ONU. Autre domaine de réflexion important, la mise au point d'un système de coordination visant à étudier la question du crime organisé et des économies clandestines, ainsi que la création d'un système mondial visant à gérer les flux de capitaux spéculatifs, notamment ceux qui transitent par les réseaux d'Internet.

Cela met au premier plan la question du mécanisme d'action coercitive, traditionnellement faible aux Nations Unies. Cela concerne non seulement les décisions prises par les organes officiels des Nations Unies, mais également les engagements que les Etats ont pris à l'origine en devenant membres de l'ONU, que ce soit dans le domaine des contributions financières ou pour ce qui est du recours à la force par des gouvernements nationaux et des alliances régionales.

Les nations pauvres et faibles qui constituent la majorité des Etats Membres de l'ONU sont clairement incapables d'assurer que ces règles et normes soient respectées; rien n'incite les pays les plus riches et les plus puissants, de leur côté, à le faire, qui d'ailleurs n'en éprouvent pas le désir. Conséquence, c'est aux puissances de moyenne importance qui, d'une part, s'intéressent au problème et disposent des ressources nécessaires, qu'incombe la responsabilité principale du maintien et du bon fonctionnement des institutions internationales. La communauté internationale ferait bien de s'attendre à ce que ces pays jouent un rôle capital dans la mise au point d'un mécanisme coercitif pour les décisions de l'ONU, qui pourrait comprendre la création d'une unité internationale chargée de faire respecter la loi et qui relèverait du Conseil de sécurité.

Il faut s'attendre à ce que toute réforme importante visant à renforcer l'autorité internationale des Nations Unies se heurte à l'opposition des puissantes forces nationalistes des principaux Etats et des intérêts internationaux de nature exclusive. Les partisans d'un renforcement des Nations Unies devront mobiliser l'opinion publique internationale en faveur du changement et élaborer les règles qui lui fourniraient une base institutionnelle au sein de la structure de l'ONU. A cet égard, les initiatives personnelles du Secrétaire général et des autres hauts dirigeants prendront une importance capitale.

L'on ne peut que souscrire à l'opinion du Président français Jacques Chirac, qui affirmait que le processus de mondialisation devrait encourager davantage la participation et l'inclusion sociale et qu'il revient aux Nations Unies de concevoir les mécanismes appropriés. Les acteurs non gouvernementaux jouent un rôle de plus en plus important dans la communauté mondiale et l'on peut s'attendre à ce que leur position soit progressivement institutionnalisée au sein des Nations Unies. Dans ce but, il faut concevoir des formes de représentation démocratique novatrices pour des forces sociales et politiques d'importance internationale.

A plus long terme, on attendrait des Nations Unies qu'elles prennent la tête des efforts de mise au point d'un système démocratique de gouvernance mondiale qui serait obligé de rendre compte auprès des nations souveraines et se fonderait sur les règles du jeu favorisant la majorité de la population mondiale tout en garantissant les droits inaliénables des minorités.


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Le Professeur Vladlen Martynov est le directeur de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales de l'Académie russe des sciences de Moscou.




RÉUNION EN MONGOLIE : Ll'ÊTRE HUMAIN AU CENTRE DU DÉVELOPPEMENT

Lors de la Conférence internationale sur la sécurité commune dans un monde en voie de mondialisation, qui s'est tenue à Oulan-Bator (Mongolie) du 8 au 10 mai 2000, des efforts ont été menés pour améliorer la compréhension du concept de sécurité commune et identifier des mesures concrètes pour le faire progresser. Dans la préface de Développement humain, Mongolie 2000, un projet qui fut lancé à la Conférence, le premier ministre de Mongolie R. Amarjagal a souligné l'importance capitale des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour faire progresser la sécurité commune, et il a souligné que le facteur humain devait l'emporter sur le rythme de la croissance économique comme principal instrument de mesure du développement. Les débats se sont axés sur les éléments de base de la sécurité humaine dans un monde en voie de mondialisation, y compris la viabilité écologique.

D'autres sujets ont été abordés, dont le rôle de l'information en tant qu'élément de sécurité, et les facteurs extérieurs qui jouent un rôle dans le développement de la nation. Les délégués convinrent que la sécurité s'améliore lorsque la croissance s'accompagne de la justice, que la vulnérabilité structurelle d'une économie est réduite et que la capacité à absorber les chocs et à se "protéger" des risques est renforcée. De nombreuses conclusions virent le jour, y compris celle selon laquelle la Mongolie devrait lancer, avec le PNUD, une étude sur sa sécurité économique et les vulnérabilités entraīnées par la mondialisaton. La conférence décida également que la sécurité commune serait choisie comme sujet d'études du Rapport sur le développement humain de 2002, et qu'une conférence sur les questions de sécurité régionale aurait lieu à Oulan-Bator en 2001.

—Ragini Malhotra

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