Rapport final du Rapporteur spécial de la Commission
du développement social sur le suivi de l'application des
Règles pour l'égalisation des chances de handicapés
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VI. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Les Règles ont pour objet d'aider les États Membres à adopter des politiques et des
mesures qui visent à garantir la "pleine participation et l'égalité". Cet
objectif, fixé il y a 15 ans, donne une nouvelle dimension à l'action en faveur des
handicapés et appelle l'attention sur le rôle de la société et le respect des droits
fondamentaux de ces personnes.
Les Règles sont très novatrices et le Rapporteur spécial estime qu'aucun pays, pas
même ceux qui sont le plus avancés en la matière, ne les a intégralement appliquées.
Cela étant, il ne fait aucun doute que les Règles, dont l'adoption est récente, ont
été bien acceptées et sont maintenant utilisées par les gouvernements et les
organisations non gouvernementales comme principes directeurs.
Les gouvernements utilisent les Règles de trois manières : comme instrument de base
pour la nouvelle législation; comme directives pour les programmes d'action nationaux et
comme instrument d'évaluation des politiques et programmes. Le fait qu'un grand nombre de
gouvernements (83) et d'organisations non gouvernementales (163) aient répondu à la
deuxième enquête du Rapporteur spécial est un signe encourageant en ce qui concerne
l'utilisation des Règles.
Il ressort de l'enquête que les Règles ont conduit la plupart des gouvernements (85 %
de ceux qui ont fourni des renseignements) à reconsidérer leurs politiques. Il ne faut
pas oublier que la plupart des gouvernements n'ont, semble-t-il, pas commencé à utiliser
les Règles. S'agissant des organisations non gouvernementales internationales, elles ont
souvent recours aux Règles pour mener des activités de plaidoyer, lancer de nouvelles
initiatives et mettre en oeuvre des programmes de formation. Au niveau national,
l'utilisation des Règles varie considérablement selon les organisations.
En résumé, il apparaît essentiel de continuer à faire connaître les Règles et de
renforcer leur application aux niveaux national et international.
Au niveau international, les institutions spécialisées des Nations Unies qui
s'occupent des handicapés connaissent évidemment très bien les Règles. L'OIT, l'UNESCO
et l'OMS ont collaboré avec le Rapporteur spécial dans ses activités de suivi.
Toutefois, ces institutions ont leurs propres directives en ce qui concerne les
handicapés et celles-ci occupent bien sûr une place plus importante dans leurs
activités. En règle générale, il n'existe pas de conflit d'idées ou de méthodes
entre les Règles et les autres directives. Il faudrait renforcer le rôle du Secrétariat
en tant qu'organe de coordination pour l'application des Règles. Il faudrait aussi mieux
coordonner la coopération entre le Secrétariat et les institutions spécialisées en vue
d'aider les États Membres à concevoir des politiques. On devrait mettre en place un
mécanisme interorganisations qui améliorerait la coordination et recenserait les
domaines de coopération et d'action commune.
En ce qui concerne la coopération pour le développement, le Rapporteur spécial
estime que la situation est moins satisfaisante. À son avis, ni le PNUD ni les
institutions intergouvernementales qui s'occupent de la coopération pour le
développement ne s'emploient vraiment à intégrer l'action en faveur des handicapés
dans leurs activités principales. Cela vaut aussi pour les institutions financières
internationales comme la Banque mondiale et les banques régionales de développement. En
raison de ce manque de volonté, il est très probable que les programmes de
développement lancés dans le cadre du suivi du Sommet mondial pour le développement
social feront encore une fois l'impasse sur les mesures en faveur des handicapés ou les
relégueront au second plan. Il serait par exemple dommage que les programmes de lutte
contre la pauvreté ne comportent pas de mesures d'aide aux handicapés. Il faut de toute
urgence renforcer les mesures en faveur des handicapés et les intégrer dans les
activités de coopération technique, notamment dans celles du PNUD, de la Banque mondiale
et d'autres institutions financières.
Des entretiens qu'il a eus avec les gouvernements et les organisations de handicapés,
de sa participation à des conférences internationales et des renseignements très
complets qu'il a recueillis grâce à la deuxième enquête, le Rapporteur spécial a
tiré un certain nombre d'enseignements concernant les progrès accomplis dans
l'application des Règles. Lors de la deuxième enquête, 85 % des gouvernements ont
déclaré mener une politique officielle à l'égard des handicapés, la plupart d'entre
eux mettant l'accent sur la réadaptation et la prévention. Cela signifie que les Règles
ne les ont pas encore incités à élargir leurs politiques pour y inclure des mesures
visant à favoriser la participation et l'accessibilité. Il faudrait renforcer les
services consultatifs et l'appui aux gouvernements pour que ceux-ci se fondent sur les
Règles lorsqu'ils élaborent leurs politiques en matière d'invalidité. Cette tâche
pourrait être confiée aux institutions spécialisées, dans le cadre de leur mandat, et
au Secrétariat de l'ONU.
