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Activités normatives et valeurs éthiques

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Selon une publication de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), intitulée Éthique et agriculture, les nations pauvres doivent pouvoir déterminer leur avenir au lieu que les donateurs le fassent en leur nom. Au sein des nations, les citoyens pauvres doivent être les architectes de leur destin. Une sécurité nationale réelle ne peut être assurée qu’en donnant à tous les citoyens les moyens de vivre avec dignité et justice. Il est impossible de créer un monde juste, légitime et démocratique en recherchant seulement son avantage personnel. Les marchés sont des institutions humaines, dominés par l’intérêt de ceux qui se font concurrence dans des conditions très restreintes et qui peuvent parfois tenter de ne pas épouser les objectifs de base de l’ensemble de la société. Même si les marchés suscitent l’enthousiasme, il est indispensable de créer des institutions pour assurer une concurrence plus libre et plus juste. Entre autre, les marchés efficaces nécessitent une organisation, une planification, l’établissement de droits de la propriété bien définis, une réglementation relative au régime d’échange ainsi qu’une distinction exécutoire entre les secteurs publics et privés.

Mais les marchés ne représentent qu’un seul moyen pour distribuer des biens. Il existe certaines choses que toutes les sociétés s’accordent à ne pas acheter et à ne pas vendre sur le marché. Les êtres humains. Les votes. La justice. La grâce divine. La garantie de survie. Toutes les sociétés ont une notion de “biens publics” déterminée par ce que les membres d’une communauté ou la société considèrent généralement comme important. Les personnes peuvent être affectées différemment par les politiques que les sociétés adoptent dans le but d’assurer la disponibilité adéquate des biens publics. Ce qui s’avère un bien dans le domaine de la santé ne l’est pas nécessairement dans celui de la production agricole. Ce sont les contradictions entre les différentes sphères qui sont la source de conflits, de négociations et de compromis dans toutes les sociétés. Leurs solutions devraient donc consister non pas à imposer un concept de justice auquel il faudrait se conformer mais à établir une médiation entre de nombreux points de vue différents. Les conflits seront parfois difficiles à éviter mais les institutions pourraient être conçues de façon à les contenir et à les limiter.

Assurer la sécurité alimentaire nécessite une nourriture abondante, l’accès à la nourriture pour tous les êtres humains et une nutrition saine et adéquate. Bien qu’au niveau mondial la nourriture soit abondante, les problèmes de distribution et d’accès sont tels que 800 millions de personnes n’ont pas une nourriture suffisante. Pour certains, la nourriture peut être assurée en leur fournissant un accès direct aux terres. Pour les populations urbaines en plein essor, l’accès dépend de nombreux facteurs : l’état des routes de la ferme à la ville, le niveau de la production agricole qui est supérieur au minimum vital, la structure de fixation des prix qui incite à produire pour les marchés, les informations précises sur les marchés dont disposent les producteurs, l’industrie alimentaire qui transforme les produits bruts en aliments entreposables et l’emploi qui permet aux gens de gagner suffisamment leur vie pour acheter de la nourriture. Là où le plein emploi est inexistant, les subventions des produits de consommation, soit par une aide alimentaire, soit par l’octroi de subventions pour l’achat de nourriture, sont également essentielles pour assurer l’accès à la nourriture. Pour faire face aux besoins d’une population en plein essor, il est indispensable d’investir dans la recherche - une initiative illimitée tandis que l’environnement agricole ne cesse de changer - ainsi que d’assurer la conservation des terres agricoles, des forêts et des ressources aquatiques.

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Basée sur un tableau de la FAO préparé en 1946, une comparaison de la consommation alimentaire après la Deuxième Guerre mondiale dans quatre pays.
L’alimentation doit également fournir un régime nutritionnel adéquat. Actuellement, quelque douze millions d’enfants meurent chaque année de maladies liés à la malnutrition. Un plus grand nombre encore souffre de maladies chroniques. Il est indispensable d’assurer une hygiène alimentaire. La contamination microbienne est courante, spécialement dans les zones urbaines où l’acheminement de la nourriture est long. Ce sont les plus pauvres qui sont les plus touchés mais avec l’expansion du commerce des produits alimentaires dans le monde, les consommateurs des pays riches sont également affectés.

La mondialisation des marchés et les développements technologiques ont renforcé l’interdépendance entre les nations et les cultures. Le temps et l’espace ont changé. Les barrières entre les nations ont été réduites. Mais l’interdépendance n’implique pas l’équité, l’égalité des chances, la justice ou même la compassion. Il n’existe aucun processus automatique par lequel les marchés peuvent assurer la réalisation de ces valeurs. Les marchés ne constituent pas non plus une solution universelle, conciliant toutes les valeurs par des moyens économiques. En fait, les valeurs que partagent les personnes, les droits collectifs ou les devoirs des citoyens ne sont pas l’affaire des marchés. Ceux-ci considèrent leur rôle en termes de production et de consommation. En d’autres termes, les normes éthiques doivent être définies par des processus politiques et non être laissées à l’administration des marchés. Le défi de développer des moyens institutionnels dans le but d’assurer des pertes par le biais des forces du marché ne constitue pas une violation des droits de base, n’engendre pas la faim dans le monde ou la misère de personnes, de familles, de communautés ou d’États. Bien qu’il y ait eu des propositions pour réparer le préjudice causé aux perdants, elles ont été rarement menées à terme. Une autre approche pourrait consister à élargir la société civile au-delà de l’État-nation afin de permettre à tous les citoyens de se sentir responsables de tous les peuples, et de la terre dans son ensemble, et d’assurer leur participation dans le contrôle démocratique du marché. Les membres de cette société civile mondiale trouveraient de meilleurs moyens pour résoudre pacifiquement les conflits, en assurant la stabilité financière mondiale, en gérant l’environnement mondial et les marchés mondiaux, en établissant des normes globales et en encourageant le développement durable.