Une des caractéristiques les plus frappantes mises en évidence par l'enquête est le
manque de protection des droits fondamentaux des handicapés dans nombre de pays. Les
handicapés voient certains de leurs droits bafoués du fait même de leur handicap. On
constate légèrement moins de violations des droits civils et politiques que des droits
économiques, sociaux et culturels. Il faudrait donc poursuivre et accroître les
activités entreprises par différents organismes des Nations Unies dans le domaine des
droits de l'homme et renforcer la coopération entre les organismes et les organisations
non gouvernementales qui s'occupent des handicapés.
S'agissant de l'éducation, l'UNESCO a adopté la Déclaration et le Programme d'action
de Salamanque comme suite à l'adoption des Règles pour l'égalisation des chances des
handicapés. Ce document, tout comme la règle 6 sur l'éducation, est très utile pour
l'élaboration de politiques en faveur des handicapés dans le domaine de l'éducation.
Les handicapés sont souvent marginalisés par le fait qu'ils n'ont reçu aucune
éducation ou bien une éducation inadéquate. Les études de l'UNESCO révèlent que dans
nombre de pays, moins de 1 % des enfants qui ont des besoins particuliers bénéficient
d'un enseignement spécial. Dans près de 50 % des pays qui ont répondu à l'enquête,
les enfants sont exclus du système d'enseignement soit par la loi, soit pour d'autres
raisons comme la gravité de leur handicap, l'absence d'installations adaptées,
l'éloignement des écoles et le refus des autorités scolaires d'accepter des enfants
ayant des besoins particuliers.
Lorsque les enfants handicapés sont scolarisés, c'est souvent dans le cadre d'un
système indépendant d'enseignement spécial. Beaucoup de pays sont encore loin d'une
approche intégrée qui assurerait l'accessibilité aux écoles traditionnelles et un
appui adéquat. Le droit à l'éducation étant un droit fondamental, il faut que tous les
gouvernements offrent un enseignement approprié aux enfants et aux adultes qui ont des
besoins particuliers. Il faudrait donner à l'UNESCO les moyens de soutenir plus fermement
les gouvernements dans ce domaine.
On pourra dire que l'action en faveur des handicapés a vraiment atteint son but
lorsque le taux d'emploi des handicapés sera identique à celui de la population active
en général. Or, cela n'est le cas dans aucun pays et même ceux dont le système de
protection sociale est à la pointe affichent un taux d'emploi pour les handicapés bien
inférieur à celui du reste de la population active.
La règle 7 sur l'emploi et la Convention No 159 de l'OIT, adoptée en 1983, donnent
des indications assez claires sur les mesures à prendre pour créer des emplois. Il est
décourageant de constater qu'à la fin de 1996, soit 13 ans après son adoption,
seulement 56 pays avaient adopté la Convention de l'OIT. Par ailleurs, le Rapporteur
spécial montre dans son étude que beaucoup de pays qui ont ratifié la Convention n'en
appliquent pas les dispositions les plus importantes. Les gouvernements qui ne l'ont pas
encore fait devraient ratifier la Convention afin de renforcer leurs politiques et
d'obtenir l'aide de l'OIT. Les gouvernements qui l'ont ratifiée devraient s'efforcer de
tenir compte des dispositions de la Convention dans leur législation de même que dans la
pratique.
En 1996-1997, l'OIT a consacré son étude générale biennale aux politiques du
marché du travail et aux handicapés. Cette étude, dont les résultats seront connus en
1998, pourrait servir de base à l'adoption de nouvelles politiques d'emploi en faveur des
handicapés qui seraient plus efficaces. La situation de l'emploi est la preuve que les
politiques actuelles ne permettent pas d'offrir des possibilités égales d'emploi. L'OIT,
en collaboration avec les gouvernements et des organes intergouvernementaux comme l'OCDE
et l'Union européenne, devrait prendre l'initiative d'aider les États Membres à
élaborer des politiques et des stratégies visant à garantir l'égalité des chances
dans l'emploi.
L'accessibilité est un aspect important de l'action en faveur des handicapés, qui
concerne tous les secteurs de la société. Ce thème a d'ailleurs été traité dans la
deuxième enquête du Rapporteur spécial. La plupart des pays ont adopté des normes
visant à rendre l'environnement physique accessible. Toutefois, 23 % des pays qui ont
fourni des renseignements n'ont adopté aucune norme en la matière, 32 % n'ont pris
aucune disposition spéciale pour le transport des handicapés et seulement 54 % ont
inclus un module de sensibilisation aux besoins des handicapés dans la formation des
architectes et des ingénieurs des travaux publics.
Il reste beaucoup à faire en ce qui concerne l'accès à l'information et à la
communication. Les publications en braille et les livres enregistrés pour les aveugles
sont les services les plus souvent offerts. La langue des signes pour les sourds-muets se
développe. Dans 19 % des pays qui ont répondu à l'enquête, la langue des signes est la
première langue d'enseignement des sourds. Pour le même pourcentage de pays, la langue
des signes est le principal moyen de communication entre les sourds.
Afin d'atteindre l'objectif de la pleine participation, il faut que les gouvernements
continuent de prendre toutes sortes de mesures visant à favoriser l'accessibilité.
Étant donné que certains pays industrialisés ont acquis une expérience considérable
en la matière, il faudrait encourager l'échange d'informations et la coopération au
niveau international.
Les Règles pour l'égalisation des chances des handicapés reconnaissent explicitement
le rôle consultatif des organisations de handicapés. Créer des associations est sans
doute pour les handicapés la meilleure garantie de progrès. À l'issue de la deuxième
enquête, le Rapporteur spécial a constaté que dans 78 % des pays, il existe une
organisation-cadre qui chapeaute les diverses organisations de handicapés. Dans 62 % des
pays, ces organisations sont habilitées à collaborer avec les gouvernements.
Dans 74 % des pays qui ont répondu à l'enquête, il existe des comités ou des
conseils de coordination nationaux qui servent de liaison entre les gouvernements, les
organisations de handicapés et d'autres entités. Dans la plupart des cas, les comités
de coordination participent à l'élaboration des politiques.
Dans nombre de pays, il existe entre les gouvernements et les organisations une
collaboration qui est particulièrement importante pour le développement de l'action en
faveur des handicapés. Les gouvernements devraient renforcer cette coopération à tous
les niveaux. Ils devraient aussi renforcer leur appui aux organisations de handicapés.
Il est évident que dans l'action qu'ils mènent en faveur des handicapés, les
gouvernements n'ont pas assez recours au suivi et à l'évaluation à l'échelon national
(règle 20). C'est notamment le cas dans beaucoup de pays industrialisés. L'Organisation
des Nations Unies devrait, dans le cadre de ses activités de suivi, aider les
gouvernements à mettre en place leurs propres mécanismes de suivi et d'évaluation.
Cette tâche pourrait être confiée soit aux comités de coordination nationaux, soit à
des organes indépendants. Il importe toutefois que toutes les mesures en la matière
soient prises en collaboration avec les organisations de handicapés.
Enfin, on trouvera ci-après quelques observations générales sur l'utilisation des
Règles comme instrument de développement et de changement. Il ne fait aucun doute que
les Règles ont été très utiles aux efforts internationaux visant à assurer la pleine
participation et l'égalité. S'il est vrai que les Règles ne sont pas juridiquement
contraignantes, le fait qu'elles aient été élaborées en étroite collaboration avec un
grand nombre de gouvernements et les principales organisations non gouvernementales
internationales devrait inciter toutes les parties concernées à les faire appliquer. Les
Règles présentent l'avantage d'offrir un équilibre subtil dans la mesure où elles
proposent des principes fermes tout en laissant aux pays suffisamment de liberté pour
qu'ils adaptent les mesures à leur propre situation. Il est aussi important que les
Règles s'inscrivent dans le cadre d'un processus continu lancé en 1981 avec l'Année
internationale des personnes handicapées. Toutes ces caractéristiques font des Règles
un instrument utile et efficace. À l'avenir, les Règles devraient jouer un rôle plus
important dans l'élaboration des politiques.
Toutefois, le bilan n'est pas entièrement positif. Les gouvernements n'étant pas
contraints de fournir des renseignements à l'Organisation des Nations Unies, on ne
dispose, pour la plupart des pays, que de très peu d'informations. Cela étant, ces
dernières années, on a beaucoup appris sur la situation des handicapés et notamment sur
la protection de leurs droits. À cet égard, les Règles devraient accorder plus
d'importance au respect des droits fondamentaux.
Les problèmes des femmes et des enfants sont traités de manière assez vague dans les
Règles. Il faudrait, à l'avenir, s'intéresser davantage aux besoins de ces deux groupes
de personnes. Le Rapporteur spécial tient aussi à souligner qu'aucune règle ne traite
de la question pourtant importante du logement, lacune à laquelle il faudrait bien sûr
remédier.
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