Toutefois, la réalisation de ces objectifs est souvent entravée par le manque de juridiction, de participation et de mesures incitatives. Même si ces obstacles peuvent être surmontés, les objectifs doivent être réalisés sans créer de bureaucraties excessives, ce qui détruirait les processus pour lesquels elles étaient conçues. Il ne s’agit pas non plus d’abandonner la souveraineté nationale. L’économie mondiale n’aura de justification à long terme que si elle représente un moyen de renforcer les valeurs humaines fondamentales. Les États ne peuvent être seuls tenus pour responsables envers les investisseurs étrangers, les administrateurs de fonds et les exportateurs nationaux. Les valeurs fondamentales ne peuvent pas être définies par une élite ou par un décret. Parfois contradictoires, elles nécessitent d’être débattues démocratiquement. Il faut donc que tous les États conçoivent de nouveaux moyens d’encourager la participation de la population dans les décisions qui affectent leur vie.

La mondialisation souligne l’importance de la diversité des “lieux”. Parler d’un processus mondial ne signifie pas qu’il se produit exactement de la même façon partout mais qu’il “agit à distance”. La FAO s’inscrit dans cette optique : une décision prise à Rome - un lieu local défini - peut affecter la vie de populations à 10 000 km. Un lieu est local en ce sens qu’il conserve sa nature, avec sa propre culture, sa propre écologie et son propre environnement. Par conséquent, perdants et gagnants occupent toujours une position géographique et sociale définies. Il ne s’agit jamais d’une opposition avec, d’un côté, les mondialistes et les cosmopolites et, de l’autre, les acteurs locaux et provinciaux. Il s’agit plutôt de ceux qui, pour diverses raisons, sont en mesure d’agir à distance et ceux qui ne le sont pas. Lorsque des conflits surviennent sur l’accès aux ressources naturelles, ils ne sont pas causés par les différends qui opposent les forces mondiales aux forces locales mais par les personnes qui agissent à distance et celles qui sont dans l’incapacité de le faire. Souvent, de tels intérêts externes peuvent empiéter sur les communautés plus faibles et engendrer la pauvreté et la marginalisation. Autant souverains qu’ils soient, les États n’ont pas toujours su bien gérer de telles ressources.

Trop souvent, une élite aux prises avec des acteurs externes s’est servie des États pour écraser l’opposition de la communauté. La capacité des communautés faibles à défendre leurs droits lorsqu’elles sont menacées par leur propre État ou par d’autres acteurs étrangers doit être renforcée en mettant en place des mécanismes institutionnalisés qui limiteraient à la fois le rôle des États et celui des entreprises transnationales. En même temps, il est indispensable de donner la parole aux communautés faibles en les associant à la gestion des ressources naturelles. Les politiques mondiales de développement ont peu de sens si elles ne sont pas examinées par le biais des politiques de développement nationales et locales. Il faut mettre en place des mécanismes sociaux qui permettent le développement de projets beaucoup plus complexes et efficaces en faisant appel à l’intelligence et à la créativité des citoyens. La gestion participative ne peut pas venir après coup, être appliquée après l’élaboration ou la mise en œuvre d’une politique ou d’un projet. Elle doit être un élément central dès le début même d’un projet. Une manière de poursuivre cet objectif est d’encourager la “gestion collective” par laquelle les parties concernées participent aux activités de gestion. Un tel système devrait être souple et s’adapter aux différents lieux et temps en créant un partenariat entre les communautés concernées, les nations, le secteur privé, la société civile et les organisations internationales.

Photo FAO
La mondialisation uniformise et fragmente les cultures. Nous n’avons pas à suivre tous les mêmes chemins du développement, ni à accorder nos valeurs sur celles des autres, ni à considérer la diversité culturelle comme un obstacle. L’homogénéité n’assure pas la solidarité sociale, pas plus que l’hétérogénéité favorise les conflits. Nous devons promouvoir un consensus sur les valeurs et les pratiques sans imposer de normes uniformes rigides, encourager le respect du pluralisme entre les nations, ainsi qu’à l’intérieur de celles-ci, et aux niveaux des institutions. Il faut encourager le dialogue et le débat au sein des cultures.

La première conférence mondiale sur l’environnement a affirmé l’impératif “de défendre et d’améliorer l’environnement humain pour les générations actuelles et futures”. Il ne s’agit pas d’un engagement envers des personnes qui existeront dans un avenir lointain mais une obligation de ne pas leur imposer des responsabilités illimitées et coûteuses. Nous devons donc conserver les options qu’elles pourraient souhaiter poursuivre, veiller à ne pas dégrader davantage la planète et préserver le patrimoine passé pour les générations futures. Notre devoir peut être examiné par le biais de la durabilité, que les écologistes définissent souvent comme “la protection des ressources naturelles” tandis que les agriculteurs la définissent comme “la production sans réduire la fertilité des sols”. L’interprétation de la durabilité est souvent si large ou si étroite qu’elle a peu de poids lorsqu’il s’agit d’entreprendre des actions. En fait, certains systèmes d’exploitation très performants peuvent perdurer pendant des siècles. Une approche plus équilibrée pourrait consister à définir la durabilité agricole comme une forme de protection visant à assurer le respect de la nature, la conservation des ressources, le développement de l’agriculture ainsi que l’équité et la justice. Une telle approche reconnaîtrait également qu’aucune pratique agricole n’est ni sans ironie, ni sans tragédie; aucun projet réalisé par l’homme n’est parfait.

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